"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Sur les photos, les personnes en keffieh, ce sont des Palestiniens ? - Non, ma famille. - Votre famille, ce sont des Palestiniens ? - Non, des Libanais. - Pourquoi alors les avoir couverts d'un keffieh palestinien ? » Il est interdit à un citoyen libanais de se rendre en Israël. Le narrateur, un jeune photographe franco-libanais, décide d'enfreindre la loi de son pays. Arrivé à l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, il subit un interrogatoire de plusieurs heures. Les questions fusent et se répètent. « Comment s appelle votre mère ? Comment s appelle votre père ? Comment vous appelez-vous ? » Des questions qui reviennent comme une berceuse et qui voudraient obliger le narrateur à se définir de manière définitive. Lui qui avait pensé faire ce voyage pour mettre Beyrouth entre parenthèses...
Remarquable de pertinence, aussi doux que dur ! Enivrant même ! A lire bien entendu ! CM
J'ai beaucoup aimé ce court roman ( 138 pages) .
De la finesse, beaucoup d'humour pour traiter un sujet hautement complexe et sensible : le Liban, Israël, la Palestine.
[...Quand Israéliens et Palestiniens accepteront finalement de s'asseoir à la table des négociations, choisirez-vous de vous asseoir avec les Israéliens ou les Palestiens ? », Emile Habibi avait répondu : « Je choisirai d'être la table. »...]
L’histoire, c’est quand les hommes violent la géographie. Parce que des deux côtés de la frontière entre le Liban et Israël, près de Metulla, les oliviers sont identiques, le miel a le même goût et quand les hommes veulent s’insulter ils disent « kess emek » (la chatte à ta mère). C’est d’ailleurs le nom d’un projet de l’auteur, photographe, qui s’était mis en tête de mêler les visages de deux familles, l’une arabe, l’autre juive, pour montrer que, bordel de merde, ils sont tous sémites.
De ces images, et de toutes les autres, il devra rendre compte à l’aéroport Ben Gourion, dans la salle d’interrogatoire, face à la douanière qui lui demande des centaines de fois qui sont ses ancêtres et d’où il vient.
« D’où je viens ? » demande Sabyl Ghoussoub. Elle est bien là, la question. Je suis suif, libanais, palestinien, chrétien maronite, j’habite cette terre de mes accents et de mes doutes, et je n’ai aucune envie de trancher, car vos haines ne me concernent pas. Ma grande aspiration c’est, selon l’expression populaire, devenir un mec qui boit de l’arak sous son arbre. Pas de vieilles rancunes, pas de politique. À l’image de cette nouvelle génération que le récit des guerres du passé a lassée.
Pour aimer ce livre, il faut avoir été touché par des films comme « Valse avec Bachir », « Incendies » ou plus récemment « l’insulte », bref ressentir le déchirement des Libanais, prisonniers de leurs compromis, et en éprouver une profonde empathie. J’ai eu la chance d’assister à un mariage chrétien maronite à Beyrouth, il y a quelques années. Messe catholique en arabe, arak sous les oliviers et musique de Bachar Mar-Khalifé. Inoubliable. Ce sont peut-être ces souvenirs que « Beyrouth entre parenthèses » a réveillés en moi.
Bilan :
L’universalité : ma Terre ! S’il est un livre dont les pages résisteront au cri du temps, aux larmes, aux étreintes invisibles, c’est celui-ci, « Beyrouth entre parenthèses ». Profond, fondamental, voyez la gravité, les possibilités écorchées vives au fronton des errances. La terre fragmentée, les hommes frontières encerclant le moindre soupir. S’il est un homme debout, qui n’a jamais mis un genou à terre. Il est un homme éveillé, désirant le sublime, croire, résister, détourner l’irrévocable. Fouler Israël, la Belle, La Palestine, le chant et l’espérance en étendard, Le Liban, la sagesse et les couleurs. Se frayer un passage entre l’idéologie, les religions, les certitudes faussées, c’est lui, le narrateur (doublure de l’auteur Sabyl Ghoussoub). Ecoutez ses paroles cosmopolites, fédératrices, implacables et justes. Ce dernier, malgré le fait qu’il soit franco-libanais, veut aller en Israël, ce qui est interdit. Rose une galériste de Tel-Aviv et amie l’attend. « Pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre que lorsqu’on est libanais, Israël, on n’y va pas. » « Partir à la recherche de vénérables synagogues pleines de charme dans les vieilles ruelles pentues du vieux quartier de Salef. » « Me revient ce sticker « ICTS Security » collé sur mes bagages au départ, à l’aéroport de Paris. » Interrogé par une femme agente à l’aéroport de Tel Aviv les questions vont s’enchaîner. « -Où habitez-Vous ? -A paris. -Mais encore ? -A Beyrouth. -Je ne comprends pas. – Moi non plus madame. » Notre héros rabat les cartes. Dépose sur la table des interrogatoires, ce qui échappe à tout entendement. Ce qu’il désire le plus, être en communion. Refouler du pied les frontières mentales, les colonies, les doutes, les citronniers abattus, le manque d’eau pour La Palestine. Retrouver l’équité, le passage des rois, des prophètes, la liberté d’aller et venir. La tension enfle. « Notez-moi tous les numéros de téléphone de votre entourage au Liban, en France… Donnez-moi votre téléphone… » Les évènements vont monter crescendo. L’auteur plus qu’une ombre souffle sur les braises brûlantes. Le feu repart. Le Liban entre parenthèses, taire la famille, l’origine. Laissez le crucial. Fouler Israël l’interdite pourquoi ? Les photos de sa famille en Keffieh palestinien expriment l’invisibilité, la résistance, l’anonymat. « - Vos parents sont chrétiens ? -Maronites, ascendant communiste. Un sacré mélange, je ne vous raconte pas… » « Mais il a fallu que mon père me jette au cœur de cette famille, de ce passé, de cette descendance. Une prison en plein air que lui-même a cherché à fuir. Toute sa vie, et que tout homme devrait quitter aussitôt arrivé. » L’agente est acide, froide, calculatrice. Notre photographe est quelque peu déstabilisé, inquiet. L’échange est osé, risqué. Il retire sa carapace, les faux-semblants des peuples ennemis, les non-dits. Il rassemble l’épars. Fouler Israël comme un pied de nez à l’adversité. Etre libre, bousculer les diktats, l’ordre établi. Devenir cosmopolite, vibrant, frère en humanité de tous. S’il est un passage à transcrire sur les murs d’absoluité c’est celui-ci « Quand Israéliens et Palestiniens accepteront finalement de s’asseoir à la table des négociations, choisirez-vous de vous asseoir avec les Israéliens ou les Palestiens ? », Emile Habibi avait répondu : « Je choisirai d’être la table. » Ce grand livre est une bouffée d’oxygène, un récit certifié, politique, engagé et sincère. En lice pour Le Prix Hors Concours 2020 et c’est une grande chance. Publié par les Editions l’Antilope.
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