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C'est un roman teinté d'une douce mélancolie, à l'image de cette photo de couverture aux couleurs passées sur laquelle les silhouettes tentent de résister à l'oubli, à l’effacement. C'est un roman qui interroge le réel, défie les frontières avec l'imaginaire et joue avec les ressorts de la création. C'est aussi un hommage, une stèle de papier offerte à ceux dont l'existence pourrait passer inaperçue, à moins que quelqu'un ne s'y intéresse. Dans Cora dans la spirale, Vincent Message fait dire à son héros " Je rêve d'un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d'incertitudes, et de répétitions pour qu'elles acquièrent la force des mythes" ; c'est un peu ce qu'entreprend de faire celui d'Une ville de papier, en remontant le fil du destin méconnu d'un homme qui a juste tracé un point sur une carte.
Il s'appelle Desmond Crothers et il est employé de la General Drafting, une entreprise florissante de cartographie basée à New York. Nous sommes en 1931, l'automobile est en plein essor et quelques entreprises se partagent le juteux marché des cartes routières. Pour éviter les plagiats, chaque nouvelle carte est dotée d'un Copyright Trap c'est à dire un piège, un élément fictif ajouté volontairement pour repérer les copies. Élément à haute valeur ajoutée romanesque, imaginez toutes ces villes ou rivières ou collines ou autres dont les noms figurent sur des milliers de cartes sans que personne ne s'aperçoive de rien... Mais revenons à Desmond. Le jeune homme se voit confier la mission de trouver le Copyright Trap de la prochaine carte du Grand Est américain, il lui faut imaginer le lieu, lui trouver un nom d'après une histoire personnelle et singulière qui sera gage d'authenticité. Fiancé à Rosamelia, il décide de baptiser sa ville de papier de l'union de leurs deux prénoms qui précédera de peu la leur. Rosamond est née et je vous laisse découvrir pourquoi elle est placée là où elle est. Fin de l'histoire ? Pas du tout, ce n'est que le début. Quelques décennies plus tard, un journaliste intrigué par le sujet de ces Copyright Traps s'intéresse plus particulièrement à Rosamond lorsqu'il découvre que la ville semble avoir une réelle existence. Comment ce lieu fictif s'est-il ancré dans la réalité ? Que vient faire Hitchkock dans l'histoire ? Et cette élection de Miss Rosamond ? Quant à Walt Disney...
Ce qui est passionnant, en suivant l'avancée des recherches sur l'enchaînement de faits qui ont abouti à donner une existence à Rosamond, c'est de se laisser porter par la puissance des histoires, du hasard, des petites pierres qui tracent un chemin. De s'apercevoir qu'à chaque étape, un individu peut se contenter de ce qu'il voit, ou imaginer (croire, inventer) autre chose. Desmond Crothers a-t-il connu l'évolution de sa ville de papier ? C'est ce que tente d'établir le narrateur-enquêteur et c'est ainsi qu'il fait naître l'émotion, en mettant en lumière celui dont l'imagination est à l'origine de tant d'autres idées, fantasmes, créations. Il y a quelque chose de tout simplement merveilleux dans cette histoire, comme si un héros de papier quittait son livre pour s'installer dans votre canapé, ou un acteur traversait l'écran pour prendre place dans le fauteuil jouxtant le vôtre.
"La mélancolie, ce n'est pas être nostalgique des choses du passé mais savoir qu'elles ne reviendront plus. Moi, ce qui m'attriste, c'est qu'il y ait tant de choses ou de personnes qui disparaissent et qu'on oublie. Je voudrais que ces gens-là, tout particulièrement, on ne les oublie pas".
(Chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
Dans les années trente aux Etats-Unis, en plein boom de l’industrie automobile, les compagnies pétrolières encouragent la consommation de carburant en distribuant gratuitement des cartes routières. Les cartographes se protègent alors du plagiat en introduisant des erreurs volontaires dans leurs documents, souvent par l’ajout d’une ville ou d’un lieu imaginaires. Parmi ces « villes de papier », Agloe dans l’état de New York, transposée dans ce livre en Rosamond dans le Maine, a connu un sort très particulier, puisque ce lieu fictif a fini par devenir réel, avant de retomber dans le presque néant quatre-vingts ans plus tard.
Quel étonnant et pittoresque livre que celui-ci ! Brodant autour d’un fait réel, l’imagination de l’auteur nous entraîne dans une passionnante enquête aux multiples rebondissements, qui se dévore sans jamais laisser retomber ni la curiosité ni la surprise. Entre des protagonistes anonymes aux destins peu ordinaires et souvent émouvants, mais aussi de grands noms que cette histoire exploite avec humour, entre concours de circonstances et événements parfois spectaculaires, l’on ouvre des yeux d’enfant ébahi devant ce récit aux allures de conte poétique, où réalité et irréalité échangent constamment leurs visages, au fil d’une écriture précise, limpide et magnétique.
J’ai été envoûtée sans réserve par cette lecture fascinante, où ce qui n’aurait pu être qu’une anecdote originale devient une épopée aussi captivante que poignante : une petite pépite à ne manquer sous aucun prétexte ! Coup de coeur.
Fascinant, envoûtant, captivant, magnétique… Voici les adjectifs qui me viennent à l'esprit pour décrire le dernier roman d'Olivier Hodasava : « Une ville de papier », publié chez Inculte et cela tient, je crois, à trois éléments : le sujet, la construction et l'écriture.
Le sujet : alors là, accrochez-vous...
Nous sommes dans les années trente, aux États-Unis, en plein essor de l'industrie automobile. Pour inciter la population à parcourir les grands espaces américains, les géants du pétrole via les stations-services leur offrent des cartes routières…
Avril 1931 : le patron de la General Drafting, société spécialisée dans la cartographie, invite un de ses employés, un certain Desmond Crothers, à déjeuner dans un restaurant chic de New-York. Il veut en effet le remercier pour son travail sérieux et consciencieux. Pour ce faire, il va lui proposer d'ajouter un « Copyright Trap » de son choix sur la carte du Grand Est américain pour laquelle ils sont en train de travailler. Un « Copyright Trap » ? Quèsaco ? Ah ah, vous n'avez jamais entendu parler de cette bête-là ? Eh bien, figurez-vous que pour s'assurer de ne pas être copiés par des concurrents et donc pour protéger leurs droits d'auteurs, jusque dans les années 80/90, les concepteurs de cartes ajoutaient... une ville imaginaire. Ainsi, s'ils retrouvaient celle-ci sur la carte d'un concurrent, il leur était très simple de prouver que leur travail avait été copié. Et ça existe vraiment les « Copyright Trap » ? Mais OUI ! Aussi incroyable que cela puisse paraître : allez jeter un coup d'oeil sur l'article Wikipédia… Il y a eu des villes imaginaires (Agloe, dans l'Etat de New York), des rues imaginaires et, toujours pour éviter le plagiat, dans des encyclopédies, vous pouvez aussi trouver des entrées imaginaires, des noms propres imaginaires… Comme je vous le disais, c'est fascinant ! Voilà qui aurait beaucoup plu à Borges, tiens ! Donc, revenons à notre employé modèle : il va donc avoir l'honneur de placer sur la carte de l'Est américain une ville fantôme dont il choisira le nom…
Sur ce point, je n'en dis pas plus sinon qu'après avoir parcouru les premières lignes, vous êtes littéralement ferré, happé, captivé et vous allez jusqu'au bout du roman d'une traite ! Je crois que ce livre a un pouvoir magique… Si, si...
Bon, à présent la construction : en fait, ce roman est l'histoire même de cette ville inventée par l'employé Desmond Crothers et l'on voit la façon dont différentes personnes ( un commerçant, une ancienne miss, Walt Disney lui-même, des hippies, Stefen King en personne…) se sont emparés de ce lieu, que ce soit pour y bâtir une épicerie, un podium, une cité ou bien comme sujet d'écriture… En fait, l'ensemble est présenté comme une enquête menée par un homme fasciné par le sujet et qui va interroger différents témoins : l'effet de réel marche à fond, ce qui fait que l'on croit vraiment à tout ce qui nous est raconté. Il y a, dans ce roman, un jeu important entre la fiction et la réalité qui est vertigineux. On passe de l'un à l'autre continuellement, et les repères entre l'illusion et le réel finissent par s'estomper, se brouiller et s'annuler voire s'inverser, car finalement, cette ville qui n'existe pas finit par avoir plus de consistance, plus d'histoire et donc plus de réalité que tout autre lieu. Ici, la fiction plaque au sol le réel qui ne se relève pas. La fonction performative du langage s'en donne à coeur joie. Je nomme, tu existes : ils y vont.
Par ailleurs, ces différents « témoins » interrogés créent un effet bluffant de mise en abyme : on a l'impression que tel ou tel petit détail de leur récit pourrait très bien être approfondi et donnerait lieu à une autre histoire qui s'ouvrirait à son tour sur un autre récit.
Et pour finir l'écriture : elle participe largement de cet effet de réel : en effet, les descriptions ainsi que l'exposé des faits, les gestes des personnages sont très précis, très minutieux, donnant l'impression au lecteur qu'il est là, présent, qu'il assiste à la scène. C'est stupéfiant.
Il faut dire aussi que certains détails du récit confèrent parfois à cette ville imaginaire un pouvoir presque magique, fantastique… On perd très vite nos repères, on ne sait plus où l'on est (malgré la carte que l'on a sous les yeux.) Impressionnant…
Pourquoi n'ai-je pas entendu parler de ce roman plus tôt ? Tiens, ça aussi c'est incroyable. Décidément !
Allez, vous n'avez aucune excuse, foncez !
PS : L'auteur, Olivier Hodasava, a un blog « Dreamlands Virtual Tour » : depuis 10 ans, il publie tous les jours des photos prises à partir de Google Maps et Google Street View. Il invente des petites histoires, propose quelques commentaires poétiques ou esthétiques… Il est l'un des fondateurs de l'OuCarPo : l'Ouvroir de Cartographie Potentielle, sur le modèle de l'OuLiPo. Jetez-y un petit coup d'oeil !
LIRE AU LIT le blog
Bienvenue dans le Maine du début des années 30 !
A la recherche d'une ville fantôme à l'époque des Copyright Traps, quand les cartographes rivalisaient d'astuce pour éviter les plagiats sur leur travail.
Desmond Crothers est l'un d'eux, employé dans une firme qui cartographie le territoire de l'Etat du Maine pour le compte d'une grande compagnie pétrolière en plein boom de l'industrie automobile.
La ville de Rosamond est sa signature, sa ville de papier née de la moitié de son prénom et celui de sa fiancée. Oui, mais il n'avait pas prévu que le sceau de sa vie intime allait devenir un lieu habité, que chacun va tenter de s'approprier, un endroit fait de blanc, qui a vécu et a disparu.
Un lieu où il reste des souvenirs que seuls les vestiges des anciennes échoppes, les stores, aux peintures écaillées donnent à contempler.
Des images qui m'ont fait penser aux photos de Walker Evans dans sa recherche de capter l'ordinaire invisible, le patrimoine vernaculaire, la culture du quotidien, le plus beau et le plus touchant.
J'ai suivi à l'aveugle la folle aventure du narrateur dans cet ouvrage exceptionnel parce qu'il est touche plusieurs domaines que j'affectionne particulièrement, l'enquête journalistique, l'histoire, la cartographie avec pour ancrage la construction d'une communauté d'hommes et de femmes au hasard d'une simple borne posée le long d'une route.
Cet ouvrage, un oLni, m'a vraiment passionnée de bout en bout en me laissant une petite pointe de nostalgie envers la ville de papier.
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