"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Jamais j’oublierai les chaussures vertes de Chepe Molina »… Les pompes en serpent, trop classe ! A Villeradieuse (quel nom !), Colombie, on peut s’habiller des pieds à la tête, pour trois fois rien grâce au croquemort qui refourgue les fringues « tendance » des morts (prématurément et violemment). La mode (enfin, celle du coin, plutôt bling bling) à la portée du premier petit blaireau qui voudrait frimer comme les copains. Le must de l’économie circulaire, des nippes somptueuses, à peine trouées, percées ou délicatement déchirées aux quelques endroits qu’une lame ou un projectile a perforés. A ce détail près, comme neuves, on vous dit.
Voici un sommet d’humour noir, une réflexion acide sans aucune complaisance sur le monde des narcotrafiquants, ses caïds, ses hommes de main et tous ceux qui rêvent de le devenir. A travers le narrateur, jeune rêveur désoeuvré, on perçoit la désolation d’une société où l’unique ascenseur social est le crime. Tout y est : le défilé du petit peuple sous le joug des narcotrafiquants, le club de foot qu’ils financent, les tueurs drogués et stupides, la mère courage qui n’a plus peur à force d’avoir eu trop peur trop longtemps, les gamins qui rêvent de porter les mêmes fringues que les sicarios. Les flics, les avocats, les politiciens, toute une faune bien nourrie, occupée à obéir à ceux qu’elle devrait neutraliser : les caïds qui réussissent. Toujours les plus violents, les plus déterminés, les plus cruels, les plus inhumains.
On imagine, en creux (et à travers le personnage de Lorena, la belle qui ne cède pas au Patron), le calvaire de ceux qui, obligés de vivre dans un tel cloaque, tentent de rester droits et honnêtes, de vivre une vie à peu près normale. Et au final, on se pose une dernière question, la question qui tue (elle aussi) : quid de la responsabilité du consommateur lambda ou des happy few qui consomment de la cocaïne sans chercher à savoir comment elle est parvenue jusqu’à eux, combien de douleur et de chagrin, elle a déjà causé ?
Le Mort était trop grand est une charge féroce et sarcastique sur l’enfer que le trafic de drogue a installé dans le pays de l’auteur. Pourtant, et c’est sa force, ce roman est une farce éblouissante, un cocktail enivrant de saynètes désopilantes, de dialogues hilarants à travers le regard et les pensées d’un petit branleur sans le sou qui vit aux crochets de sa mère et qui prend des airs dans des fringues de marque. Le personnage de don Efrem est l’archétype du mafieux qui a réussi parce qu’il est plus violent, plus outrancier, plus cruel, plus cupide que les autres. Plus malin, peut-être aussi ? Pas vraiment, c’est un assassin ignare, stupide, grossier et l’auteur ne lui fait aucun cadeau. « Des gens cultivés travaillent sous mes ordres. A quoi ça me servirait, bordel, d’avoir de la culture ! »
Dans une inventivité permanente, colorée et musicale (très cinématographique), le texte est truffé de bons mots et de clins d’œil savoureusement décalés. On pense à Balzac (la description longuette de l’épicerie de dona Gloria confinée dans un garage, sorte de pension Vauquer en miniature colorée) ou à Molière et son Bourgeois Gentilhomme. Même si le Monsieur Jourdain de Rivas, narcotrafiquant de son état, n’a rien d’un gentilhomme, même si sa prose est à vomir, pour séduire la belle et inaccessible Lorena, comme Jourdain qui soupirait pour la marquise, il s’en remet, lui aussi, à la culture et à la poésie.
Les dialogues fleurissent, impayables. Il y en a pour tous les personnages, y compris les seconds rôles, au bistrot où les vieux plastronnent et pérorent, avec les tueurs qui, apercevant les fringues de leur dernière victime sur le dos d’un jeune blanc bec, se croient victime d’un revenant, à la morgue où on a installé un salon d’essayage.
Le Mort était trop grand est tout simplement ma meilleure lecture de l’année. En 2011, à la foire du livre de Guadalajara, on avait désigné Rivas comme l’un des « 25 secrets les mieux gardés d’Amérique latine ». Les secrets sont faits pour être dévoilés, c’est fait.
Lu dans le cadre des "Explorateurs de la rentrée littéraire 2019"
Manuel, le narrateur, est un jeune homme de Villeradieuse, ville imaginaire de Colombie, au nom qui sent l’ironie. L’agglomération est sous la coupe de deux narcotrafiquants, amis d'enfance puis ennemis jurés, qui la mettent à feu et à sang dans une guerre des gangs impitoyable, se rendant coup pour coup, avec une escalade dans la violence.
La plupart des adolescents travaillent pour un des caïds où rêvent de le faire, car les emplois sont rares, et pour assurer ce qui semble le plus important pour ces jeunes - leur apparence - il faut du fric et beaucoup de débrouille, quitte à envisager les plans les plus foireux.
Le look, il en est beaucoup question pendant une bonne centaine de pages, avec pour chaque personnage une description détaillée de ce qu'il porte, de la tête aux pieds. J’ai trouvé cela plutôt amusant au début, puis un peu lourd, l’histoire restant un peu trop poussive.
En revanche, j'ai beaucoup aimé le style de l'auteur qui rend bien, dans le ton et les dialogues, cette ambiance de jeunesse désœuvrée, sans tomber dans la vulgarité – ou à peine –, ni abuser d'un langage argotique.
Le récit m’a ensuite fait penser à une farce tragi-comique, avec dans le rôle principal don Efrem, à la fois roi et bouffon, «bourgeois gentilhomme» revisité à la sauce caïd Colombien qui, entre l'organisation d'un transport de drogue, de la pose d'une bombe, ou de quelques assassinats, prend des cours de maintien, soigne son langage, découvre la lecture et même la poésie pour plaire à la belle Lorena.
Ces passages sont pour moi les plus réussis du livre, l'auteur maniant la dérision d'une manière fine et féroce, avec des dialogues jubilatoires entre la belle et la bête et un humour corrosif.
L’autre grande force du récit, c’est l'alternance du burlesque, à l'image de Gamin et Merveille, tueurs qui croient voir un revenant quand passe devant eux Manuel dans les habits de leur dernière cible, et du tragique, avec l'avalanche de victimes que génère la guéguerre entre les deux boss, nous rappelant la réalité de cette ville Colombienne où la violence et la mort font partie du quotidien. Une certaine distance évite toutefois de basculer dans le sordide.
Des personnages particulièrement hauts en couleurs gravitent autour du Patron. Des lieutenants lui obéissant au doigt et à l’oeil, ainsi qu’une flopée de soldats qui, espérant monter dans la hiérarchie, se retrouvent parfois dans une mission suicide, le conflit ne se souciant pas des sans-grades.
J'ai passé un bon moment avec Manuel et tous les protagonistes de ce roman, avec une petite réserve en raison d’un certain manque de constance dans le rythme. J'ai eu à plusieurs reprises l’impression de passer d’un passage d’une grande intensité à un autre se traînant un peu, faisant retomber l’intérêt. Les nombreux extraits de chansons qui émaillent le texte ont également fini par me lasser, tout comme les multiples descriptions de fringues déjà citées.
Petit clin d’œil pour clore cette chronique : Le livre aurait pu s’intituler « À la poursuite des chaussures vertes », celles-ci revenant en leitmotiv du début à la fin du récit.
**** Explorateurs de la rentrée littéraire****
Manuel est un jeune homme qui a vu la plupart de ses amis d’enfance tomber dans l’univers des narcotrafiquants. Issu d’une famille modeste, le jeune homme vit sa vie sans trop se poser de questions, observe son environnement et rêve secrètement de faire partie lui aussi du cercle intime d’un grand Patron. Mais tout cela à un prix, et notre jeune protagoniste, au fil des rencontres, va vivre des moments marquants et endosser la tenue d’un homme dont la tête fût mise à prix quelques mois auparavant…
Les premières pages du roman m’ont déroutée d’un point de vue stylistique. J’ai été surprise pour ne pas dire déstabilisée par le style atypique de l’auteur qui « balance » les mots tels des boulets de canons qu’il m’était difficile de suivre. Certaines phrases étaient tellement étendues que je ne parvenais pas à reprendre mon souffle. Est-ce un moyen pour l’auteur de fondre le lecteur dans un environnement où tout peut se passer en un millième de seconde ? C’est fort probable, cette façon d’aligner les mots incite le lecteur à se concentrer. Cependant, au fur et à mesure, les chapitres se sont enchaînés, les dialogues se sont installés et je me suis finalement habituée à la narration. A l’instar d’un Don Winslow, Luis Miguel Rivas utilise un vocabulaire de la rue, sans filtre et fidèle à l’environnement du récit.
L’univers des narcotrafiquants est connu pour sa violence et ses règlements de comptes entre clans. L’auteur a choisi de jouer la carte de l’humour pour narrer les agissements les plus sombres et les plus controversés des barons de la drogue et de leurs sbires. Le ton est sec et d’une transparence mesurée. La violence des personnages est contrebalancée par leurs attitudes parfois cocasses : des bras-droits qui voient revenir des morts, un trafic de vêtements à la morgue, tout est tourné à la dérision. On se retrouve dans un environnement où la fierté, le courage et la parole sont censés être le combo gagnant pour remporter le respect tant désiré mais on découvre rapidement que la trahison et la mauvaise foi sont la face cachée du rêve vendu par les narcos.
J’ai apprécié la profondeur des personnages de Yovani et plus particulièrement du personnage principal, Manuel. Ce dernier nous apparaît comme un garçon comme les autres, qui grandit et voit les « Patrons » comme des modèles de réussite… mais pas trop. Ces personnages sont tentés par la gloire que l’univers des narcotrafiquants peut leur apporter, tel un effet de mode, mails ils vont rapidement comprendre que tout cela a un prix. Est-ce que ce qu’ils vont découvrir va les dissuader ? Est-ce que la moralité et la légitimité d’une vie classique pourront remplacer l’argent, les beaux habits et le respect que peut leur apporter leur vie auprès d’un grand Patron ? Cela est moins sûr car leur destin bascule le jour où ils décident d’acheter des vêtements à la morgue, marchant ainsi sur les plates-bandes du grand Cambalache, sbire de l’un des grands Patrons qui domine la ville.
En définitive, le roman Le Mort était trop grand porte bien son nom. Les morts qui composent ce récit sont des victimes collatérales ou des proches du milieu des narcos, des grands qui font pétiller les yeux mais qui, une fois le feu d’artifice terminé, ne sont plus aussi attractifs. L’auteur mêle avec subtilité dénonciation d’un univers qui transforme des petites villes tranquilles en champs de guerre et vante le courage qu’ont certain de vouloir s’en sortir, de faire face à l’oppression que les gangs peuvent faire subir. Mais est-ce aussi simple que cela que de dire non ? Je n’en suis pas si certaine, l’humour employé par Luis Miguel Rivas masque la réalité mais il aura au moins le mérite de décrédibiliser des « célébrités » de la rue en misant sur une démonstration de violence mesurée. Je recommanderai ce roman à tous ceux qui ont apprécié La Cité de Dieux de Paulo Lins et qui souhaite découvrir l’univers des Cartels sans pour autant tomber dans un flot de brutalité.
**** Rendez-vous de la page 100 - Explorateur(rice) de la Rentrée littéraire 2019 ****
Le mort était trop grand nous propose une fresque humoristique et caustique d’une petite ville fictive dominée par les narcotrafiquants, la ville de Villeradieuse en Colombie. Les premières pages nous font découvrir la vie tranquille de Manuel, le narrateur interne. Les codes de la rue sont donnés : style vestimentaire, fierté et fréquentations douteuses sont légions. Quoi de mieux pour se fondre dans la masse d’une ville où la violence des cartels et la pauvreté font rage. Mais prendre part à cette vie de voyous est-ce un choix ou obligation ?
C’est ce que les prochains chapitres vont nous faire découvrir, avec on l’espère, cadrage et émotion.
Explorateurs de le rentrée 2019 Avis complet (26 août 2019):
426e page… J’y suis arrivé. Après ma pause à la page 100, je persiste et signe : Luis Miguel Rivas a développé, pour ce roman, une écriture, à mes yeux, horripilante. Dès les premières pages, je me heurte à ce qui s’apparente à un mépris total des règles grammaticales et des conventions d’écriture. L’usage de la ponctuation est en conflit permanent avec les lois qui la régissent. Les termes choisis relèvent très, trop souvent, d’un anglais pauvrement francisé, d’une altération systématique des marques existantes et des paroles de chansons qui illustrent le récit. La lecture en devient lourde et vide de toute valeur ajoutée enrichissant le propos. De la même façon, l’usage du verlan, récurrent, n’apporte rien à la caricature des personnages de Manolo et Yovani, une paire des glandouilleurs ne vivant que pour la frime, le port ostentatoire de vêtements de marque alors qu’ils manquent de travail et de moyens.
Que cache ce choix d’une apparente pauvreté de style ? Est-ce une provocation ? Une manière, un peu paresseuse, de suivre l’évolution d’un parler populaire ne se donnant plus la peine d’un phrasé construit, riche et respectueux des règles ? Ou, plus tristement, est-ce seulement une écriture décalée qui permet à l’auteur visant la comédie, le burlesque, de se différencier de ses confrères et d’attirer de la sorte le regard des consommateurs du ‘monde littéraire’ sur sa production ?
Le roman se déroule à Villaradieuse, une petite ville de Colombie que se partagent deux Caïds de la drogue, Don Efrem et Moncada. Anciens partenaires en affaires devenus ennemis jurés, ils ne communiquent plus entre eux qu’à coups de bombes, de prises d’otages et, plus souvent encore, d’exécutions violentes. A Villaradieuse, certains tuent plus qu’ils ne respirent !
Que doit voir le lecteur dans ce roman ? Une apologie de la combine, de la violence ? Le fond du récit se limiterait-il au double message : D’une part, la vie se construit sur la vengeance et la ferme volonté d’écraser toute opposition par la force et dans le déni des lois et du droit de vivre de chacun et, d’autre part, la vie ne vaut la peine d’être vécue qu’au travers le cosmétique du paraître et la recherche éperdue de ‘secondes peaux’ étiquetées chevinon, naïke, versache ou autre disel, lacost et ribouks fristaïls ? Triste monde !
J’avoue avoir très vite eu l’impression d’avoir fait le tour de la question et m’être demandé quand il y aurait un brin de fraîcheur, d’humour autre que potache et une envolée d’humanité offrant aux lecteurs une bouffée de valeurs structurantes capable d’élever le mode de vie de chacun.
Finalement, il y aura Lorena. Don Efrem en tombera amoureux. Lui, c’est le patron, il a le fric mais pas d’éducation ni de sensibilité aux relations humaines. Il pense que tout s’achète et qu’il suffit d’arroser Lorena de signes de richesse pour gagner son cœur… et surtout, plus trivialement, son corps. Le niveau s’élève alors, enfin, lorsque Lorena, refusant une nouvelle dépense somptueuse, lui dit : ‘N’y voyez aucun mépris. J’ai pas besoin de vos cadeaux pour vous appréciez, vous savez…’ Ouf, la relation vraie a peut-être encore un avenir !
Et puis aussi, trop rarement, quelques articulations de phrases dont l’enchaînement fait sourire : ‘Elle a posé ses articles sur le tapis et a regardé avec admiration la caissière scanner à toutes vitesse les flocons d’avoine, les sacs de fruits et légumes, les sachets de sésame, de graines de tournesol, de lin, d’orge et les pots de yaourts, et les pots de céréales. Rien que des trucs bons pour la santé, l’horreur !’
Bref, à partir de l’idée loufoque, saugrenue mais, je l’avoue, originale qu’on peut faire des économies en achetant les vêtements de morts trucidés, Le Mort était trop grand est un récit qui se révèle peu drolatique. Il se perd dans une écriture ne servant pas la littérature et n’offrant que trop peu de modèles de vie dignes d’être lus. Une déception ! Le fait de proposer ce roman sous un label de comédie sauve-t-il la situation ? Selon moi, pas vraiment !
Mais, à chacun de s’en faire une idée en le lisant…
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