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Dans une rue en chantier aux trottoirs défoncés vit nue, été comme hiver, Éva, Ève ou Awa, la jeune fille noire vagabonde, nue et pure face à un monde caniculaire basculant dans la révolte et le chaos. La brisera-t-il ? L'amour sera-t-il toujours une issue, un ancrage ?
« Awa ne savait pourquoi sa mémoire se heurtait implacablement aux portes battantes d'une cabine téléphonique qui n'existait plus, et ne voulait pas la conduire au-delà, comme si les lieux les plus éloignés de son enfance lui étaient formellement interdits. Interdit aussi le prénom que sa mère lui avait donné : comment avait-elle pu l'oublier ? Elle se sentait coupable. Peut-on se nommer soi-même ? Elle s'était souvent interrogée sans trouver de réponse susceptible d'apaiser ni sa peine, ni sa conscience, butant sur la double énigme de son nom et de sa date de naissance. Il lui fallait accepter l'éternel exil de la douceur maternelle, bercer la douleur de l'absence jusqu'à ce que, définitivement, elle s'endormît. Mais elle devait regarder devant elle, se dit Awa, résolue. Comme sur ce vélo qu'une fillette lui avait prêté dans le bois, demeurer toujours en mouvement pour maintenir l'équilibre : le dos droit, les yeux dirigés vers l'avenir. Pour Thomas qui l'avait élevée, pour sa mère à qui elle devait la vie, pour la vieille qui l'aimait avec les yeux, elle se promit de ne plus se laisser aller, elle se jura de vivre, de devenir femme. Elle était pleinement Awa, dressée, verticale, à la face du monde. »
Puissant, digne, ce récit est une marche dans le sombre de la nuit. La clarté qui s’élève subrepticement est donnante. Elle annonce l’écriture généreuse et observatrice de Juliette Keating. Le style appuyé dans cette apothéose du dire, dosé dans ce juste qui affirme une connaissance extrême des êtres égarés dans le brouillard de l’irrévocable. L’histoire est acide comme un citron pressé. Belle et ténébreuse elle dépasse le calme et l’aérien. Offre une Awa battante, enfant perdue dans le labyrinthe d’une naissance refoulée, dans une vérité existentielle. Awa que l’on voit s’émanciper à l’orée des êtres qui sont pour elle des sauveurs de la faim, de la soif et des donnants d’amour. Une tendresse offerte, allouée aux gestes altruistes. « Elle pensa à sa mère, mais faute de souvenir, c’était une pensée absolue, libérée de l’incarnation, du dessin particulier d’un visage : l’idée pure de la maternité. Elle ne la jugeait pas puisqu’elle ignorait ce qui était arrivé à la femme qui l’avait mise au monde. Awa ne pouvait croire qu’elle l’eût abandonnée. Elle était une enfant perdue. » Thomas ,l’homme bon, qui aura veillé sur cette enfant jusqu’au midi où elle deviendra femme. La symbolique de ce départ de Thomas est un éveil pour le lecteur (trice). Pure Awa, Eve, Eva s’affranchie. Raphaël, ce jeune homme qui fuit la caste familiale, en manque d’amour paternel, sait lire les nuances au travers de cette jeune fille battante, abandonnée, jetée en pâture à la horde des nantis. Les lignes sont sublimes, telles des rayons flamboyants dont l’encre sociétale abreuve les égarés. Ce récit symbolique se vit en intériorité lorsque le passage de l’ombre à la lumière affirme son diapason. Juliette Keating écrit la vie, l’authentique. Awa ne lâche jamais la main du lecteur (trice) et c’est une chance fabuleuse. Publié par Les Editions Le Ver à Soie Virginie Symaniec , Awa est en lice pour Le Prix Hors Concours 2019 Gaëlle Bohé.
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