"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Arthur Rinxent est policier stagiaire, et se trouve confronté à la mort violente de jeunes enfants.
Julie Lyorac est une jeune institutrice ; quelques uns de ses élèves disparaissent mystérieusement.
Les deux s'allient pour enquêter dans une banlieue bordelaise à l'abandon, où Jérémie, un des élèves de Julie, cherche à venger la mort de ses amis.
"Delicatessen". Les plus anciens se souviennent certainement de ce film de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet sorti en 1991. Les plus jeunes devraient se précipiter dans le premier ciné-club ou la première chaîne télé-cinéma venus qui repasse le film.
Il y a incontestablement du "Delicatessen" dans ce roman, avec cette tour bordelaise à l'abandon où toute une humanité d'enfants et de jeunes adultes s'organise pour survivre. Malheureusement, il n'y a pas dans ce livre la poésie que Caro et Jeunet avaient su insuffler dans leur film. Ici on reste dans le sombre, le glauque, la peur ; l'espoir a quasi disparu...
Les personnages sont hauts en couleur ; peut-être un peu trop. On n'est pas très loin de la carricature.
L'intrigue est improbable, quasi surréaliste, comme dans le film. Mais c'est certainement l'intention de l'auteur. Ne l'en blâmons pas.
L'écriture est originale. Elle m'a paru tantôt légère, fluide et facile à lire, tantôt un peu lourde et rebutante. Mais c'est surtout le rythme du récit qui m'a perturbé : l'abus de changements de points de vue m'a souvent égaré, a nuit à la qualité de lecture.
Un roman noir original, mais pas totalement convaincant.
Chronique illustrée : http://michelgiraud.fr/2023/07/09/la-tour-des-enfants-perdus-pierre-willi-cairn-delicatessen-sur-garonne-original/
Quelle ambiance les amis, quelle ambiance ! Pierre Willi décrit un hameau ravagé par l'inactivité, l'alcool, les armes et sans doute une certaine consanguinité qui ne donne rien de bon. C'est opaque, poisseux, noir, ça sent le purin, le lisier, les relents d'alcool que les parents des jeunes ingurgitent en grosse quantité et la poudre. La langue de Pierre Willi est âpre, hachée, argotique parfois, technique lorsqu'elle parle des armes, use de néologismes de francisations de termes anglo-saxons ; elle fait parler alternativement un narrateur omniscient ou Paulin qui n'est pas un Saint (j'ai essayé de l'éviter celle-ci, mais je n'ai pas pu, mes doigts ont surpassé ma volonté de donner une peu de tenue à cette chronique). Un bémol cependant, malgré tous mes compliments sur l'écriture de l'auteur, j'ai trouvé que le bouquin tardait à démarrer et que même lorsque le sang avait commencé de couler, il manquait du rythme, ce qui est paradoxal pour une fuite en avant. Peut-être trop de répétitions des doutes, questionnements de Paulin quant à sa capacité à protéger Nana ? Il tourne en rond Paulin, et je peux le comprendre, dans cette situation, j'imagine que je ferais pareil, mais là, j'aurais aimé qu'il avançât plus vite, peut-être en enlevant quelques pages ???
Bémol léger au regard de l'atmosphère qu'a su créer Pierre Willi, de ses saillies sur divers points comme la vie rurale traditionnelle qui se meurt au profit d'une vie plus moderne et totalement inféodée aux grandes entreprises et à la société de consommation : "J'entendais Raymond vitupérer devant notre téléviseur, puis grogner, puis seulement marmonner, soupirer et enfin pleurer silencieusement dans son verre. Pourquoi notre blé, il ne valait soudainement plus rien ? Personne n'en voulait plus de notre blé ! Et nos semences, pourquoi on n'avait plus le droit de les réutiliser ? Pourquoi fallait-il les racheter à des gangsters industriels ? Raymond, il se croyait défendu par le grand syndicat. Quand il a découvert que ce que voulait le grand syndicat, c'était une mégaferme par village et pas plus, quand il a enfin compris que les motivations profondes des grands chefs syndicalistes, c'était de faire plaisir aux industriels, d'engraisser les gros beaucerons et d'exterminer la petite paysannerie, ça lui a donné comme un coup de bâton derrière le crâne et il s'en est jamais remis." (p.71/72)
En résumé, si je ne suis pas super emballé par l'histoire, je le suis totalement par les personnages, les lieux, l'écriture qui sait décrire une ambiance glauque et pesante, un truc qui collera longtemps à mes synapses. Très visuel, très cinématographique. Très noir. Du vrai du bon polar qui tache avec des vrais morceaux de la vraie vie dedans.
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