"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le point de départ c'est Isokanga, un jeune Ekonda, qui vit avec son oncle dans la forêt. Il a une seule envie partir pour être un acteur de la mondialisation. Son oncle n'a pas la mm vision et tient à continuer à préserver et a transmettre l'héritage de la forêt a Isokanga.
L'aventure commence quand ce dernier décidé de quitter son village pour la capitale Kinshasa. Le roman traite de nombreux sujets avec une pointe d'humour notamment : la guerre, l'exploitation des sous-sols par des pays étrangers (Chine), la présence équivoque de certaines organisations, les petites magouilles entre politiques etc.. on voit que chacun essaie de sortir son épingle du jeu pour avoir sa part de gâteau.
J'ai beaucoup apprécié la plume de l'auteur, je recommande vivement!
In Koli Jean Bofane choisit la fiction pour faire un état des lieux remarquable et remarqué du Congo, son pays natal.
Le héros qui va tisser la trame du roman empreint d’un certain suspense, est un jeune Pygmée Ekonda de 24 ans qui va quitter son village sis dans une forêt équatoriale protégée reconnue comme étant un des poumons de la planète. Un jour une antenne de télécommunication va y être implantée. Isookanga va profiter de la cérémonie pour subtiliser l’ordinateur d’une jeune femme blanche. Il va découvrir et se passionner pour un jeu vidéo à échelle mondiale, Raging trade.
Isookanga n’en peut plus de la jungle, des huttes, des traditions ancestrales. Il veut « mondialiser », faire du business, devenir riche, vivre avec son temps. Il va partir à Kinshasa.
« Un jour, Isookanga embarqua donc dans une baleinière vers Mbandaka-la-Douce, chef-lieu de la province de l’Equateur, alanguie au bord du fleuve Congo. A partir de là, la grande aventure pouvait commencer — Kin’ était la prochaine étape. »
(L’embarquement n’a pas été sans me faire penser à la description qu’en fait aussi Jean Rolin dans son article « En remontant le fleuve Congo » ; recueil ‘Vu sur la mer’.)
« Le jeune homme avait emprunté un bateau-pousseur qui descendait, venant de Kisangani, tirant des barges dont les surfaces s’allongeaient sur plus d’une centaine de mètres comme une ville flottante, mais avec la promiscuité d’un métro à l’heure de pointe. Des milliers de personnes occupaient chaque pouce du pont. Des marchandises de toutes sortes destinées à approvisionner la capitale jonchaient le sol, pendaient aux structures : des régimes de bananes plantains, du poisson séché par stock, des chèvres sur pieds, du gibier de différentes espèces, des sacs de braises et de manioc, es oiseaux exotiques, de l’huile de palme dans des fûts en PVC et, vers la proue, un singe captif, une corde lui ceignant le cou. La population grouillait : des mères-commerçantes, des émigrants ruraux, des péripatéticiennes mongo du clan Mongando, des coiffeurs-stylistes, es aspirants professeurs de droit et de mathématiques, des vendeurs de talisman, des mineurs en fugue, des intellectuels démobilisés, deux Maï-Maï (résistants congolais opérant au Kivu) en rupture de ban, des hommes et femmes de Dieu, des réfugiés de guerre… Les familles s’entassaient dans une cohue indescriptible…
— Putain, c’est pas possible toute cette flotte !
Isookanga, couché sur le pont, était emmitouflé dans sa couverture et réfléchissait, se laissant bercer par le vacarme antédiluvien du moteur diésel : —Plus de 80.800 mètres cubes par seconde s’épandant sur 4700 kilomètres — et l’humanité qui galère. (…) En 2025, il n’y aura plus que 5000 mètres cubes par habitant. Tout le monde aura un problème, sauf le Congo. Bientôt il n’y aura plus une seule goutte d’eau à offrir sur la planète. On devrait privatiser tout ça à des multinationales, les taxes arriveraient en cascade et les Congolais n’auraient même plus besoin de coopérer, en s’y prenant comme il faut, comme les Emiratis. La demande est là et l’offre coule, tranquille, livrée à elle-même et personne n’en a rien à cirer.»
L’auteur nous prépare à découvrir les personnages qu’Isookanga va rencontrer à Kinshasa et tenir les rôles incarnant pan par pan la société congolaise d’aujourd’hui.
Enfants sorciers, enfants voleurs, enfants putains, massacres ethniques sanguinaires, prédicateurs escrocs, croyances et superstitions, églises bidons, campagnes d’évangélisation maintenant de pauvres gens dans la crainte comme des troupeaux de brebis apeurées, superstitions profondément ancrées, instabilité politique, conflits armés, déficit d’infrastructures modernes, circoncision, châtiments barbares, eau en sachet, manque d’hygiène, amibes et virus touchant la quasi-totalité de la population, palu et sida, prostitution, manque de scolarisation et de formations, une jeunesse sans perspective d’emploi, fossé social vertigineux.
Le Congo est d’une pauvreté crasse alors que son sol regorge d’eau et de terres cultivables et surtout de minerais rares et convoités à profusion : or, diamants, cuivre, cobalt, platine, uranium, chrome, pétrole, fer, manganèse, aluminium, bauxite, niobium, hélium 3, béryl, cassitérite, tungstène, germanium et le coltan, (matière de base indispensable des mobiles et ordinateurs), dont la région du Kivu, région de conflits sanglants, en détient 80% des réserves mondiales.
Malgré son âge, Isookonga va rejoindre les enfants des rues, petits vendeurs à la sauvette appelés les Shayeurs. Pendant qu’ils vivent de débrouille dans les recoins du grand marché, des occidentaux sortis des universités du nord du globe avec leurs préjugés sur la souffrance africaine et spécialisés dans la culture, l’humanitaire et la résolution des conflits ou encore des officiers de l’ONU tel le Lituanien Mirnas qui se tape une petite gamine qui a échappé au massacre de sa famille, se retrouvent sous des paillotes à dîner et déguster de la tortue à la graine de courge accompagnée de patate douce frite. Les Chinois et leurs entreprises s’occupent d’énergie, de fourniture de matières premières en espionnant les sols du haut de sondes et satellites invisibles…
Les évènements de guérillas n’ont de cesse dans la région frontalière du Rwanda et six soldats uruguayens de l’ONU ont trouvé la mort dans les évènements survenus au Kamituga. Une enquête est en cours à New-York et va désigner deux coupables dont un Mututsi qui fut le leader des rebelles et instaura une terreur extrême au sein des populations du Kivu et tout l’est du Congo avec des exactions d’une rare cruauté en place publique. (Un peu de mal à lire ces passages de massacres et tortures diverses et variées…).
Ce criminel Tutsi sanguinaire (ex victime des Hutus), impuni, va devenir l’Administrateur du Parc Salonga, la région où se trouve le village d’Isookonga. Ces deux-là vont se rencontrer et être en accord concernant la « mondialisation » et que tous ces foutus arbres devraient être rasés.
Isookonga va aussi lier amitié avec un jeune Chinois conditionné à la culture maoïste et abandonné par son patron, un truand, qui lui laissera un CD avec une carte des ressources géologiques détaillée. Issokonga va vouloir faire de l’argent et le vendre à son nouvel ami Tutsi mais n’arrivera pas à temps.
Bref, l’auteur va natter les destins de ces nombreux personnages reflétant la société congolaise dans tous ses états et nous livrer un travail exceptionnel.
« L’algorithme Congo Inc. avait été imaginé au moment de dépecer l’Afrique, entre novembre 184 et février 1885 à Berlin. Sous le métayage de Léopold II, on l’avait rapidement développé afin de fournir au monde entier le caoutchouc de l’Équateur, sans quoi l’ère industrielle n’aurait pas pris son essor comme il le fallait à ce moment-là. Ensuite sa contribution à l’effort de la Première guerre mondiale avait été primordiale, même si celle-ci aurait pu – la plupart du temps — se mener à cheval, sans le Congo (…) depuis que les Allemands avaient élaboré le caoutchouc synthétique dès 1914. L’engagement de Congo Inc. dans le second conflit mondial fut décisif. Pour y apposer un point final, le concept mit à la disposition des États-Unis d’Amérique l’uranium de Shinkolobwe qui vitrifia une fois pour toutes Hiroshima et Nagasaki, instituant, du même coup et pour l’éternité, la théorie de dissuasion nucléaire. Il contribua généreusement à la dévastation du Vietnam en permettant aux hélicoptères Bell H1-Huey, les flancs béants, de cracher du haut des airs des millions de gerbe du cuivre de Likasi et Kolwezi à travers les villes et les campagnes, de Da Nang à Hanoï, en passant par Hué, Vinh, Lao Kay, Lang Son et le port de Haïphong. Durant la guerre l’algorithme demeura brûlant. Le combustible garant de son bon fonctionnement pouvait aussi être constitué d’hommes. Les guerriers Ngwaka, Mbunza, Luba, Basakata ou Lokele de Mobutu Sese Seko (…) allèrent répandre leur sang, du Biafra à Aouzou en passant par la front Line — face à l’Angola et Cuba —, par le Rwanda du côté de Byumba, en 1990. (…)
Fidèle au testament de Bismarck, Congo Inc. fut plus récemment désigné comme le pourvoyeur attitré de la mondialisation, chargé de livrer les minerais stratégiques pour la conquête de l’espace, la fabrication d’armements sophistiqués, l’industrie pétrolière, la production de matériel de télécommunication high-tech.»
On continue « à parfaire l’algorithme quelque part entre Washington, Londres, Bruxelles et Kigali. »…
Le vieil oncle du jeune Isookonga s’inquiète. Le grand léopard Nkoi Mobali s’est fait tuer par une horde de phacochères qui s’étaient déplacés loin de leur habitat. Déplacement de la faune, espèces en danger, dérèglement de la nature depuis que ce pylône des télécoms a été installé. On devrait s’inquiéter dit vieux Lomama… On devrait prévenir les autorités…
A travers le regard de l’innocence, l’auteur livre un travail fabuleux avec une tendresse, une rage et une sensibilité qui force le respect et mérite le salut du monde littéraire avec ses nombreux prix dont le Coup de cœur de Transfuge/MEET.
« —Raging Trade ? C’est quoi ?
— C’est un vidéo game pour mettre la main sur des matières premières, Vieux. Et ça se passe au Gondavanaland. »
Le seul titre me fait penser à une chanson de Luis Mariano que chantait beaucoup mon père : La belle de Cadix a des yeux de velours… La similitude s’arrête là.
Ichrak fait se pâmer tous les mâles du quartier populaire de Derb Taliane lorsqu’ils la regardent déambuler. Il se dégage d’elle un magnétisme augmenté par l’ondulation hypnotique de ses hanches.
Mais voilà, Ichrak est découverte morte une estafilade mortelle lui ayant coupé la carotide. Sese Tshimanga, son grand ami, a fait la macabre découverte. « Elle ne ressemblait plus à Ichrak, une balafre lui barrait la poitrine et avait découpé son vêtement : une gandoura noir, brodée de fil d’or. ». A Mokhtar Daoudi, le flic du quartier, de trouver le coupable
A partir de là, l’auteur raconte la vie quotidienne de Sese, migrant sans papier, arrivé, sans l’avoir voulu, à Casablanca. Depuis, il se débrouille avec de petits boulots, de petits trafics. « Sese était ce qu’on appelle un brouteur, un genre de cyber-séducteur africain. » Il séduit, via internet, les femmes esseulées occidentales. Très bon comédien et jamais à court d’idée, il les manipule, les fait craquer juste par ses paroles et elles lui envoient des mandats. C’est ce qu’il propose à Ichrak la sauvage qui, contre toute attente, accepte et essaie de séduire les mâles européens. Il n’y aura jamais rien entre eux que du respect. C’est sa grande sœur, son amie, sa « pire moto na ye ».
Le, leur, quartier est menacé par les promoteurs qui voudraient en faire un quartier classe avec de beaux immeubles. Avant, il faut déloger les miséreux et ce n’est pas chose facile, malgré les sbires de la belle madame Azzouz, mandatée par l’émir saoudien Saqr al-Jasser. Le saoudien sait ce que peut rapporter l’exploitation d’un concept. « Il comptait agir de même en construisant, sur les ruines de Derb Taliane et qui quartier Cuba des infrastructures au design futuriste, un hôtel cinq étoiles…. »
In Koli Jean Bofane brosse une peinture réaliste de ce quartier, de sa vie de misère, de tous les migrants qui y vivent, se débrouillent, du racisme latent… Une comédie sociale qui peut tourner au drame et le Chergui, vent qui rend fou, n’est pas là pour apaiser les corps et les esprits. Le petit plus, ce sont les expressions africaines que j’ai trouvées dans ce récit et, petits clins d’œil à nous lecteurs français de France, certains renvois comme l’explication du vase de Soissons.
Un livre plus social que policier, lu d’une traite et qui, malgré les différents thèmes sociaux abordés est bienveillant. In Koli Jean Bofane a l’art de dresser un portrait, un paysage, une action en peu de phrases imagées. Une description de Casablanca qui n’est pas celle des dépliants touristiques. Le marché aux esclaves qu’est devenu la Lybie fait froid dans le dos tant il est inhumain à l’heure de la mondialisation, les plus pauvres ne sont que monnaies d’échange sonnantes et trébuchantes.
J’ai beaucoup apprécié son écriture rythmée, vive, gaie, réaliste mais habillée d’une certaine poésie, où l’humour caustique ou pas est présent.
Monsieur In Koli Jean Bofane vous êtes un conteur qui sait captiver ses lecteurs.
Une très belle découverte et un coup de cœur
Lecture commune dans le cadre du cercle des lecteurs de la librairie le Cyprès
Dans Casa la belle, migrants et voyous se rencontrent dans les quartiers populaires. Sese est un jeune clandestin arrivé de Kinshasa. Il a atterri là alors qu'il pensait arriver en Normandie. Depuis il vivote en faisant casquer sur internet quelques européennes en mal d'amour, en les amadouant et en leur promettant la lune. Il était associé dans son petit business avec Ichrak.
Un matin, dans une ruelle peu fréquentée, il découvre la belle Ichrak morte, ensanglantée. Ichrak n'a pas de père et sa mère, la farouche Zahira, est folle depuis longtemps. Alors qui pouvait bien lui en vouloir ? Tous ! Car Ichrak la sublime avait la langue bien pendue et ne s'en laissait pas conter.
Et certainement pas par tous ces hommes concupiscents qui la guettaient et rêvaient de la soumettre à leur volonté. Ces nombreux hommes qui évoluent autour d'Ichrak, à commencer par le commissaire Daoudi, qui mène l'enquête. Lui-même est tombé sous le charme de la belle, mais n'a jamais réussi à la faire plier. Il y a bien sûr Sese le migrant, mais aussi Nordine le voyou, Farida la femme d'affaires avertie et son mari le très ambigu Cherkaoui, qui entretient une bien étrange relation avec Ichrak.
Dans ce quartier misérable, les migrants arrivent du Congo, du Cameroun, du Sénégal. Ils n'ont pas trouvé d'issue à leur course vers l'Europe et ont posé ici leurs maigres bagages. Ils squattent des immeubles miteux lorgnés par les promoteurs. Ces derniers rêvent de transformer les quartiers pauvres de Casablanca pour les proposer aux plus riches, centres commerciaux, palaces, immeubles de luxe remplaceraient opportunément ces ruines, pourvu que l'on puisse en chasser les habitants. Et l'auteur nous décrit, avec une gouaille et un sens du dialogue qui nous embarquent dans une sordide réalité, les malversations, magouilles et affaires qui se trament ici sous le manteau.
Chronique complète sur le blog https://domiclire.wordpress.com/2018/10/03/la-belle-de-casa-in-koli-jean-bofane/
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