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"Qu'il soit bon ou mauvais, ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde."
Avec un tel avertissement de l'auteur, la curiosité ne peut qu'être aiguisée ! Il faut dire que le projet est impressionnant puisqu'il s'agit rien moins que de retracer l'histoire italienne du début du XXe siècle jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Bof, me direz-vous, il suffit d'ouvrir un bon livre d'histoire ! Pourquoi donc écrire un livre sur ce sujet ? C'est que vous n'avez pas lu "Canal Mussolini" ! Là où les livres d'histoire précisent froidement dates et faits historiques, Antonio Pennacchi prend l'humain pour matériau et nous fait vivre la conquête mussolinienne de l'intérieur, nous faisant au passage appréhender comment peut s'installer un dictateur.
La nombreuse famille Peruzzi (les parents, leurs huit filles et neuf garçons, ainsi que les maris, femmes et enfants) sert de fil rouge à ce récit que prend en charge, sous forme d'un monologue bouillonnant, l'un des petits-fils du patriarche. Tout commence en 1904 lorsque le grand-père purge une peine de prison avec Rossoni, à cette époque syndicaliste révolutionnaire. C'est par l'intermédiaire de ce dernier que la famille fait connaissance avec Benito Mussolini. Paysans sans terre, les Peruzzi adhèrent tout naturellement aux idées socialistes de l'un et de l'autre, en particulier à celle qui les concerne de près : distribuer la terre à ceux qui la travaillent. La première guerre mondiale vient rebattre les cartes entre interventionnistes nationalistes, pacifistes, neutralistes. "Je ne sais pas si c'est très clair, mais c'était ainsi qu'il (Mussolini) expliquait les choses et, je le répète, mon grand-père non plus n'y voyait pas très clair" (p.76). Sans y voir beaucoup plus clair, les membres de la famille Peruzzi s'engagent donc aux côtés de Mussolini, revêtent la chemise noire, participent aux fasci et à la marche sur Rome. Spoliés par le comte Zorzi Vila en 1932, ils partent vers les marais Pontins où une terre leur est attribuée comme à plusieurs milliers d'autres paysans, chargés de mettre en valeur cette contrée inhospitalière pour en faire une région agricole moderne et productive autour du canal Mussolini.
Digressions, allers-retours temporels, enchevêtrements d'évènements dramatiques et historiques, évocation de la misère et de la faim... la narration utilise toutes les richesses de la langue orale et puise dans les parlers populaires avec truculence et énergie pour transmettre un point de vue subjectif, personnel, sur la période du fascisme en Italie. La mémoire familiale s'entrelace aux évènements historiques, ce qui donne au récit les couleurs d'une fresque épique et picaresque. La verve du narrateur s'empare des situations et des dialogues pour leur donner un ton comique et farfelu qui démythifie faits et personnages historiques.
"Quand nous avons envahi la Grèce, Adolph [...] a eu une syncope : "Qu'esse t'es allé fout' en Grèce sans rien m'dire ? T'aurais au moins pu m'avertir, non ?
-- Tu m'as peut-êt' averti quand t'es allé envahir la Pologne, la Tchécoslovaquie et maint'nant la Roumanie ?" (p.454)
Non seulement j'ai beaucoup ri, mais j'ai aussi beaucoup appris grâce à cette famille tentaculaire, cabocharde et impétueuse, qui traverse le temps, les guerres, le fascisme, en choisissant son camp sans jamais véritablement en comprendre les fondements idéologiques, à l'image de nombre de gens à cette époque. Certes, l'idée de responsabilité est évacuée dans le rire et l'ironie, mais il me semble que c'est une vision complémentaire de ce que nous apprennent les livres d'histoire. Une vision qui montre "le drame de la condition humaine : on est presque toujours condamné à vivre dans le tort en estimant avoir raison" (p.365).
Très bon livre. Drôle, plein de surprises, politiquement incorrect (quelle que soit votre définition de la correction). Et générateur de curiosité : ne connaissant pas grand chose à l'histoire italienne de l'époque (en gros, la première moitié du XXème siècle), j'ai écumé Wikipedia, et vais me trouver un livre sur cette période. Un seul regret : la traduction semble excellente, mais comme souvent avec les Italiens, on a très souvent conscience que l'on perd beaucoup de la richesse des dialectes (ici celui de Ferrare).
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