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« La liste des trucs que Majella trouvait vraiment intéressants était beaucoup plus courte : 1. manger2. Dallas3. la chaîne payante Gold4. Papa5. Mémé6. la Smithwick's7. les antidouleurs8. nettoyer9. le sexe10. les sèche-cheveuxParfois, Majella pensait qu'elle devrait condenser la liste complète des trucs qu'elle n'aimait pas trop en la réduisant à un seul : - les autres.»Majella, jeune fille un peu forte, vit avec sa mère dans la petite bourgade d'Aghybogey, en Irlande du Nord, où elle travaille dans une baraque à frites.Des thématiques profondes, aussi bien qu'intimes - la disparition d'un père, la mort d'un frère, la jalousie familiale, le sort des femmes, la période des Troubles irlandais -, servies par un humour ravageur, argotique et poétique.
Une belle découverte que ce roman irlandais qui se démarque de mes autres lectures de l’année. Par l’intermédiaire de Majella, l’auteure donne une voix à toute une génération de nord-irlandais en situation précaire et met en lumière une société où la violence est encore omniprésente.
Le lecteur est amené à suivre Majella pendant une semaine (le roman aurait tout aussi bien pu avoir pour titre 168 heures dans la vie de Majella) rythmée par son travail au Fish & Chips d’Aghybogey, une ville fictive à la frontière avec la République d’Irlande, et pendant lequel elle voit défiler toute une galerie de personnages plus ou moins hauts en couleurs, qui essayent eux aussi de survivre. Outre ses horaires décalés et son salaire de misère, Majella vit tous les jours dans l’odeur de friture et doit composer avec la misogynie des clients et une patronne particulièrement antipathique, qui ne fait son apparition qu’à la fermeture du fast-food, soit environ minuit, pour récupérer la caisse.
Autant dire que sa vie n’est pas de tout repos, surtout qu’elle doit également s’occuper de sa mère alcoolique en rentrant la nuit à la maison. Pour couronner le tout, son père a disparu (peut être tué par les loyalistes, c’est en tout cas ce que le lecteur est amené à supposer lorsqu’il apprend que ce dernier était impliqué dans l’IRA) et sa grand-mère a été massacrée dans sa caravane (des représailles de loyalistes là encore, ou bien un simple fou qui aurait profité de l’endroit isolé où elle vivait pour s’attaquer à une personne âgée ? Michelle Gallen ne nous le révèlera pas). Son oncle également membre de l’IRA est mort des années auparavant, lorsqu’une bombe artisanale qu’il comptait faire exploser lui éclate au visage.
Privée de ses seuls appuis familiaux qu’étaient pour elle son père et sa grand-mère, éloignée de sa meilleure amie partie faire des études ailleurs, sans personne à qui se confier, Majella doit prendre sur elle et supporter les commérages des habitants d’Aghybogey quant à la mort de sa grand-mère et l’héritage qu’elle a laissé derrière elle.
Majella devient une héroïne du quotidien, menant une lutte de chaque instant contre les différents individus malveillants, malfaisants ou tout simplement égoïstes qui font partie de sa vie. Si elle semble accepter son sort, et malgré un accès à l’éducation limité, elle se révèle aussi pleine de ressources (notamment quand un fermier locataire de sa grand-mère essaye de la manipuler pour la convaincre de lui vendre ses terres) et fait preuve d’un sens de la repartie remarquable (indispensable pour survivre derrière le comptoir du Fish & Chips).
En toile de fond l’auteure esquisse également une réflexion sur la malbouffe et ses conséquences (Majella, dans son contrat, a droit également à un Fish & Chips gratuit tous les soirs). Sont aussi abordés le chômage, l’addiction aux paris et jeux, le suicide et les contrôles de police à la frontière, l’entre-soi et le racisme des deux camps (Majella est catholique et se demande parfois à quoi rime cette séparation entre catholiques et réformés) mais aussi l’ennui mortel des petites villes où rien ne se passe, et où l’accès à la culture et aux loisirs est quasi inexistant.
Le lecteur s’échappe avec Majella de son quotidien lors de quelques épisodes de flash-backs où Majella se souvient de son papa (une figure aimante mais un peu mystérieuse du fait de ses activités secrètes par-delà la frontière), d'une réunion des alcooliques anonymes où elle avait emmené sa mère ou encore de l’école (la cantine, les cours). J’ai trouvé très touchant le passage des premières vacances à la mer malgré le fait qu’elles se retrouvent gâchées par la présence d’un individu peu recommandable).
La romancière réussit à merveille à nous décrire l’ambiance qui règne dans la maison de Majella, mais aussi au Fish & Chips. Je n’ai eu aucun mal à m’imaginer la moquette tapissant les chambres ou encore le néon clignotant de la salle du Fish & Chips. Il faut dire que la plupart des phrases sont dédiées à la description de gestes très simples comme le réchaud d’un plat au micro-ondes ou l’ouverture de paquets de frites.
Au fil de cette semaine plutôt banale, rythmée par le boulot, le visionnage de la série Dallas et une virée shopping pour aller s’acheter une nouvelle couette, un évènement va venir bouleverser le quotidien de Majella : Spoiler(cliquez pour révéler)Malgré un côté très déprimant, le roman se finit sur une touche d’espoir.
Dans la petite bourgade d'Aghybogey, en Irlande du Nord, les distractions ne sont pas très nombreuses, on va au pub bien sûr et puis en face chez Salé, pané, frit ! où, bien qu'on la connaisse par cœur on regarde longuement la carte avant de commander la même chose que d'habitude. Derrière le comptoir, Majella attend patiemment, anticipe parfois le choix sans rien en laisser paraître, sert, encaisse, remercie et souhaite une bonne soirée à des clients dont elle sait à peu près tout. Impassible, ou presque. Personne pour remarquer les claquements de doigt qui viennent parfois trahir un léger agacement et son effort pour le juguler. Personne pour porter un brin d'attention à ce que peut ressentir cette jeune femme un poil boulotte, serrée dans sa combinaison rose en nylon et de plus en plus transpirante au fil des heures passées dans les effluves brûlants du fast-food.
Et pourtant, il s'en passe des choses dans la tête de Majella qui s'est créé une sorte de rempart psychique pour se protéger du monde ; des listes des choses qu'elle n'aime pas et une, beaucoup plus courte de celles qu'elle aime bien. Peu à peu se dessine le portrait d'une jeune femme qui à force de se retenir de tout n'est pas très loin de l'explosion, métaphore presque cocasse de ce qui se passe autour d'elle à la frontière des deux Irlande. Depuis ce mini point de vente qui sent le graillon (quelle idée géniale ce décor !) apparaît le quotidien des affrontements, des rivalités, des disparitions ou des arrestations. La famille de Majella n'a pas été épargnée, les hommes ont disparu et même sa grand-mère semble avoir été la victime d'un meurtre odieux que l'on ne sait à qui ou à quoi imputer. Majella a grandi vite, inversant les rôles auprès d'une mère dépressive et alcoolique.
Ce personnage emporte tout sur son passage, son côté brut d'où affleure une sensibilité volontairement étouffée. Cette carapace de chair et de graisse qui semble la rassurer. Sa façon de jouir des dernières bouchées de frites imbibées de vinaigre. Le culte voué à Dallas qui fait de JR Ewing un mentor parfaitement qualifié pour affronter les entourloupes de ses congénères. Son goût pour le sexe, sans prise de tête apparente. C'est une bombe à retardement Majella et on se demande au fil des pages comment elle fait pour résister, si elle est vraiment aussi costaud qu'elle en a l'air. Un personnage singulier, fort, original et attachant qui nous tient jusqu'à la fin et autour duquel s'orchestre un petit théâtre qui en dit long sur la folie et la bêtise des hommes.
Tout ça donne un premier roman détonnant, au langage plein de surprises qui a dû ravir la traductrice Carine Chichereau. Souvent cash, désespéré mais pas sordide, saupoudré d'un humour noir qui souligne les contrastes et affûte les points de vue. Une vraie découverte !
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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