Nadia Champesme, libraire à la librairie Histoire de l'oeil à Marseille, nous fait part de ses trois coups de coeur.
Nadia Champesme, libraire à la librairie Histoire de l'oeil à Marseille, nous fait part de ses trois coups de coeur : La singulière tristesse du gâteau au citron d'Aimée Bender Numéro d'écrou 362573 d'Arno Bertina Orgasme à...
Nadia Champesme, libraire à la librairie Histoire de l'oeil à Marseille, nous fait part de ses trois coups de coeur.
L'histoire commence par des échanges épistolaires entre Nathan Bronsky juif allemand et le Consul Général des États-Unis d'Amérique. On est en 1939 et le premier demande au second des visas d'immigration pour quitter l'Allemagne afin d'échapper aux nazis. Mais voilà, l'Amérique a un système de quotas et tous les juifs du monde veulent y aller, donc c'est non ! du moins pas tout de suite. C'est cru, direct et drôle et cependant un peu glaçant car derrière ces échanges qui appellent un chat, un chat, c'est comme si on avait la traduction en langage direct de ce qui devrait être un langage diplomatique, comme si ces lettres disaient ce qu'une mise en forme soignée et polie voudrait vraiment dire.
La suite, qui commence en mars 1953, c'est Jakob Bronsky, fils de Nathan, qui nous la raconte, tantôt en parlant à la première personne où bien à la deuxième. À moins que ce ne soit alternativement lui qui raconte, puis un narrateur. Je n'ai pas eu de certitudes à ce sujet car parfois aussi c'est raconté à la troisième personne. Ce roman est grossier et drôle, désabusé et cash. Jakob observe l'Amérique et les Américains, superficiels et imbus d'eux-mêmes. Et là, adieu le rêve américain. C'est un regard sans complaisance que nous offre Edgar Hilsenrath.
Page 76 il est écrit : "C'est le plus beau sourire qui devient président dans ce pays." Les temps ont changé, maintenant c'est le personnage le plus grossier qui l'emporte. Il semble que de l'avis de l'auteur, cette grande nation manque quelque peu de profondeur.
Donc dans ce roman qui semble très autobiographique, on découvre ce Bronsky avec un énorme trou de mémoire concernant la guerre. Il veut devenir écrivain. Il est d'accord pour travailler mais pas trop, juste par nécessité car il doit garder du temps pour écrire son livre. Il imagine des tas de magouilles pour manger gratos. Et il a parfois des conversations avec son pénis qui désire beaucoup, et souvent au dessus de ses moyens. J'ai eu du mal à cerner le personnage. Cynique ? Désabusé ? Individualiste à l'extrême ? Obsédé sexuel ? A-t-il seulement une conscience ? Pas sympathique en tout cas car ça ne le dérange pas de manipuler les gens pour arriver à ses fins. Et comme il n'est pas formaté comme un Américain, lui le Juif Allemand n'a pas les codes, il se prend râteau sur râteau.
Les chapitres sur la montée du nazisme en Allemagne sont glaçant, d'autant plus qu'on a l'impression que ça pourrait se reproduire, là, maintenant. Ceux sur la guerre sont revoltants. C'est, dans l'ensemble, un roman complètement délirant. Totalement irrévérencieux. Les dialogues sont bien barrés.
Je me suis amusée à lire ça mais j'ai trouvé le fond extrêmement phallocrate. Les femmes ne semblent être pour Jakob que de simples réceptacles à sperme. Mais finalement il semble y avoir une explication à ça. En résumé, j'ai beaucoup aimé le début, très drôle. J'ai beaucoup aimé la fin que j'ai trouvé très belle mais mélancolique car elle parle de tragédie et de folie des hommes. le reste ma souvent incommodée par la vision que Jakob a des femmes. C'est peut-être du second degré, mais moi je ne l'ai pas ressenti comme ça. Peut-être parce que, entre 1980, année où le livre est sorti, et maintenant, certaines choses ont plus de mal à passer, car maintenant on sait. On sait l'ampleur du mépris et du sexisme, et le mal que ça a fait et que ça fait encore.
Retrouver Edgar Hilsenrath et son écriture à nulle autre pareille, grâce à l’excellente traduction de Bernard Kreiss, c’est partir une nouvelle fois pour une aventure extraordinaire, à la fois réaliste, truculente et poétique, un indispensable rappel historique.
Comme j’avais déjà beaucoup apprécié Le Nazi et le Barbier, Orgasme à Moscou, Fuck America et Terminus Berlin, je n’ai pas résisté quand je suis tombé par hasard sur cette impressionnante « brique » intitulée Le Conte de la dernière pensée.
Cet auteur allemand qui s’en est allé en 2018 à l’âge de 92 ans, n’a pas son pareil pour faire vivre les plus terribles pages de l’Histoire avec humour et réalisme.
Dans Le Conte de la dernière pensée, il me plonge dans le génocide du peuple arménien en Turquie, en 1915. Pour moi, cela fait écho au précieux roman de Ian Manook (Patrick Manoukian) L’oiseau bleu d’Erzeroum.
Ici, Edgar Hilsenrath choisit la formule du conte, ce qui permet d’aller partout, de se faufiler dans les esprits mais aussi de partager la vie des familles arméniennes qui habitent dans les montagnes ou dans la ville de Bakir.
Thovma Khatisian a 73 ans et, avant de mourir, il écoute Meddah lui parler du Hayastan, le pays des Arméniens, et de ses ancêtres, juste avant que sa dernière pensée s’envole. Thovma, fils de Wartan et d’Anahit était né en 1915, en pleine marche de la mort vers le désert de Mésopotamie. Ces massacres systématiques sont décidés et orchestrés par le Comité Union et Progrès connu aussi sous l’appellation « Jeunes Turcs » avec Enver Pacha, Talaat Pacha et Djemal Pacha au pouvoir.
Les Arméniens étaient soi-disant le cauchemar des Turcs dont les dirigeants ont organisé et planifié le premier génocide du XXe siècle. Tout cela, Edgar Hilsenrath le fait revivre au plus près de l’horreur, au plus près des souffrances inouïes supportées par des hommes abattus sur place mais aussi des femmes, des enfants et des vieillards, spoliés, torturés, violés, déportés, massacrés.
Dès le Livre 1, Porte de la Félicité, à Bakir, en 1915, trois Arméniens sont pendus comme ça, parce qu’ils sont Arméniens. Les Arméniens sont chrétiens, les Turcs musulmans. Les uns ne sont pas circoncis, les autres si.
Ces Arméniens étaient souvent artisans ou commerçants et ils étaient essentiels pour la vie de la cité. Seulement, la débilité des responsables de la ville qui obéissent aveuglement aux ordres venus de Constantinople est hallucinante, comme Edgar Hilsenrath le montre si bien, toujours avec humour. Il montre aussi que ces autorités locales se servent largement au passage, laissant quelques miettes au peuple.
Grâce à des dialogues savoureux, d’une simplicité efficace, l’auteur permet de côtoyer les comportements les plus abjects, de comprendre une bêtise sidérale qui se concrétise par la mort de celles et de ceux qui ne font de mal à personne, tentant simplement de vivre.
Aussi, j’aime toujours autant lire Edgar Hilsenrath qui livre de magnifiques passages démontrant l’absurdité terrible d’un pouvoir décidé à éliminer tout un peuple. La scène des latrines fait partie des grands moments de ce livre grâce à un humour caustique permettant de supporter un engrenage mortifère. Le cynisme et la mauvaise foi des autorités les poussent à assassiner les Arméniens en toute impunité.
L’auteur ne se contente pas de suivre la chronologie des événements mais livre des retours en arrière passionnants et très instructifs. L’enfance de Wartan Khatisian avec les jeux et les traditions me plonge dans le quotidien d’un village arménien dont une famille turque partage la vie en toute sérénité ; ce village, comme d’autres, est toujours sous l’autre menace, celle des Kurdes des montagnes dont les violences effroyables sont tolérées par le pouvoir. Edgar Hilsenrath excelle pour mettre en scène les festivités, les traditions, les superstitions, le sexe et la religion. C’est très vivant et cela n’empêche pas l’auteur de dresser un bilan politique lorsque c’est nécessaire.
Poésie, réalisme et bon sens se heurtent au plan démoniaque des autorités turques. L’auteur n’a pas son pareil pour faire ressentir toute l’horreur de ce génocide. Il raconte cette terrible et insupportable réalité, ce massacre organisé encore nié par certains. C’est original mais pas moins percutant afin de réveiller les consciences à propos de ce que certains humains peuvent infliger à d’autres.
Il y aurait tant à dire encore à propos de cet impressionnant Conte de la dernière pensée, un livre qui ne devrait pas être mis au rebut et que je vais tenter de faire vivre encore afin que ce génocide arménien ne soit jamais oublié, encore moins nié.
Dans l’Épilogue, Edgar Hilsenrath démontre encore tout son talent en reliant ce génocide à la Shoah car les leçons de l’Histoire ne sont jamais retenues, comme au Rwanda, plus tard. Encore une raison de plus pour désespérer de notre espèce dite humaine.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/08/edgar-hilsenrath-le-conte
A l’heure où la mort vient frapper à sa porte, il est temps pour Itzig Finkelstein de rendre des comptes, de raconter comment ce rescapé des camps de la mort, ce sioniste de la première heure, ce bon mari et père, ce coiffeur bien établi, ce héros de la guerre civile de 1947, de la guerre israëlo-arabe de 1948, bref comment ce bon juif, bien sous tous rapports est né Max Schulz, un aryen pur souche qui a usé du plus machiavélique des stratagèmes pour sauver sa peau de nazi.
Peut-on rire de tout ? Oui ! répond Edgar Hilsenrath.
Oui, on peut rire de la Shoah. Rire pour ne pas pleurer. Rire pour prouver qu’on a survécu, qu’on est toujours debout, qu’on est plus fort que la haine.
Alors pour raconter Hitler, le nazisme, les camps, pour évoquer la naissance d’Israël, les kibboutz, la cohabitation difficiles avec les voisins arabes, Hilsenrath a choisi le cynisme, l’humour noir, l’absurde, et un ‘’héros’’ débrouillard, tour à tour nazi et juif.
Max Schulz est un Allemand pure souche. Son foyer n’est pas des plus aimants, sa mère se prostitue, il voit défiler les beaux-pères. Pour fuir cette ambiance malsaine, il se réfugie chez son ami Itzig Finkelstein qui grandit dans une famille juive traditionnelle.
Entraîné par la folie du national-socialisme, Max commet le pire pendant la seconde guerre mondiale et, quand le vent tourne, il va se servir de cette amitié reniée depuis belle lurette. Max a suffisamment fréquenté la famille Finkelstein pour connaître les rites, la langue, les habitudes des juifs. Alors qu’Itzig était blond comme les blés, Max souffrait d’un physique sémite qui l’a longtemps desservi. Désormais, il va mettre en avant ses cheveux noirs et son nez crochu pour se faire passer pour juif, fuir l’Europe et trouver refuge en Palestine. Là-bas, il devient un fanatique sioniste et nul ne conteste sa judaïté.
C’est là tout l’art de l’auteur qui montre le grotesque des préjugés raciaux et se joue de la victimisation des juifs. Son esprit critique et son cynisme frappe les Allemands aussi bien que les sionistes, disséquant les mauvais penchants de chacun des deux camps.
Le nazi est le barbier est une œuvre riche et originale qui offre bien des perspectives de réflexion. Elle étonne, elle secoue, elle dérange, elle choque, elle fait rire jaune et, surtout, elle est une mine de renseignements sur la création de l’Etat d’Israël. En ces temps troublés, c’est une piqure de rappels des erreurs du passé et de décisions prises dans l’urgence dont les conséquences sont encore présentes aujourd’hui. A découvrir absolument.
Terminus Berlin est le dernier ouvrage d'Edgar Hilsenrath ; il témoigne des cicatrices de la Shoah sur les survivants.
C'est un livre à part, cynique et qui peut faire grincer des dents.
Il dénonce à sa manière la prostitution, l'antisémitisme encore actuel sans réaction des autorités, la pauvreté ; il provoque, il balance et il exhorte.
Son personnage est bourré d'ambivalence et se fiche des convenances.
Un roman "poil-à-gratter".
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