"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C’est avec plaisir que nous retrouvons le jeune Silvère cinq ans plus tard.
« L’année des demoiselles » fait suite à « La table d’ardoise », romans d’apprentissage qui nous content la jeunesse d’un jeune solognot au Domaine de La Rougellerie où son père, Edgard, occupe la profession de garde-régisseur.
Nous sommes en 1964 et notre héros entame sa quinzième année. Une année bien mouvementée, de nombreux événements, souvent tragiques pimentent le récit de ce deuxième tome.
Cela commence bien mal, puisqu’en février, Silvère perd sa maman adorée, Lucienne, et devra se relever grâce à la gentillesse et la bienveillance de tout le personnel du Domaine et de son papa, qui malgré la charge de travail, veille tendrement sur lui.
Dans un premier temps, il se replie sur lui-même, aménage sa chambre dans les combles des communs et confie ses sombres pensées et ses secrets au portrait de sa maman. Puis avec le printemps, il prend conscience du retour à la vie en observant les verts tendres de la végétation renaissante et le ballet des demoiselles, ces jolies libellules bleues. La nature ne meurt, elle, jamais et il doit en être pareillement pour la nature humaine.
Puis il y a les autres demoiselles, Jacqueline, la fille du fermier, sensiblement du même âge que Silvère, et Gwenllawouen, une jeune fille de vingt ans, débarquée quelque mois plus tôt de sa Bretagne natale, toutes deux employées comme domestiques au château. Après leurs journées de travail au service de Monsieur et Madame ou pendant leurs moments de liberté, elles retrouvent Silvère pour écouter Salut les Copains à la radio où en soirée les programmes de la télé.
La canicule sévira cet été-là, néanmoins, les distractions seront nombreuses. L’arrivée d’un camp de scouts sur l’exploitation permettra à notre jeune homme de participer aux activités et de découvrir la camaraderie. La période estivale sera ponctuée, également, des activités du Domaine, grande chasse, battage, sans oublier aux alentours les fêtes traditionnelles des villages. De quoi reprendre goût à la vie, mais la disparition d’un scout et le décès d’un participant à la grande battue vont vite plomber cette belle euphorie.
Quarante ans plus tard, un épilogue inattendu nous apporte la réponse à ces malheureux faits divers.
La lecture de ces deux tomes, particulièrement pour les gens de ma génération, s’avère savoureuse. Il se dégage des notes, de sérénité dans la description de la nature omniprésente, de nostalgie, au gré des paragraphes ponctués des refrains de chansons de l’époque. Du roman d’apprentissage initial, Yves Porthier-Rhétoré nous entraine, finalement, dans un habile roman policier.
Cerise sur le gâteau, à la fin de cet ouvrage nous avons droit à un bonus, une étude sur les programmations télévisuelles balbutiantes de l’année : La TV de 1964 à travers Télé 7 jours.
Souvenirs, souvenirs….
Vous les copains, je n’vous oublierai jamais
Toute la vie, nous s’rons toujours des amis
[ …..]
Si un jour, nous sommes séparés
Nous, on sait que note cœur ne changera jamais
[…..]
Si l’un de nous quelquefois a des ennuis
On est tous là, on se met tous avec lui
ET DOUA DI DI DOUA DI DUM DI DI DOU
Sheila – Vous les Copains
Un grand merci à Corsaire Editions et à sa collection Regain de lecture pour ce bain de jouvence.
La table d’ardoise, d’Yves Portier-Réthoré, est un roman initiatique et de terroir.
Silvère porte bien son prénom, puisque natif de la Sologne, région boisée qui berce douillettement son enfance. En cette année 1959, il a dix ans d’existence heureuse au milieu du domaine de la Rougellerie à Chaumont-sur-Tharonne. Existence baignée par la nature et ponctuée par le rythme des saisons. Le domaine du château, vaste cour de récréation, représente une aire magnifique de liberté, mais parfois également, une prison dorée car coupé du monde. Il habite les communs, papa Edgar est régisseur du domaine, maman Lucienne gère le foyer, et Micheline, sa bien-aimée sœur, travaille comme domestique au château pour Madame et Monsieur, avec une camarade, une autre Micheline.
Ce sont les premiers jours d’été, comme tout enfant de son âge, Silvère joue aux petites voitures ou dessine, installé à la table d’ardoise devant la demeure. En grandissant, il devient plus audacieux et curieux. Il aime, lorsque les parents sont endormis, sortir par la fenêtre pour des balades nocturnes teintées d’onirisme : « L’écureuil lui montre le chemin, de branche en branche, et il monte aussi agile que la petite boule rousse devant lui …. », « Si haut ! La bestiole s’arrête, s’assoit et sourit à Silvère. Mais oui, elle lui sourit tout naturellement, Silvère n’en est même pas étonné… », « Une cohorte de bêtes se pressent sur les branches alentour. Des lapins et lapines, des faisans avec leurs petits, des merles bavards, des geais superbes, et même un chevreuil au pelage blond et soyeux font la causette sous une lune complice et bienveillante. Des bruits de pas se font entendre au pied de l’arbre. Ce sont ses copains d’école, suivi du maître, de ses parents, de sa sœur, qui lui font un signe d’amitié et continuent leur chemin. Une chouette vient lui raconter les potins de son petit monde, tandis qu’une pipistrelle vient frôler son oreille et va se suspendre en face de lui. »
Ce petit monde merveilleux s’anime autour de lui, mais malgré tout a la couleur de la monotonie, à force de les voir tous les jours choses et gens deviennent des objets communs. Or, en ce mois de juin, son père lui apprend la venue de Tino pour aider l’équipe d’entretien du domaine. Un jeune homme, venu d’Italie, qui bien vite fait l’unanimité et Silvère ne tarde pas à se prendre d’amitié et le suit dans ses travaux. On lui a aménagé un local d’habitation vétuste dans une dépendance. Pour briser sa solitude, les parents de Silvère invitent Tino à venir voir la télévision, le soir après la journée de labeur, avec les deux Micheline. Cela permet aux deux jeunes femmes, pas trop téméraires, d’être raccompagnées par le jeune italien puisqu’elles dorment sur leur lieu de travail au château. Et ce qui devait arriver arriva, la Micheline sœur tombe amoureuse du beau Tino et la réciproque est vraie, le jeune homme s’amourache, également, de la sémillante sœur. Cela déplait fortement à Silvère, qui ébauche un plan pour faire capoter cette idylle. Il se sent floué et dans son esprit d’enfant ne discerne pas trop les limites entre amitié et amour, mais il n’est pas au courant des conséquences que son plan pourra entrainer.
Bien que Silvère dans ce récit ait dix ans de plus que moi, j’ai retrouvé dans ce livre une part de mon enfance. Une sœur ainée aimée, comme un modèle, qui aiguise votre imagination et vous pousse à l’épier (ils ont dix ans de différence), l’arrivée de la télévision qui bouleverse le rythme de la soirée (je me rappelle les soirs ou mes parents invitaient les voisins pour regarder la pièce de théâtre ou La Piste aux Etoiles). « La table d’ardoise » est un ouvrage rafraichissant, le petit Silvère nous touche par ses questionnements, son besoin d’empathie et ses efforts qui seront bien mal récompensés. Une belle plume, également, au service d’élégantes descriptions de la nature. L’iconographie qui jalonne ce récit provenant de divers fonds présente les différents personnages et lui confère plus de force.
Belle lecture, merci à Corsaire Editions et à sa collection Regain de Lecture.
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