A l´instant où je suis descendu de l´appareil, armes à la main et manteau d´hiver vissé sur le haut du corps, j´ai senti mon cerveau se congeler. Mes jambes ont été prises d´assaut par un engourdissement douloureux et mes bras se crispaient, provoquant des crampes dévastatrices. Mais j´étais incapable de déterminer si mon corps réagissait sous le coup du froid, de la terreur ou de l´excitation. Ces dernières semaines avaient brisé le cours de ma vie de manière si soudaine qu´elles étaient investies d´un irrésistible pouvoir d´attraction. Maintenant que les événements se concrétisaient, tout devenait palpable, réel, effrayant. Je voyais certains soldats blessés, apeurés, hurlant de douleur, parfois, et je me sentais complètement perdu. Et la neige n´arrangeait rien. Malgré mes vêtements d´hiver, mes pieds avaient été ensevelis dans ce manteau blanc humide, et mon corps trempé et gelé en quelques minutes. Le bruit tout autour de moi brouillait l´ensemble de mes sens. La guerre m´avait submergé comme une immense vague venant de nulle part. Je la goûtais, je la sentais, je la voyais, je la touchais et je l´entendais. Elle faisait maintenant partie de moi et je faisais partie d´elle. C´était elle, mon seul univers, à présent. - Thomas Dalrey (suite et fin de la trilogie "40 000 kilomètres plus loin" de Philippe Lecrenier.)
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