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Paule Constant revient sur son enfance camerounaise et sur les personnages picaresques qui l'ont peuplée. Loin des villes à la splendeur coloniale, le petit village de Batouri forme une drôle d'enclave dans cette Afrique millénaire. Pour preuve les agissements de Madame Dubois, femme de l'administrateur, et qui, envers et contre tout, essaie d'inculquer les bonnes manières et le bon goût « français » à ses boys, alors que la lèpre sévit et que la misère rôde.
Avec une ironie et un humour cinglants, Paule Constant entraîne le lecteur dans un récit réjouissant à hauteur d'enfant.
À partir d’une idée originale, Paule Constant a réussi un superbe roman qui met en lumière une époque un peu trop vite oubliée : celle des colonisations de l’Afrique. Au passage, je dois avouer, à ma grande confusion, que je découvre une autrice remarquable, membre du jury du Prix Goncourt et Prix Goncourt elle-même en 1998 avec Confidence pour confidence. Remarquable et confirmée, Paule Constant a déjà publié treize romans et C’est fort la France ! était son onzième.
Pour rafraîchir notre mémoire à propos de la colonisation, sa narratrice, Brigitte – on apprend son prénom dans les dernières pages – est écrivaine et a publié Ouregano, un roman où elle raconte son enfance à Batouri, au Cameroun, loin de Yaoundé, la capitale. Je note que ce titre est celui du premier roman de Paule Constant publié chez Gallimard, en 1980. Malgré ce détail troublant, ce qu’elle raconte n’a rien d’autobiographique.
Malgré tout, elle part de ce premier roman pour faire vivre ses personnages, ceux qui représentent la France, jalousés en métropole mais dont personne ne voudrait prendre la place. Une lectrice, furieuse de constater que son rôle, dans le livre, ne correspond pas à ce qu’elle a vécu, écrit à l’autrice et les deux personnes fictives se rencontrent, à Paris, dans une chambre de bonne, au sixième étage d’un immeuble où Mme Dubois finit sa vie, bien modestement.
Ainsi, Paule Constant m’a plongé au cœur de la vie quotidienne d’une dame qui prend très au sérieux son rôle de représentante de la France. Son mari est l’Administrateur, elle est donc la première dame de Batouri où une institutrice, un toubib et sa femme, les parents de Brigitte, Moïse N’Diop, le chirurgien, Bodin l’infirmier qui vaccine à qui mieux mieux contre la maladie du sommeil, Alexandrou le commerçant, Mme Tong qui fabrique des chaussures avec de vieux pneus et tient un bar dans la brousse, sont les principaux personnages auxquels je dois ajouter le Pasteur et sa femme qui commettent l’erreur de vouloir vivre comme les Africains, ce que les indigènes n’acceptent pas. Une léproserie et un orphelinat tenu par des sœurs complètent un village éclaté sur quatre collines.
Mme Dubois est restée là-bas une vingtaine d’années, revenant en vacances en France tous les quatre ans mais, dans sa Normandie natale, elle est mal reçue. À Batouri, son fidèle Djébé, son factotum, est indispensable, comme tous les boys aux rôles très précis.
C’est justement le fameux Djébé qui s’écrie « C’est fort la France ! » lorsque les époux Dubois tentent de lui décrire une vache. Comme dans tout le roman, les détails fourmillent, les anecdotes savoureuses et les événements dramatiques aussi. Je trouve ce livre important parce qu’il rappelle une époque pas si lointaine où nous autres Occidentaux pensions être tellement supérieurs, tellement civilisés, que nous tentions d’imposer notre présence dans ces pays nous fournissant beaucoup de ressources. Les frontières tracées artificiellement par les Européens, les territoires convoités par Allemands, Anglais, Belges ou Français, nous causions beaucoup de dégâts dont nous constatons toujours aujourd’hui les conséquences.
C’est fort la France ! Pas si sûr mais c’est ce que nous croyons depuis longtemps, une domination pas vraiment terminée comme en atteste régulièrement l’actualité. Ces hommes, ces femmes qui se dévouaient au péril de leur santé et de leur vie pour tenter d’améliorer le quotidien des Africains ne doivent pas être méprisés, oubliés et, à sa manière, Paule Constant leur rend un hommage intéressant dans ce roman.
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Après la publication d'Ourégano, un roman où elle racontait son enfance dans un village africain, une romancière française reçoit plusieurs lettres d'une dame qui l'accuse d'avoir déformé la vérité des faits. Au fil des courriers, la romancière reconnait Madame Dubois, l'épouse de l'Administrateur de Batouri, le village camerounais de son enfance. Elle décide d'aller à la rencontre de cette femme, désormais très âgée, revenue en France après toute une vie dans les colonies françaises en Afrique, et qui, dans les années 50, régentait la vie du village au nom du prestige de la France. Ensemble, elles vont confronter leurs souvenirs, leurs visions d'une Afrique qui n'existe plus que dans la mémoire de ceux qui ont connu le temps des colonies.
Batouri, c'est le Cameroun, la brousse, la poussière rouge, la chaleur accablante, la mouche tsé-tsé...C'est aussi un hôpital, une léproserie, un orphelinat et la belle maison de l'administrateur. Dans ce petit poste français, deux visions s'affrontent, celle de Madame Dubois au service de la France et celle des parents de la narratrice, présents dans un but humanitaire (le père est médecin). Si les deux se regardent avec méfiance et condescendance, elles ont pourtant en commun d'avoir transposé un petit bout de France en Afrique et d'être sûres de leurs bons droits. Si a priori on rit ou l'on s'offusque des pratiques de l'épouse de l'Administrateur qui sort l'argenterie à chaque repas, qui reçoit pour le thé chapeautée comme la reine d'Angleterre, qui organise une crèche de Noël dans la brousse, qui vante la supériorité de la France auprès de ses boys, on oublie vite le ridicule pour éprouver de la tendresse à l'égard d'une femme qui a quitté sa Normandie natale à 18 ans à peine et qui tente par tous les moyens de maintenir le fil de plus en plus ténu qui la relie à sa patrie. Etrangère en terre africaine, elle le devient aussi dans son propre pays où les membres de sa famille envient une vie qu'ils croient privilégiée et rejettent celle qui vit trop loin pour créer des liens. Réfugiée dans une vision fantasmée d'une France parée de toutes les qualités, elle a trouvé ce seul moyen pour vivre au mieux dans un endroit très différent de tout ce qu'elle a connu. Infâme colonialiste Madame Dubois? Amoureuse de l'Afrique sans se l'avouer, elle a peut-être moins à se reprocher que ceux qui ont mené des campagnes de vaccination forcée dévastatrices, que ceux qui se sont attirés la foudre des populations locales en chassant sur des terres sacrées...
Avec beaucoup de tendresse, d'empathie et un humour pince-sans-rire assez jubilatoire, Paule CONSTANT raconte une Afrique d'un autre temps, très critiquée après la décolonisation, mais qui était la norme de l'époque. Loufoque et grave à la fois, son roman est un très bon moment de lecture.
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