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Et c'est au Hevalo que Kool Herc a connu son illumination. Il s'est mis à enchaîner les parties rythmiques, les séquences qui rendaient dingues quand il les passait et dingues quand il ne les passait pas. Il posait deux copies du même disque sur les platines. Quand une séquence s'achevait d'un côté, il la faisait repartir de l'autre, le feu ne faiblissait pas. Il avait le compas dans l'oeil, l'aiguille retombait pile dans le sillon, le vinyle craquait comme s'il se déchirait, les tympans sifflaient, et ça n'en était que meilleur. Plusieurs fois le même tremblement, la même cascade, le morceau s'ouvrait, le temps se dilatait, la musique tournait sur elle-même comme un cyclone dont on n'apercevait plus le coeur, les danseurs cherchaient l'équilibre sans savoir où la vague les projetterait.Il avait trouvé un disque que personne ne connaissait, il en avait décollé l'étiquette et le cachait sous son sommier quand il dormait. Une reprise de « Apache » des Shadows dont il dirait plus tard qu'elle était l'hymne national du hip-hop. On aurait dit que la cavalerie débarquait, les cuivres sonnaient la charge dans un roulis de batterie et de percussions que Kool Herc prolongeait jusqu'à ce que la foule crie grâce. Il appelait ça « le manège ». Il attendait deux heures du matin, l'heure la plus brûlante de la nuit, pour nouer sa boucle, rajoutant de la vitesse à la vitesse, de l'écho à l'écho, de la transe à la transe, déroulant sous les pieds de ses fidèles une terre souple sur laquelle ils rebondissaient, une terre pour rivaliser d'audace et d'héroïsme, une terre pour s'envoler, faire des vrilles et des sauts périlleux.Les mélodies s'effaçaient dans la scansion du rythme, le rythme infernal de la ville qui tremble, qui vacille et palpite, son coeur malade, son coeur vaillant, son battement obsédant, son squelette fendillé, son corps désossé, le corps maigre et juvénile de la ville qui renaît. Soudain on n'entendait plus les chanteurs, on n'y faisait plus attention, un espace vierge s'ouvrait devant nous, une nouvelle page comme une mer à traverser, un sable humide pour imprimer nos pas. Coke La Rock ne lâchait plus le micro, et d'autres le réclamaient à leur tour, ils se pressaient autour de lui, malgré les consignes et les menaces, ils se massaient autour des platines, ils sautaient sur l'estrade, ils étaient si nombreux que le sol menaçait de s'effondrer.
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Dernière réaction par Jean-Thomas ARA il y a 2 jours
Dernière réaction par Yannis Fardeau il y a 5 jours
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