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Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
On y retrouvera la critique d'un esprit éminemment libre face aux hypocrisies et aux bigoteries de l'ordre social, et l'on verra derechef avec quel humour ses réflexions poussées souvent jusqu'aux paradoxes les plus subtils distillent un sain antidote aux mystifications des idéologies de toutes natures.
« Moi, le jour, je suis nul, et la nuit, je suis moi »
Fernando Pessoa que je n’avais pas lu depuis trop longtemps, ce livre présentant divers écrits nous montrent un esprit libre, une critique aiguë face à l’ordre social et ses hypocrisies. L’humour est très présent et opère en puissant désinfectant de toutes les idéologies.
L’auteur écrit et échappe à la monotonie du quotidien, il affûte sa pensée, exerce son esprit critique, et ce n’est pas toujours à fleurets mouchetés.
Ce que j’ai aimé, c’est le sentiment que Fernando Pessoa, écrit comme un véritable artisan ; il ne se regarde pas écrire comme beaucoup de « penseurs » contemporains, son éclectisme est évident.
En filigrane de son œuvre il y a toujours cette pensée que sans l’autre « je » n’existe pas.
C’est aussi le sentiment, voire le malaise, que le moi est une quête perpétuelle, fugace ou percutante, mais qui instaure aussi déséquilibre ou souffrance.
Nous sommes multiples
Et particulièrement, celui qui n’était Personne, ce n’est pas un être solitaire juste quelqu’un qui appréciait aussi la solitude, ses longues marches dans la nuit, étaient l’antidote au jour, et portaient leurs fruits.
La pensée n’existe pas sans les sens, percevoir, ressentir est indispensable pour nourrir la pensée.
« Au beau milieu de mon travail journalier — toujours semblable à lui-même, terne et inutile —, je vois surgir brusquement l’évasion : vestiges rêvés d’îles lointaines, fêtes dans les parcs des anciens temps, d’autres paysages, d’autres sentiments, un autre moi »
Je vais terminer par un extrait savoureux qui montre son humour et son autodérision :
« La calvitie socratique, les yeux de corbeau d’Edgar Poe, et une moustache risible, chaplinesque — voilà en quelques traits aussi forts que précis le masque de Fernando Pessoa. »
La couverture d’Anna Bak-Kvapil est superbe entre sobriété colorée et la fantaisie de ce visage multiple qui annonce bien les écrits de cet écrivain.
Merci à Masse Critique Babelio et aux Éditions Les Belles Lettres pour ce privilège de lecture qui m’a donné une furieuse envie de relire Le Livre de l’intranquillité.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/07/23/comment-les-autres-nous-voient/
C’est toujours une bonne idée de lire du Pessoa !
Il y a une grande liberté de ton mais aussi de l’humour, de l’érudition et ses textes sont très enlevés.
Ce recueil peut désarçonner car l’on passe de la poésie à Mussolini, en passant par les Grecs de l’Antiquité.
Il aborde des sujets aussi bien politiques, esthétique, que poétique, il y en a pour tous les goûts mais aussi pour tous les moments de notre âme, que l’on soit nostalgique, ouverts à lire des développements très poussés sur l’écriture ou la condition du portugais.
Il s’agit soit de piocher au hasard, soit en s’inspirant de la table des matières, même si certains titres peuvent donner lieu à des surprises.
Mon premier coup de cœur va tout d’abord à tous ses développements sur les Grecs de l’Antiquité. Il soutient que toute personne héroïque esthétique ou socratique en Grèce Antique est née à la période idéale pour se réaliser, l’idéal profond étant alors « adapté à l’idéal social ».
Je place ci-dessous quelques extraits d’un autre texte :
« Chacun a l’Appolon qu’il cherche, et aura l’Athéna qu’il cherchera. Mais aussi bien ce que nous avons que ce que nous aurons, nous est déjà donné, car tout est logique. Dieu géométrise, a dit Platon. »
« L’art nait de la sensibilité […] l’écho en nous de l’enchantement lointain »
Autre texte qui m’a durablement marqué, « l’homme de Porlock », qui est une anecdote sous forme d’allégorie sur l’écrivain Coleridge interrompu dans sa rédaction d’un poème composé en rêve.
« Tout ce que nous pensons ou sentons vraiment au moment de l’exprimer subit l’interruption fatale de ce visiteur qui est aussi nous ». Il poursuit en expliquant que ce qui survit vraiment de nous ne sont que des fragments mais si « cela avait été serait l’expression de notre âme ».
Mais en vrai j’ai corné beaucoup de pages !
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