"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Comme tant d'autres, Mevlut a quitté son village d'Anatolie pour s'installer sur les collines qui bordent Istanbul. Il y vend de la boza, cette boisson fermentée traditionnelle prisée par les Turcs. Mais Istanbul s'étend, le raki détrône la boza, et pendant que ses amis agrandissent leurs maisons et se marient, Mevlut s'entête. Toute sa vie, il arpentera les rues comme marchand ambulant, point mobile et privilégié pour saisir un monde en transformation. Et même si ses projets de commerce n'aboutissent pas et que ses lettres d'amour ne semblent jamais parvenir à la bonne destinataire, il relèvera le défi de s'approprier cette existence qui est la sienne. En faisant résonner les voix de Mevlut et de ses amis, Orhan Pamuk décrit l'émergence, ces cinquante dernières années, de la fascinante mégapole qu'est Istanbul. Cette «chose étrange», c'est à la fois la ville et l'amour, l'histoire poignante d'un homme déterminé à être heureux.
A travers la vie, les aventures, les rêves de Mevlut, marchand de boza (boisson fermentée turque, faiblement alcoolisée), Ohran Pamuk réussit à écrire, sous une forme très personnelle et géniale, une épopée poétique sur la destinée des petites gens quittant leur campagne de l’est de la Turquie, tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages.
Il m’a fallu vaincre une certaine appréhension due au grand nombre de pages (j’ai aussi eu ce sentiment pour La montagne magique de Thomas Mann). Pourtant rien n’a été plus facile et agréable que de m’immerger dans le récit – j’aimerais même une suite... Qui mieux que Orhan Pamuk aura réussi à fixer sur le papier les évolutions d’un pays à la fascination séculaire et d’Istanbul, ville coupée en deux par la Corne d’Or, avec une partie en Europe et une autre en Asie ?
Cette histoire poignante d’un homme déterminé à être heureux passe par des portraits de femmes inoubliables. Les trois sœurs, Rahiya (que Mevlut enlève par dans des conditions rocambolesques), Samiha et Vediha sont des femmes fortes dans une société patriarcale étouffante. Très bien décrites, avec des caractères affirmés, elles ont de l’énergie et du répondant, elles parviennent souvent à s’imposer. Le monologue en forme d’anaphore de Vediha sur 3 pages, « Est-ce juste... », répété inlassablement et accusateur de l’ordre patriarcal, est époustouflant.
Ce livre est une vrai découverte pour moi et j’ai hâte de lire d’autres romans de cet auteur. Peut-être Cevdet Bey et ses fils pour vivre à la fin de l’empire et au début de la République ou bien à l’époque de la capitale ottomane dans Mon nom est rouge. Avez-vous lu cet auteur ?
Chronique complète - avec chant turc - sur le blog Clesbliofeel.
Un auteur que je n’avais encore jamais lu ; LE Grand Romancier Turc….
J’ai suivi pendant environ le premier quart du roman la vie de Mevlut, jeune homme devenu stambouliotte qui vend des yaourts et de la boza dans les rues.
J’ai appris ce qu’était la boza et comment il avait enlevé sa femme.
J’ai suivi sa scolarité dans un lycée de son quartier et son obligation de travailler l’après-midi avec son père, parfois même la nuit.
Mais rien ne m’a retenu dans ma lecture : pas d’humour ou de distanciassions ; pas de suspens ; pas de conflit et toujours la vente de la boza.
Un roman lent, trop lent, qui passionnera sans doute les adeptes de l’histoire turque qui apparait en filigrane sans que cela ne change quoi que ce soit à la vente de la boza.
« Voici l’histoire de Mevlut Karatas, vendeur de yaourt et de boza. L’histoire de sa vie et de ses rêves. »
Mevlut à 25 ans, enlève celle qu’il veut épouser, enfin celle qu’il pensait épouser. Il l’avait vue quatre ans auparavant à un mariage et était tombé amoureux de ce visage. S’ensuit pour lui, un amour épistolaire, jusqu’au jour de l’enlèvement en pleine nuit. Oui, mais voilà, ce n’est pas elle, mais sa sœur aînée qu’il a enlevée avec l’aide de son cousin. Il faut d’abord que la sœur ainée soit mariée. Ainsi fut tramé dans le dos de Mevlut qui s’en arrangea, il ne pouvait faire autrement. L’amour leur vint.
C’est le trait du caractère de Mevlut, accepter et transformer pour quelque chose de mieux, ce qui lui arrive. Il est d’un optimiste à tout crin, mais pas b »at. Il doit se battre, garde toujours espoir.
Tout au long de ses déambulations nocturnes à vendre de la boza aux stambouliotes, Mevlut voit les changements de la ville « Il y a de l’alcool¬ dans la boza, mais très peu. A l’époque ottomane, les gens pieux désireux de s’égayer un peu affirmaient au contraire qu’il n’y a pas d’alcool dans la boza, comme ça, en toute bonne conscience, ils pouvaient descendre une dizaine de verre et goûter à l’ivresse. Mais quand Atatürk a libéralisé la consommation du raki et du vin à l’époque républicaine, la boza a perdu sa raison d’être »,
Je suis Mevlut et les siens sur cinquante années où Orhan Pamuk montre la transformation d’Istanbul et de ses habitants. Mevlut, le rêveur nostalgique, l’optimiste, l’âme pure transporte sa mélancolie avec sa charge de boza. Comme cette boisson qui a tendance à disparaitre, lui semble d'un autre temps.
Un livre passionnant qu’il faut prendre le temps de déguster, faire des allers et retours dans le temps, dans les quartiers d’Istanbul, de déguster la boza, d’accepter les changements, bref de vivre la vie de Mevlut.
Un gros livre envoûtant.
La vie d'une vie, Istambul, à travers les déambulations noctambules d'un de ces citoyens rêveur définitif. Dans Cette chose étrange en moi Pamuk nous livre un roman captivant sur les modifications urbaines et le changements dans le cœur des hommes qu'elle suscite. Un livre à découvrir comme tous les Pamuk.
https://viduite.wordpress.com/2017/09/02/cette-chose-etrange-en-moi-orhan-pamuk
L’histoire d’un marchand ambulant, de celle de sa famille et de ses amis dans la Turquie de 1969-2012
Dès la première page, l’auteur arrive à créer un climat de complicité qui vous enjoint à vous poser confortablement afin d’arpenter virtuellement les rues d’Istanbul et de découvrir la vie de Mevlut et de ses amis. A cet égard, je trouve le titre complet du livre beaucoup plus parlant que son raccourci : Cette chose étrange en moi. La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karatas et l’histoire de ses amis et tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages.
Ce titre révèle, en partie, ce que l’auteur vous propose : découvrir une saga familiale/amicale et le contexte socio-culturel, économique et politique dans lequel elle évolue. L’auteur aborde ainsi différents sujets comme la corruption, la haine raciale et les tensions entre les différentes communautés, l’islamisme, les meurtres politiques, la question de la place de la femme dans une société où elle est en permanence sous le joug d’un homme, l’urbanisation presque sauvage et très rapide d’Istanbul, l’industrialisation et les nouvelles normes d’hygiène… Néanmoins, le roman n’ayant pas de vocation idéologique ou politique, ces différents sujets sont toujours abordés sous le prisme de l’impact plus ou moins direct qu’ils ont sur la vie personnelle et professionnelle de Mevlut et de ses amis. L’auteur ne s’attarde donc pas sur les différents événements ce qui évite d’alourdir une histoire déjà très riche.
Cette chose étrange en moi, c’est avant tout l’histoire d’un homme ordinaire, de ses amis et de sa famille. Le caractère banal de notre protagoniste permet à l’auteur d’aborder des thèmes universels : les relations enfants/parents, la famille avec l’amour que l’on porte à ses membres mais également les dissensions qui peuvent séparer ses membres, l’amitié et les disputes, les soirées entre amis, les premiers questionnements sur sa sexualité, la recherche d’un travail, l’argent, la solitude, la quête de soi et du sens de la vie et bien sûr, l’amour. Nous découvrons ainsi les premiers émois amoureux de nos protagonistes, et notamment de Mevlut à travers ses lettres d’amour. Elles n’arriveront jamais à la bonne destinataire, mais scelleront pourtant pendant quelques années son destin, et son bonheur auprès d’une femme qu’il n’aura de cesse d’aimer. Je ne suis pas forcément très sensible aux histoires d’amour, mais j’ai trouvé celle de notre protagoniste plutôt belle, car parfaitement ancrée dans la réalité.
A noter que Gallimard vous propose, en fin d’ouvrage, une chronologie très bien pensée des principaux événements de la vie de Mevlut et de ses amis, entremêlée avec les faits historiques de la période 1954-2012. Je n’ai pas ressenti le besoin de la consulter durant ma lecture, mais cela peut se révéler utile si vous vous sentez perdus.
Des personnages nombreux… rendant la narration vivante
En effet, bien que la maison d’édition propose un petit arbre généalogique en début d’ouvrage, la multitude de personnages, aux noms peu communs pour des Occidentaux, pourrait effrayer, décontenancer ou simplement perdre certains lecteurs. Pour ma part, ce ne fut pas le cas, car les différents personnages interviennent suffisamment pour que leurs noms nous deviennent rapidement familiers tout comme leurs liens avec Mevlut.
J’ai apprécié que l’auteur ne se focalise pas seulement sur notre vendeur de boza, mais offre une place importante aux personnes qui ont compté dans sa vie. Il n’hésite d’ailleurs pas à leur donner la parole puisque ceux-ci s’adressent et interpellent régulièrement le lecteur. Je ne suis pas friande de ce genre de procédé, mais utilisé avec intelligence comme ici, je ne peux que l’apprécier. Cela crée une connivence entre le lecteur et les personnages, et donne un côté très vivant à la narration. J’ai parfois eu le sentiment d’entrer dans une conversation ou de suivre en direct un reportage où plusieurs intervenants échangent leurs points de vue sur un sujet et veillent à rétablir leur propre vérité.
Mevlut et Istanbul
Contrairement à son père que la vie à la ville a rendu aigri, envieux et médisant, Mevlut est ce genre de personne profondément optimiste qui voit le verre à moitié rempli plutôt qu’à moitié vide. Les différentes épreuves qu’il rencontrera le rendront parfois d’humeur chagrine et le conduiront à avoir de brusques emportements difficilement compréhensibles pour son entourage, mais il n’en demeure pas moins un homme bon, avec ses défauts et ses qualités. Tout au long du roman, il essaiera ainsi de vivre sa vie sans juger ni prendre parti tout en restant fidèle à ses valeurs. Cette neutralité lui sera d’ailleurs utile pour exercer son métier de vendeur ambulant sans trop d’encombres, et côtoyer des personnages aux opinions politiques et religieuses diamétralement opposées. Si son entourage est assez politisé, Mevlut n’aspire, quant à lui, qu’à une seule chose : être heureux. Cela peut parfois donner le sentiment qu’il se laisse porter par les événements se contentant de les constater et de s’ajuster sans vraiment anticiper, mais ça lui donne un côté rêveur et idéaliste qui le rendent assez touchant.
Le roman nous permet de découvrir la vie de notre vendeur de boza et de ses amis, mais, tout au long du livre en filigrane, il y a Istanbul. Istanbul et ses rues, Istanbul et son foisonnement, Istanbul et son urbanisation, Istanbul et ses constants changements, mais surtout Istanbul et Mevlut dont la vie semble intrinsèquement liée à cette ville comme si elle était un peu sa vieille amie. Alors qu’il aurait été assez humain de rejeter toutes les évolutions de la ville en se réfugiant dans un passé idéalisé, Mevlut se contente de les observer tout en continuant à faire ce qui le rend véritablement heureux : arpenter les rues le soir en vendant de la boza, parler avec des clients et sentir ce vent de liberté qui s’offre à lui. Et peu importe que les clients se tarissent et que l’activité ne soit pas rémunératrice… Mevlut apparaît alors au lecteur ainsi qu’à la plupart de ses clients, comme l’un des derniers représentants du passé et des traditions dans une Istanbul sans cesse renouvelée.
Enfin, j’ai beaucoup aimé la profusion des détails donnés par l’auteur, car ils permettent de se plonger complètement dans la vie de Mevlut et de sa famille et dans les rues d’Istanbul que l’on voit évoluer. Ils sont ainsi indispensables pour comprendre les personnages et le contexte dans lequel ils évoluent et rendent, paradoxalement, ce roman de plus de 600 pages facile et agréable à lire.
En conclusion, avec Cette chose étrange en moi, Orhan Pamuk nous offre une très belle saga familiale dans une Istanbul en pleine évolution urbaine, culturelle, politique… Si le livre aborde différents thèmes allant de la corruption à la place de la femme dans la société turque en passant par l’urbanisation sauvage d’Istanbul, son intérêt principal réside ailleurs. Il réside dans la parole donnée à un protagoniste banal qui n’est pas un héros, qui n’est ni riche, ni méchant, et dont le seul objectif dans la vie est simplement d’être heureux. Et si, sous l’apparente naïveté de Mevlut dont l’entourage aime à se moquer, se cachait finalement une certaine sagesse ?
Je conseillerais ce roman à toutes les personnes qui aiment les histoires où les nombreux détails font la richesse du récit et où le voyage est plus important que la destination.
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