"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il y a une trentaine d’années, la République Démocratique du Congo s’appelait encore Zaïre et étouffait toujours sous la dictature – certes faiblissante – de Mobutu. Le parvis de la Poste à Lubumbashi est le repaire des gamins des rues, orphelins ou fugueurs fatigués des contraintes de la vie familiale. A eux la liberté, faite de bagarres, de petite délinquance et de voyages délirants dans les vapeurs de colle. A eux les rêves de richesse, qui les poussent parfois jusqu’en Angola, où la guerre civile et le trafic de diamants font rage. Et malheur à celui qui échoue : comme Sanza à Lubumbashi, il pourrait bien être recruté par les cruels services de renseignements pour espionner les opposants politiques. Ou comme Molakisi à Lunda Norte en Angola, il pourrait bien perdre sa vie à la risquer dans les mines ou dans les rivières à la recherche de la précieuse pierre, en dépit de la protection de Tshiamuena, la madone des mines, vieillarde loufoque de 200 ans qui hurle et tempête et affabule pour régenter son royaume d’orpailleurs miséreux.
De chaque côté de la frontière, une cour des miracles joue sa survie au quotidien. Entre les deux, Franz, un improbable écrivain autrichien venu écrire un roman sur les gendarmes katangais, se voit prié d’écrire les mémoires de Tshiamuena. Cherchant l’inspiration jusqu’à Lubumbashi, il atterrit à la boîte de nuit « le Mambo de la fête », où tous ces petits mondes se retrouvent sur la piste pour la Danse du Vilain, une rumba endiablée, pour tout oublier, avant de recommencer.
« […] ils dansent
jusqu’à se briser l’épine dorsale
la danse du vilain
la danse de ceux qui méprisent l’argent
jettent l’argent par la porte
jettent l’argent par la fenêtre
par les latrines
et les égouts
des gamins, des gamins,
ils dansent et dansent
la merveilleuse danse du vilain ».
Dans une langue riche et inventive, avec des personnages hauts en couleurs et versatiles, l’auteur nous emmène à la rencontre de destins dans lesquels le chaos est l’ordinaire et où la nécessité fait loi. Roman baroque et fiévreux, teinté de réalisme magique, « La Danse du Vilain » nous fait virevolter, dans une ambiance de fin de règne, entre Zaïre et Angola, entre dictature et guerre civile, entre corruption et rébellion, entre ruée vers le diamant souvent calamiteuse et sens de la débrouille défiant toute morale. Un roman un peu trop exubérant à mon goût et, même si cela ne gêne pas trop la lecture, j’aurais aimé avoir davantage de repères pour éclairer le contexte historico-politique.
Un roman unique, véritablement original, tant sur le plan de la langue que sur celui de l'intrigue. Une langue imagée, fulgurante, à l'aune de l'Afrique, rayonnante, chaotique, violente, lumineuse.
Un texte, d'un abord parfois complexe, tant fond et forme se complètent et font ressortir le chaos. Un roman qui nous transporte dans un monde étrange, un univers époustouflant, ambitieux et fabuleux, de par les mythes et croyances partagés, la folie bienfaisante qui émerge du chaos, et la créativité de l'auteur.
On se jette à l'eau quand on ouvre la première page de ce bel ouvrage, et on se laisse emmener dans cette folle histoire, telle une fable des temps modernes, on apprend à voir les choses autrement. Ce livre c'est presque un prisme de lecture de l'Afrique - et de son histoire - telle que le narrateur veut nous la faire découvrir et c'est sans concession, mais enchanteur aussi, vivant, vivifiant même.
Merci, Fiston, pour cette fraîcheur, pour ce bain musical ! Vous nous donnez envie de danser avec vous !
Foisonnant et ensoleillé. Musique omniprésente, personnages tous plus barrés les uns que les autres. Ça part un peu dans tous les sens, aucun destin n'est tout tracé ni linéaire. Chaque anecdote devient un événement et chaque événement peut changer le cours d'une vie, autant pour la faire monter vers les sommets d'un pouvoir que pour plonger dans les abysses. Personne dans le roman de Fiston Mwanza Mujila n'est à l'abri de devenir quelqu'un d'important ni de replonger plus vite qu'il n'est monté.
Dans une région très troublée, le romancier met en scène des personnages qui ne le sont pas moins, qui ont envie de sortir de leur condition de pauvre, de se libérer du poids des liens familiaux, qui y parviennent plus ou moins. Travail précaire et peu payé, alcool, prostitution, guerres, tout cela constitue le fonds du roman, très présent, très fort dans lequel tentent de survivre Sanza, Tshiamuena, tous les chercheurs d'or et autres. Dans une langue très imagée, parfois très drôle il aborde des thèmes qui ne le sont pas toujours : "Des croyances plus persistantes encore sur l'homme blanc à mi-chemin du cannibalisme hantaient la tête des gens. Les esclaves convoyés dans des embarcations ne rentraient plus jamais. Alors ceux qui tentaient d'expliquer le phénomène conjecturaient que l'homme blanc les sectionnait en morceaux, grillait des bouts qu'il mangeait avec grand appétit. A partir de la viande qui restait, il confectionnait des fromages et, puisqu'il n'entreprenait jamais les choses à moitié, il remplissait des citernes de sang humain à partir duquel il fabriquait du vin de la même couleur." (p.71) C'est assez cocasse de trouver ce retournement de pensée, puisque l'homme blanc a longtemps eu peur de anthropophagie de l'homme noir qu'il venait coloniser et réduire en esclavage.
Fiston Mwanza Mujila est né en République Démocratique du Congo et vit en Autriche. La danse du Vilain est son deuxième roman.
L’écriture de ce roman est volubile, elle rehausse la richesse de l’oralité.
Deux grandes figures se détachent : Tshiamuena, une femme puissante, sans âge et une sagesse acquise par l’expérience de la vie ; Sanza un gamin qui a fui sa famille pour intégrer la rue congolaise, la vie qui grouille au centre-ville car le parvis de la Poste est le carrefour de « l’expérience du dehors ».
Dans les sociétés africaines, la tradition est d’obéir aux anciens, l’interdiction de se rebeller est intrinsèque. Une fois à la rue Sanza doit survivre. L’enfant a osé choisir son groupe, il s’invente une vie passée, la sienne lui paraissant trop banale. Jusqu’à la rencontre.
Lubumbashi, chef-lieu de la province du Katanga au Congo, est une croisée et un réservoir de tout ce qui peut se développer en Afrique. Un pays miné par des groupuscules qui grouillent, rien n’y est clair, franc, le lecteur ressent pertinemment l’attraction de la rue pour les enfants mais aussi combien ils sont des proies.
Il y a Frantz, écrivain, venu pour raconter l’extraordinaire vie de la Madone, mais qui se perd en route. Quand il est persuadé de tenir le bon fil de l’écheveau, la Madone s’amuse à le retourner comme une crêpe et à le mettre face à sa vie qui le pousse d’indécision en indécision. Il y a Monsieur Guillaume, un bon samaritain ou une pourriture ?
Dans tout cela, un moment un seul, fait que tout s’oublie, c’est la danse du vilain.
Quel est le contexte social ? Les ressources minières ne profitent pas à ceux qui en font le travail le plus dur. Les mômes des rues se diluent dans la colle qu’ils sniffent.
L’auteur permet au lecteur de situer cette histoire dans la temporalité seulement vers la fin du roman. J’ai interprété cet indice comme un indice de fatalité, rien ne change, les politiques passent ; comme les vagues il y a le flux et le reflux et les déchets sur la plage.
Ce roman est mieux qu’une page d’Histoire, il grave dans la mémoire du lecteur, avec poésie et savoir-faire, un pan de vie d’un pays où la jeunesse n’a pas de modèle à suivre. L’espoir n’est nulle part sauf dans cette fausse liberté qu’ils prennent à bras le corps.
Ce roman montre à quel point ceux qui sont aux responsabilités oublient que les enfants d’aujourd’hui seront les adultes de demain.
Ici c’est l’Afrique mais ne nous leurrons pas, le constat est le même un peu partout.
Un livre qui nous livre son histoire comme un conte aux multiples facettes, avec la beauté et l’attirance du désespoir : « Nous n’étions plus des enfants. Les enfants n’ont pas l’expérience du dehors. De la colle, des bagarres, de la pluie nocturne… Nous étions des maîtres, nos propres maîtres. Nos propres prophètes de malheur. »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor pour Les Explos 2020.
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