"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
My Seddik Rabbaj est romancier et vit à Marrakech ; j'ai déjà eu le bonheur de le lire dans son superbe roman précédent Le lutteur. Dans ce dernier, il faisait le portrait d'un jeune homme doué pour la lutte, don qui allait le sortir de sa misère. Dans Nos parents nous blessent avant de mourir, le romancier parle des femmes de son pays. Les hommes n'ont pas le beau rôle, usant et abusant de leur droit de décider de la vie de leurs épouses, filles ou sœurs. Dès les premières pages, on sent la différence entre les droits et les devoirs des hommes et des femmes au Maroc en 1950, mais aussi de nos jours. La femme est soumise à son mari et même à la famille d'icelui lorsqu'elle s'installe chez lui. C'est ce qu'apprendra Habiba dès la semaine qui suit son mariage, elle avait été protégée jusque là par une grande sœur et un grand frère aimants. "Son rôle était d'égayer les jours de son homme, d'être la nuit un objet de soulagement et le jour un accessoire de fantaisie qu'on exhibait avec ostentation pour montrer qu'on était important, qu'on était capable d'avoir à ses côtés une jeune et belle femme." (p.84)
Malgré cette oppression, les femmes marocaines sont omniprésentes. Ce sont elles qui transmettent. Grâce à elles, les hommes peuvent vivre. En écrivant cela, j'ai la sensation d'enfoncer des portes ouvertes, et puis finalement pas tant que cela, lorsque j'entends encore autour de moi des femmes se plaindre du manque de participation de leurs conjoints aux tâches ménagères, à l'éducation des enfants...
My Seddik Rabbaj écrit un roman profondément féministe qui parle de femmes rebelles qui pourtant ont grandi comme les autres dans des familles modestes avec l'éducation courante. Des femmes qui osent relever le défi de l'égalité sans pour autant nier leur féminité et leur amour des hommes. Son livre est fort, sans temps mort, il parle aussi de l'histoire du Maroc, de Marrakech et d'Essaouira. Je ne connais pas le Maroc, je le découvrirai volontiers et notamment ces deux villes, mais à ma façon, pas à celle des tour-opérateurs. Je veux aller chez les gens, les rencontrer. Bon, revenons à ce très beau roman, vif, dynamique, emmené par des femmes volontaires. My Seddik Rabbaj est un raconteur d'histoires, l'un de ceux dont on ne peut pas lâcher les livres. Ce roman tombe en plus pile dans une période où l'on parle beaucoup d'égalité des sexes, de respect de la femme. Je vous le conseille ardemment. Et quel titre !
Ça commence comme une histoire terrible, une guerre entre deux clans, l'extermination de l'un par l'autre et la fuite de Yahya l'adolescent et de sa famille, son père étant resté combattre ; ça continue comme un conte des milles et une nuits, Yahya et sa famille rencontrant enfin un monde de paix où tout le monde vit en apparente harmonie. Et puis, petit à petit, le lecteur prend conscience que ce monde régit par le Cheikh est une sorte de dictature religieuse : tout est dominé par le Coran et son interprétation par le maître des lieux. Yahya réussit à se hisser dans la garde rapprochée du Cheikh grâce à sa stature et son talent mettant ainsi sa famille à l'abri, fort heureusement pour eux, les noirs n'étant pas bien vus dans le pays. D'ailleurs, Yahya faisant preuve d'une bravoure sans pareille pendant les combats est surnommé par ses adversaires, le diable noir, ils le pensent réellement envoûté. Tout est sous le joug du Cheikh et de la religion, le roman est rythmé par les prières, les prêches du Cheikh (ils sont mentionnés, mais My Seddik Rabbaj nous en épargne la plus grande partie ne citant que quelques passages marquants).
Un très beau roman d'aventures, un roman d'initiation et d'amour qui demande une lecture assez lente pour ne rien en perdre. My Seddik Rabbaj a une écriture qui fait ressortir les odeurs, les couleurs et les sons. A ce propos, le quatrième chapitre consacré au moussem est absolument magnifique. Le moussem est au Maghreb, une fête régionale religieuse qui associe la prière, le commerce et des épreuves : la lutte pour celui de La Zaouya (lieu dans lequel vit Yahya) et un spectacle avec les prouesses de chaque tribu présente. L'auteur décrit toutes les tribus, leurs couleurs de vêtements, leurs particularités physiques et les épreuves qu'elles présentent toutes plus fantastiques les unes que les autres. Tout est tellement beau et fort que Yahya tarde à se rendre compte de la main mise du Cheikh ; il faudra qu'il tombe amoureux pour que ses yeux s'ouvrent.
Un roman qui traite des thèmes difficiles du racisme et de l'intégrisme religieux par un biais original et qui s'intéresse à ses héros, des petites gens qui n'aspirent qu'à vivre tranquillement et en parfaite harmonie avec les autres. On pourrait presque tomber dans le panneau de cette vie idéale chez le Cheikh, cette sorte d'utopie où tout le monde semble heureux et épanoui, mais My Seddiik Rebbaj sait avec habileté mettre dans son récit toutes les traces de l'intolérance, de la domination et de la soumission.
Le serpent à plumes renaît avec entre autres cet ouvrage, soutenu par les éditions de l'Aube, une bien belle manière de renaître.
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