Premières chroniques, premiers avis, et déjà des auteurs et des autrices à suivre...
Et si nous devenions cannibales ? Pour les "Restaurés" , habitants du duché de Michão, le cannibalisme est aussi indiscutable que la liberté ou l'air qu'on respire. Afin d'endiguer la surpopulation et d'apporter une réponse à la crise alimentaire, ils ont fait sécession du reste du genre Homo et instauré un cannibalisme moderne, hygiénique, démocratique, high-tech et familial. Un cannibalisme d'avenir, en somme.
La plume truculente de Marc Villemain nous embarque dans une farce tragique aux accents délicieusement astérico-rabelaisiens. Et nous interroge, l'air de rien, sur ce qui fait civilisation. Ecrivain, éditeur et critique littéraire, Marc Villemain est notamment l'auteur de Et que morts s'ensuivent (Seuil, Grand Prix SGDL de la nouvelle en 2009), Il y avait des rivières infranchissables et Mado (Joëlle Losfeld, 2017 et 2019, prix de l'Académie de Saintonge).
Premières chroniques, premiers avis, et déjà des auteurs et des autrices à suivre...
Dystopie, uchronie ? Non. conte épicurien, oui.
« Comment continuer à nourrir nos chers animaux tout en cohabitant avec des humains qui prolifèrent comme des lapins à la saison chaude ?… Il (le duché) prohiba la consommation de toute viande animale » La cause de la défense animale a été entendue, celle de la surpopulation endiguée à Michão!
Petit rappel historique : Les habitants se nomment les Restaurés « Ainsi baptisés à la suite de la fondation il y a cent cinquante ans du duché de Michão, conséquence de cette période que l’histoire a retenue sous le nom de Troisième Restauration. » Nous sommes dans les années 2100
Les habitants semblent vivre heureux depuis la Seconde Résurrection où ils ont fait sécession avec le reste de l’humanité. Chez eux, plus de problème de surpopulation, et de crise alimentaire le problème est réglé car ils sont cannibales. Oui, vous avez bien lu. Oh là, je vous vois venir avec vos délires de chasse à l’homme et que sais-je encore… Non, non, c’est un cannibalisme heureux. D’ailleurs, la fierté d’une famille de 3 enfants est de donner le second enfant à déguster « Le deuxième enfant d’une fratrie est constitutionnellement sacrifié lorsqu’il accède à la majorité, soit le jour de ses quatorze ans, âge auquel la chair, en sus de ses qualités gustatives assez remarquables, procure les meilleurs avantages comparatifs. ». Par ailleurs, aucune violence inutile, tout est fait dans les normes sanitaires draconiennes. Il y a des abattoirs, la viande est vérifiée,les « clients » sont volontaires.
Tout va bien dans le meilleur des mondes de ce petit conté d’irréductibles gaulois sécessionnistes jusqu’au jour où un complexe carnologique explose. Dès le début de ce chapitre, je n’ai pu m’empêcher de penser au Bataclan dans la description du carnage, toute ressemblance avec des évènements récents est voulue. Pourquoi cet attentat car il s’agit bien d’un attentat ? Le Conté a son lot de détracteurs au sein de ses habitants, ses ultras, prêts à tout. C’est que, la vie que mène ses habitants n’est pas du goût de tout le monde. Gustave du Gonzague, le Dépariteur (chef du dit duché de Marlevache) y va de son discours pour honorer les morts avant que d’en manger les restes. « Entrelardant son discours d’allusions à quelque groupuscule anti cannibale,… Le cannibalisme est l’apogée de l’humanisme, le stade avancé d’une civilisation qui, pour la première foie dans l’Histoire, offre à ses membres une sépulture digne de ce nom et ne les livre pas sans honte aux lombrics et à la putréfaction ».
Dans une langue précieuse, mais pas châtiée, ni châtrée, Marc Villemain en usant force calembours, jeux de mots, réécriture de chansons populaires (ou pas), raconte la vie de ce petit conté qui a des airs de village gaulois par les banquets, viandes, même le barde est là (Je sais, mauvais jeu de mots). Basile du Blaise, c’est son nom est en même temps le curé, pardon le Spirite, avec un S en début de mot.
J’aime que l’on s’amuse avec la langue française, qu’on la triture, la malaxe, la détourne (en tout bien tout honneur), cela donne beaucoup de légèreté à son livre et Marc Villemain le fait si bien. Il
n’emploie jamais le je, raconte, met les personnages en scène, en fait, de temps à autre, une pièce de théâtre. Entre truculence, gauloiserie et tragédie, il conte l’histoire de ce conté florissant, et en profite pour faire une satire à la fois politique, religieuse, sociétale de nos relations humaines.
Liliane, fais les valises, on rentre à la maison » Tout de suite M’sieur Marchais. Bien sûr cela ne dit rien au moins de quarante ans et plus si affinité,… Mais il a fait les beaux jours de l’O.R.T.F. !
Merci Marc Villemain pour ce roman qui m’a littéralement ravie. Je n’ai pas que souri, j’ai ri et, j’aime le politiquement incorrect….que cela fait du bien. Imaginez-vous, regard concupiscent devant un homme ou une femme, admirant ses courbes, sa plastique et... !! Tiens, en mignardise, je me « suçoterais » bien un petit pénis farcis !
Oui, je fais de ce livre un coup de cœur, j'aime l'impertinence et ce livre n'en manque pas
J’ai déjà lu et apprécié « Il y avait des rivières infranchissables », dans un tout autre style
Doigts caramélisés, orteils cannellisés, testicules meringués, mousse de fœtus, sans oublier la fameuse cervelle du sage... tels sont les mets préparés à base de chair humaine dont se délectent les habitants du duché de Michao, qui se rassemblent régulièrement lors de festins gargantuesques !
Leurs ancêtres, qui ont fondé 150 ans auparavant une communauté baptisée « les Restaurés », ont réalisé la « révolution cannibale », partant du principe que le cannibalisme était la solution idéale et moderne pour réguler la population humaine et préserver les ressources naturelles de la Terre.
Dans cette communauté, être mangé par ses pairs constitue un honneur : « Le cannibalisme est l'apogée de l'humanisme, le stade avancé d'une civilisation qui, pour la première fois dans l'Histoire, offre à ses membres une sépulture digne de ce nom et ne les livre pas sans honte aux lombrics et à la putréfaction. »
Mais les attentats perpétrés par la mouvance anti-cannibalisme menacent l'équilibre de cette civilisation...
Dans ce livre au thème très particulier, l'auteur suscite une réflexion intéressante et manie savamment l'humour et l'absurde dans une écriture assez improbable et loufoque. Ce style « astérico-rabelaisien », pour reprendre les termes de la quatrième de couverture, permet de se détacher en partie de certaines scènes plutôt écœurantes et dérangeantes, mais nécessite un temps d'adaptation et rend la lecture assez difficile au début.
Ce roman est très original, certainement un peu trop pour moi, et même si j'apprécie être surprise dans mes lectures et sortir parfois de ma zone de confort, je n'ai pas vraiment accroché. Sans doute car le sujet en lui-même me rebute trop, et car les personnages, grotesques voire parfois vulgaires et bestiaux (bien que l'auteur ait volontairement forcé le trait) m'ont souvent inspiré du dégoût et de l'agacement.
Les explorateurs de la rentrée littéraire 2021
Avis de la page 100 - Les Explorateurs de la Rentrée littéraire 2021
En couverture, le squelette d'un tronc humain. En quatrième de couverture, l'annonce d'un livre sur le cannibalisme érigé en mode de vie. Dans la dit-cité de Marlevache, dans le dit-duché de la Grande Lumière, dans le duché de Michão, on s'amuse comme des petits fous. Avec un style volontairement ampoulé, très contrasté, allant de la préciosité à la vulgarité, en passant par le calembours et la blague érudite, je découvre une œuvre à cheval entre le roman et la pièce de théâtre (des didascalies précèdent certains dialogues, le nom des personnages apparaît avant qu'ils ne s'expriment ; mais le narrateur est à la troisième personne, les tableaux cinq à dix sont purement descriptifs), entre Sade et Rabelais. Une œuvre étonnante donc, qui après dix tableaux sur les vingt huit que compte l'ouvrage, donne envie de s'y attabler pour reprendre une petite portion de "rondelles de foie dans leur jus naturel".
Critique
Bon… Qu’est-ce que je viens de lire… Pour éclairer ma lanterne, laissez-moi prendre mon dictionnaire poussiéreux qui traîne dans un coin obscur de la pièce.
Dystopie : “Récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre”. Non, ce n’est pas une dystopie, c’est beaucoup trop fringant.
Uchronie : “Récit d'évènements fictifs à partir d'un point de départ historique”. Ce n’est pas une uchronie non plus, l’événement donné comme point de départ, “La Troisième Restauration” (p.30) est lui aussi fictif.
Utopie : “1. Description d’une société idéale. 2. Genre littéraire s'apparentant au récit de voyage mais ayant pour cadre des sociétés imaginaires”. Ah bah, c’est totalement une utopie en fait.
Oui, je n’ai pas rêvé, je viens de lire une utopie sur une société cannibale. Certes, l’histoire ne casse pas trois pattes à un canard cannibale (un cadre simple, un événement perturbateur, une enquête, sa résolution, une fin en apothéose qui n’est pas sans rappeler “Le Parfum” de Patrick Süskind). Mais si c’est un simple fond de sauce, c’est un fond de sauce d’être humain.
A ma grande surprise, Marc Villemain fait cela avec beaucoup de bon goût (sans mauvais jeu de mot). D’abord, il emploie une langue précieuse à l’extrême, d’un premier abord difficile mais qui, passée la page 100 et les très beaux chapitres “Silence” I à VI, emporte notre adhésion. A mes yeux, un quasi sans-faute stylistique, qui donne de la chair à l'œuvre, la charpente et lui donne du corps. Je pense notamment aux tableaux 14 et 16, qui nous font quitter le ton jusqu’ici ironique de l'œuvre pour s’épanouir dans de belles descriptions poétiques. Seul petit bémol sur l’usage des “dit” devant certains mots (“Bon dit-Dieu” (p.105), “dit-citoyens” (p.105), “dit-familles” (p.109)), qui bien que justifiée comme étant une pratique culturelle de la société Marlevachienne, finit par être un peu usant à la longue. “Mais précisément, ce ne sont que des maladresses, autrement dit l’expression confuse d’une pensée pas forcément mal intentionnée" (p.144).
Il fait de nombreux calembours et jeux de mots qui font mouche “ledit accroissement démographique conduit à une impitoyable érosion des pâturages, seconde mamelle des hommes (c’est une image, ne prenez pas ça au pis de la lettre)” (p.120). Il s’amuse constamment avec la langue et avec les références culturelles, que ce soit en parodiant les paroles de certaines chansons ou de poèmes “Songe à la douceur d’aller là-bas forniquer ensemble, lui avait-il dit en substance, et c’est de bon coeur qu’elle avait agréé son invitation au voyage” (p.59). Certaines références me sont même restées obscures, ce qui ajoute au plaisir de la lecture le plaisir de la recherche. Il use aussi très souvent d’un ton parodique qui vient adoucir l’aspect sadien de l’ouvrage et lui apportant un peu de légèreté. Par exemple, en proposant des alternatives à l’EHESS qui devient “l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences de la Subsistance” (p.106) ou à la DRAC (normalement “Direction Régionale des Affaires culturelles”, dans l’ouvrage “Direction Régalienne des Arts Cannibales” (p.107)).
Ensuite, il nous propose une oeuvre hybride, à cheval entre le roman et la pièce de théâtre, sans jamais tomber dans le vil vaudeville, et qui étonnamment fonctionne très bien. Un extrait illustratif de didascalie rigolote : “Loïc d’Iphigénie, rictus d’écrivain romantique après deux strophes d’inspiration mallarméenne”. A posteriori, je me suis même dit que l’ouvrage ferait une excellente pièce de théâtre parisienne ;
Enfin, son œuvre prend à bras le corps la question de la surpopulation humaine, du système industriel de consommation de la viande. Arrivé à la cent-cinquantième page, je me suis même questionné sur la pertinence de cette société, qui retrouve une forme de spiritualité, qui retrouve un rapport fusionnel au corps humain, placé au centre de toutes les attentions.
Vous aimerez ce livre si vous aimez : les parties fines de Sade dans “La Philosophie dans le Boudoir”; les ripailles rabelaisiennes ; Assurancetourix ; les noms de personnages improbables et à rallonge (Ségolène de l’Abdel de la Jacquette) ; sortir de votre zone de confort.
Vous n’aimerez pas ce livre si vous n’aimez pas : les descriptions un peu crues ; l’idée d’une utopie cannibale ; avoir le cœur un peu retourné ; les références littéraires un peu pointues ; les parodies musicales de mauvais goût.
Une œuvre guillerette et déroutante, qui rejoint immédiatement mon top des meilleurs livres qui parle de nourriture, aux côtés du Maître des Chrecques de Walter Moers et de Gargantua de Rabelais.
Les explorateurs de la rentrée 2021
Gauloiserie un peu (trop ?) trash qui nous fait réfléchir sur notre propre société, ses excès et ses absurdités.
En 2100, 16 milliards d’humains peuplent la Terre. La famine et la misère sévissent en tout lieu. En réaction à l’inaction générale, une communauté fait sa « Révolution », et instaure le cannibalisme comme solution sur un petit territoire « d’irréductibles carnivores ».
Les problématiques abordées en creux dans ce récit sont très contemporaines et éminemment pertinentes : Surexploitation de la planète par les humains, surconsommation en tout genre et particulièrement de viande animale, inégalités endémiques, appétit insatiable des humains et bien sûr le prétendu volontarisme actuel.
L’angle sous lequel elles sont abordées est pour le moins déroutant et dérangeant mais force à la réflexion. Les arguments avancés pour justifier ce cannibalisme s’entendent : civisme (très poussé certes puisque il s’agit du sacrifice de sa personne), antispécisme (pourquoi consommer de la viande humaine serait plus répréhensible que consommer de la viande animale ?), hygiéniste (la chair humaine est d’excellente qualité nutritive).
L’écriture de Marc Villemain est un pastiche détonant de Rabelais, Desproges, Devos, Audiard parfois. On peut se demander pourquoi il utilise une telle langue : pour mieux faire passer l’absurdité du système en place ? Pour montrer le contraste entre ce langage daté et la soi-disant modernité du projet ?
L’égalité et la démocratie s’arrêtent où commencent les privilèges des dirigeants et des « mâles », de ce côté-là, la civilisation cannibale n’apporte rien de novateur. La foi est également un des piliers de cette société, et justifie l’injustifiable par une relecture très libre des Evangiles ou de Saint Augustin. Cette croyance doit être sans faille et est également particulièrement intolérante : […personne n’a le droit de tergiverser avec ces saloperies d’enfoirés de barbares dégénérés bouffeurs d’animaux…]
Cette civilisation se croit bien entendu détentrice de la vérité et semble totalement fermée au dialogue. Cette peuplade d’irréductibles cannibales est affublée de tous les clichés « gaulois » : amour immodéré de l’alcool , lubricité, rapport aux femmes, bonne bouffe, impossibilité de s’extraire de leur état carnassier.
Il m’est arrivé à plusieurs occasions d’avoir la nausée, pas seulement métaphoriquement mais physiquement, et je me demande si ce n’était pas l’effet attendu. Est-ce qu’il n’est pas également écoeurant de voir les humains se gaver de viande animale et d’autres nourritures jusqu’à s’en rendre malades et par la même occasion détruire la Terre petit à petit ? Et que dire du fait qu’il est aussi difficile de changer de modèle de société (en Occident pour le moins) même si on sait bien qu’il conduit à notre perte?
A moins que ce livre soit une satire des bons sentiments, des bien-pensants, d’une certaine forme un peu extrême de la protection animale et de la planète ?
Je m’interroge toujours sur la forme de ce livre. Je n’ai vraiment pas accroché à cette langue simili-rabelaisienne et certains jeux de mots m’ont semblé plus ridicules que comiques.
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