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Quel obscur désir anime Stéphane Sorge, un critique littéraire respecté, alors qu'il enquête sur une jeune booktubeuse, consacrant ses coups de coeur vidéo à des dystopies grand public?
Au gré d'une intrigue hypnotique, le bref thriller de Frédéric Ciriez se fait tour à tour drôle, érotique et assassin. Il incarne avec une cruauté loufoque les enjeux actuels de l'industrie culturelle, ses splendeurs déchues, ses leurres en vogue et ses lueurs insoupçonnées.
Un critique littéraire et une booktubeuse: deux mondes différents, deux approches opposées, un cocktail détonnant. Super style. Très original. Un très beau moment de lecture, une écriture moderne et impactante. Je vous le recommande !
Choc des cultures dans le monde littéraire
En confrontant une booktubeuse et un critique littéraire du Monde des livres, Frédéric Ciriez nous offre un truculent jeu de massacre. Avec quelques arrière-pensées?
Deux personnages, deux parcours diamétralment opposés et deux manières de concevoir leur rôle de médiateur. Les écrivains et les cinéastes ont compris le potentiel de romans et de scénarios qui confrontent des acteurs qui n’ont à priori rien à faire ensemble. Parmi les derniers exemples en date, on peut citer Pactum Salis d’Olivier Bourdeaut et Abdel et la comtesse d’Isabelle Doval.
Frédéric Ciriez a choisi de Confronter Stéphane van Hamme et Betty Leroy. Stéphane étudie les lettres et écrit ses premiers articles pour le Pélican lettré, une revue lilloise. Il choisit alors le pseudonyme de Stéphane Sorge. « Son patronyme se réfère discrètement au Très-Haut, roman où Maurice Blanchot met en scène un certain Henri Sorge – « souci » en allemand. En 1948, année de publication du Très-Haut, la philosophie heideggérienne dominait en France et trouvait des échos chez quelques écrivains préoccupés par le » souci de l’être ». Henri Sorge porte le nom d’une inquiétude. Stéphane Sorge devient le nom d’un critique littéraire de vingt et un ans. » Au fil des ans, il va parvenir à se faire une place dans le milieu parisien. Il est pigiste pour le magazine Books et pour le Monde des livres, chroniqueur sur Paris Première et livre également sous un autre pseudonyme des articles à Télé 2 semaines. Mais, à l’image de la presse écrite, sa situation n’en demeure pas moins précaire. La part consacrée à la culture et plus particulièrement aux livres à tendance à se restreindre, tout comme ses lecteurs qui sont en majorité des lectrices. « Il se dit parfois avec une pointe d’amusement qu’il mène une activité professionnelle de femme, à destination des femmes. La seule issue serait de changer de sexe, ou de devenir trans-critique. »
Betty a pour sa part eu envie de partager ses lectures, principalement les dystopies (récit dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur et entend mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie) et la littérature young adult. La jeune fille a choisi internet et la vidéo comme média et créé sa chaîne intitulée «BettieBook». Un passe-temps qu’elle pratique à côté de son emploi dans un centre de bronzage à Melun, ce qui ne l’empêche nullement de réussir, car ses vidéos sont suivies par quelque 30000 abonnés. Il faut dire qu’elle a su trouvé le ton juste et a su s’approprier les codes qui correspondent à son public. Sur sa page d’accueil, elle a imaginé une souris en train de grignoter un livre et un slogan approprié « Lectrice et petite souris qui voit tout, tout, tout, suis-moi dans la maison des livres. »
Quand Stéphane Sorge, qui est chargé d’enquêter sur ce nouveau phénomène, la contacte, elle est ravie de l’acueillir, car tout est bon pour accroître encore sa notoriété. Le critique littéraire, quant à lui, s’imagine déjà manger tout cru cette petite souris. Sauf que cette fois, la souris a du répondant : « Nous, on parle directement à nos abonnés, ce sont nos égaux. Ce qui nous intéresse, c’est le partage. On n’est pas comme les critiques littéraires classiques qui ne connaissent pas leurs lecteurs. » Sans oublier que notre érudit est soupçonné d’avoir parlé d’un livre sans l’avoir lu. De quoi régaler tous ceux qui souhaitent prendre sa place!
On sent que Frédéric Ciriez s’est beaucoup amusé à décrire les deux milieux, à alimenter de ses propres expériences cette satire des milieux littéraires, à conjuguer des auteurs réels avec des situations fictives. À moins que… Si ce livre n’est pas un roman à clé, il n’en dépeint pas moins parfaitement les usages, les rivalités, les mesquineries et autres coups bas ou renvois d’ascenseur espérés.
J’imagine que le plaisir que j’ai pris à le lire tient sans doute au fait que j’ai été d’abord l’un – critique littéraire durant plus de dix ans au sein d’un hebdomadaire – puis l’autre avec la création de mon blog littéraire et que je peux dire jusqu’où la réalité dépasse la fiction.
Mais la plume de Frédéric Ciriez ravira aussi les lecteurs qui ne sont pas du sérail, car elle mordante, inventive et joyeusement impertinente. Je vous laisse par exemple imaginer la tempête dans le crâne de Stéphane quand il se retrouve dans le lit de Betty. Tout le reste est littérature! http://urlz.fr/75qK
Bon, commençons par le commencement : ce livre est né d'une résidence d'écrivain qui a eu lieu en 2015 à l'Université Paris Nanterre auprès d'étudiants en master 2 Métiers du livre. Le sujet portait sur « la question de la critique littéraire envisagée comme une écriture de création à part entière ». (Oh, comme ça m'aurait intéressée… j'aimerais parfois retourner sur les bancs de l'école...)
Que ce sujet ne vous effraie pas : ce roman, plein d'humour, pose un regard acéré et satirique sur l'état de la critique littéraire et les difficultés de la presse écrite qui se voit un peu délaissée, notamment par les jeunes ultraconnectés qui, s'ils ont l'idée d'acheter un livre, consulteront plus facilement Internet (les blogs - très bonne idée, je ne peux que les encourager…- , les sites de lecteurs ou les vidéos de booktubers.)
Les chiffres sont là, la critique maintenant passe moins par les professionnels que par n'importe quel quidam qui poste son avis pour inviter les lecteurs à partager son coup de coeur ou bien, au contraire, leur permettre de faire une économie substantielle d'une vingtaine d'euros. Est-ce à dire que la critique s'est démocratisée ? Il y a certainement un peu de ça, c'est évident...
« BettieBook » est justement le nom du site d'une jeune et jolie lectrice booktubeuse, Bettie Leroy, passionnée par les livres, notamment les dystopies et dont les critiques sont lues par un nombre incalculable de followers. (Ah, il va falloir vous habituer à une langue branchée! Moi, j'interroge régulièrement mes propres gamins sur le sens de certains termes et une fois que j'ai compris à quoi ça renvoie, il faut qu'on m'explique... à quoi ça sert !)
L'autre personnage se nomme Stéphane Sorge : il est critique littéraire « papier et TV » (quel ringard!): il écrit dans Le Monde des livres, Books, Paris Première, Livres Hebdo, les Échos week-end, Télé 2 semaines et Lovely Lady (pour ces deux derniers, sous pseudo), il est invité à droite à gauche à des dîners mondains et littéraires dans des lieux prestigieux, fréquente les Salons du livre, participe, en tant que juré, à des prix littéraires, rencontre des auteurs, des attachées de presse avec lesquelles il couche, reçoit des services de presse en pagaille qu'il n'ouvre pas, les revend chez Gibert dès qu'il peut et lit parfois un peu vite les livres dont il parle…
Il fait aussi un peu de télé...
Il gagne 2700 euros net par mois « toutes piges confondues ».
Quand il a le temps et besoin d'arrondir encore un peu ses fins de mois, il devient nègre.
Portrait peu flatteur s'il en est...
Un jour, sa chef de service du Monde des livres lui demande de faire un reportage sur « les booktubeurs et les influenceurs littéraires du web. »
Un monde totalement inconnu pour lui.
C'est là qu'il découvre BettieBook. C'est une booktubeuse influente.
« Plus on la voit, plus elle vit. Plus on s'abonne à sa chaîne, plus elle existe. Elle est un média, l'actualisation sans fin d'un corps et d'un discours. Elle est BettieBook. »
Il la rencontre lors du Salon du livre de Noël. Elle répond en toute simplicité à ses questions : non, elle ne le connaît pas, n'a jamais entendu parler de lui. Elle aime partager sa passion avec ses abonnés qui sont un peu ses amis, elle travaille dans un salon de bronzage parce que ses vidéos ne lui rapportent rien. Quand il lui demande :« Qu'est-ce qui te rend heureuse ? », elle répond: lire. Il lui pose la question qui le hante : « Tu lis Le Monde des livres ? » Elle dit: « Non, je l'habite, lol. » Il dit : « Pardon ? » Elle dit : « Ben oui, j'habite le nouveau monde des livres. Pas l'ancien où tu travailles. » Il pense : « Tu vas le payer. » Il dit : « Tu manques pas d'humour! » Elle dit : « Ben les auteures d'aujourd'hui, c'est nous. La preuve, t'es là pour moi. »
Oh, que c'est dur, oh, que ça fait mal… C'est la chute. Il faut redescendre sur terre, quitter le piédestal : les temps ont changé.
Notre critique dort mal, « il pense à la fille qui lui a rappelé sa condition de vieux exerçant un métier de vieux sur un support de vieux. » Il finit par s'abonner à sa chaîne Youtube.
Alors qu'il se voit sombrer petit à petit, elle grimpe dans l'audience, il descend, elle monte, plus haut, toujours plus haut : « Ses revenus à lui ont baissé de 27 % en une année. Sa notoriété à elle a crû de 200 % en six mois. Il se sent en bout de course. Elle réfléchit à de nouvelles opportunités professionnelles, aimerait être repérée par un YouTube-manager qui lui trouverait des plans. Il se demande comment il va joindre les deux bouts pour les fêtes de fin d'année, songe à un crédit conso chez Cetelem. Elle se fixe l'objectif des 60 000 abonnés pour Noël. Ses cheveux à lui sont ternes. Jamais elle ne s'est sentie aussi belle, aussi Bettie, autant BettieBook. Son avis a moins de poids dans les prix littéraires où il tapine. Elle envisage de postuler au jury du prix Orange de la Nouvelle numérique. Il a envie de vomir alors qu'il passe le portique de sécurité de la télé. Elle sait au plus profond d'elle- même qu'elle ne restera pas longtemps végéter à Melun chez So'leil. Ses vidéos le fascinent. Elle pense que les vieux médias doivent mourir. »
Stéphane, notre pauvre critique déchu en voie de fossilisation, rumine. Un sombre désir de vengeance s'empare soudain de lui : que va-t-il pouvoir faire pour ralentir la folle ascension de Bettie ? Quel beau croche-pied inventer pour qu'elle se vautre ?
Attention, le pire est possible quand on n'a plus grand-chose à perdre...
Frédéric Ciriez à la fois auteur et critique pose le problème des mutations de la critique littéraire dans un roman où la rencontre, que dis-je, la collision fracassante et explosive de deux mondes, deux milieux complètement opposés produit un décalage vraiment très drôle. Par exemple, l'univers actuel des youtubeurs est rendu de façon extrêmement réaliste, notamment à travers l'emploi de leur jargon que notre critique Stéphane ne connaît absolument pas : une initiation s'impose ! Choc générationnel hilarant !
Mais ce roman peut aussi être lu aussi comme un roman noir à suspense, une sorte de thriller où l'on s'interroge jusqu'à la fin (et encore après - cela devient assez vertigineux même) sur le jeu du vrai et du faux, des apparences et de la réalité, de la superficialité et des profondeurs. On bascule lentement mais sûrement dans la pire des dystopies. Belle mise en abyme !
Cela dit, derrière le côté fantaisiste et cocasse, le propos est étourdissant de lucidité, de justesse et pose des questions essentielles : « la critique est-elle dans un état critique ? » pour reprendre les mots mêmes du roman, y a-t-il vraiment une ancienne et nouvelle critique ? comment les définir l'une et l'autre ? s'opposent-elles vraiment ou bien se complètent-elles ? y a-t-il un lien entre le fond (la critique elle-même) et la forme (le support employé) ? à qui s'adressent-t-elles ? parlent-elles des mêmes livres ? l'une est-elle plus « honnête » que l'autre ? cette mutation de la critique est-elle le reflet même d'une mutation de la littérature ?
Allez, je vous laisse réfléchir à tout cela !
Un bon moment de lecture en tout cas !
LIREAULIT http://lireaulit.blogspot.fr/
Bettie Leroy est une jeune booktubeuse. Sa chaîne Youtube s’appelle BettieBook et son slogan est "lectrice et petite souris qui voit tout, tout, tout, suis-moi dans la maison des livres". Elle chronique essentiellement de la dystopie, voit son nombre d’abonnés sans cesse augmenter et elle méprise la critique littéraire traditionnelle qu’elle considère comme has been. Parce qu’elle ne vit pas de sa passion malgré sa popularité, elle travaille en parallèle dans un centre de bronzage à Melun.
Stéphane Sorge est un critique littéraire autant respecté que craint dans le tout Paris. C’est un sniper de la critique au point qu’il est surnommé le S.S. Il est dans toutes les bonnes soirées littéraires mais il est sur la pente descendante. Il est obligé de faire des piges dans des magazines de seconde zone (sous pseudo évidemment sinon c’est la honte). En même temps, il ne lit pas toujours les livres qu’il reçoit (il est plus intéressant de lire Détective) et ne se gène pas pour pomper ses avis sur le web.
Bref, nous avons affaire dans ce roman à deux mondes bien distincts et pourtant réunis par la littérature et l’arrogance.
Stéphane décide de faire un article sur les booktubeuses et prend contact avec Bettie. Au fur et à mesure de leurs rencontres s’instaure entre eux un jeu du chat et de la souris malsain. Jusqu’au jour où Stéphane décide de se venger de ce monde qui le menace…
À la manière du vocabulaire de l’espionnage, le livre est découpé en quatre parties, Money, Ideology, Compromise et Ego donnant l’acronyme M.I.C.E. (donc souris en anglais).
J’ai beaucoup aimé la première partie quand Frédéric Ciriez décrit ce milieu des booktubeuses et des critiques littéraires parce que j’y ai vu des choses véridiques (mais heureusement pas généralisées) comme l’avidité de reconnaissance quitte à être de mauvaise foi ou à montrer son cul pour y parvenir. Je ne parle même pas de ceux qui ne lisent pas les livres… Enfin bref, c’était jouissif !
Mais, au fur et à mesure, je n’ai pas vraiment compris les intentions de l’auteur et cette volonté à tout prix de vengeance de la part de Stéphane. Il me semblait qu’il avait plus à y perdre qu’autre chose. Et puis, la partie Compromise m’a mise mal à l’aise et pas parce qu’elle évoque le revenge porn. Si elle est essentielle pour bien comprendre la dernière partie, les longues descriptions des actes sexuels étaient pour beaucoup inutiles à mon humble avis. J’ai fini par avoir l’impression de visionner un mauvais porno.
La toute dernière partie qui évoque les conséquences judiciaires de l’affaire redonne de l’intérêt à l’histoire. La forme y est originale et il est intéressant de noter la façon dont les mensonges se tissent de part et d’autre. Et puis là je comprends finalement qu’il n’est pas intéressant de savoir pourquoi il y a ce revenge porn mais plutôt ce qu’il a d’important pour les deux personnages. J’aboutis à une conclusion terrifiante : la malhonnêteté et le « m’as-tu vu » priment toujours sur le reste. Rien ne sert d’être sincère, il faut juste être là, au bon moment pour ramasser le gros lot. C’est d’un tel cynisme (et réalisme car je n’ai pas eu besoin de ce livre pour m’en rendre compte) que ça m’a laissée sans voix.
Un livre qui me laisse une drôle d’impression, me met vraiment mal à l’aise.
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