"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Nul doute que ce roman divisera. Ceux qui pensent qu'il ne fallait pas l'écrire, que c'est trop tôt après la tragédie ou qu'on ne peut pas écrire de roman sur des faits aussi tragiques qui ont touché tant de personnes et ont recréé une unité républicaine (assez courte malheureusement) et ceux qui le liront et qui pourront donc justifier leur avis. De fait, je peux comprendre ceux qui refuseront de le lire, mais rien dedans n'est une excuse aux actes commis, le narrateur explique assez froidement comment un garçon qui est orphelin à treize ans, balloté de foyers en familles d'accueil peut à un moment prendre une mauvaise direction sans y croire totalement, par besoin de sécurité, de reconnaissance, par peur de la vie. Je ne sais pas si Benjamin Berton s'est documenté pour raconter la vie de Kouachi ou s'il l'a en partie inventée, ce que je sais c'est que tout est crédible et ressemble à ce que racontent certains de la manière dont ils ont été embrigadés. L'écriture est très soignée, très belle -ce que certain critique reproche à l'auteur : "Devenu sous la plume de Berton, un adepte de la narration au passé simple et du langage châtié, on pourrait croire que Kouachi est passé des centres d'entraînement d'Al-Qaida aux séminaires de la baronne de Rotschild" (Thomas Rabino)-, comme si Kouachi, en tant qu'orphelin et jeune banlieusard d'origine maghrébine devait absolument s'exprimer en langage de banlieue ne connaissant ni la syntaxe ni la grammaire.
J'insiste donc sur cette écriture élégante et soignée qui permet d'entrer profondément dans la pensée du narrateur. Chaque chapitre est précédé d'une citation du Cantique des oiseaux, de Farid ud-Din, un recueil de poésies mystiques du XII° siècle. J'ai été happé dès le début et un peu surpris, car je m'attendais à un roman plus dur, plus violent. Or, il est surtout question des interrogations de cet homme devenu un autre, quatre ans après la tuerie qu'il a perpétrée. A tel point que nous-mêmes, lecteurs nous interrogeons sur la difficulté à faire naître et garder en tout homme l'essentielle question de l'humanité, du respect d'autrui, sur les moyens à mettre en œuvre pour contrer les intégristes religieux qui enrôlent des jeunes gens en plein doutes, ... il y a longtemps que je ne m'interroge plus sur les religions, je les trouve nuisibles. Personnellement, ce roman me pose beaucoup de questions sur l'éducation, le devenir des enfants aux parcours difficiles, notamment les enfants placés en foyers ou famille d'accueil, si souvent perméables aux modes et aux discours extérieurs, plus parlants pour eux que les règles élémentaires de la vie dans une famille ou un lieu qu'ils n'ont pas choisis*.
Cette beauté de l'écriture n'est pas au service d'une quelconque dédiabolisation des frères Kouachi, jamais nous n'oublions qui parle. Jamais nous ne pouvons excuser les actes ni d'ailleurs jamais le Kouachi de Benjamin Berton ne le demande : "Est-ce que je fais amende honorable ? Au risque de décevoir, ce n'est pas aussi simple. Nous sommes la succession de nos actes, leur somme et leur multiplication. La soustraction ne fait pas partie de l'ordre de nos passions. Vous pouvez vous couper un doigt, une jambe ou les cheveux mais pas des épreuves, des joies et des peines qui ont fait de vous l'homme que vous êtes à présent." (p.49/50)
Un thème pas évident à traiter, qui attirera les regards et les critiques, un personnage complexe fort bien décrit par Benjamin Berton, des questions qui restent en suspens, tout cela servi par un texte haut de gamme, jamais sans doute la maison Lucquin n'aura porté son exergue aussi bien : "De l'audace. Du piquant. De la littérature."
PS : la bande-son du livre est écoutable et téléchargeable ici
*suite au commentaire d'Elektra -merci à toi- je préfère apporter ici un éclaircissement : lorsque je parle de perméabilité des jeunes aux parcours difficiles, je ne parle pas forcément de l'intégrisme religieux, car les Français partis se battre au nom d'une religion sont plutôt des jeunes issus de familles classiques, mais de toutes les modes qu'elles soient vestimentaires comportementales, langagières, ... Loin de moi l'idée de stigmatiser ces enfants, au contraire, je travaille avec eux quotidiennement et leur faire comprendre règles et limites est un labeur de tous les jours et, lorsque l'on pense y être parvenu, eh bien non, il faut tout recommencer... mon souhait le plus fort est qu'ils puissent être vus pour ce qu'ils sont et non pas à travers ce qu'ils ont vécu ou vivent encore. Si j'ai pu choquer ou provoquer des mauvaises interprétations, j'en suis désolé.
Un livre particulier pour moi qui suis quelqu’un de très cartésien. Je ne peux pas dire qu’il ne me plaît pas mais il m’est difficile d’exprimer ce que j’ai ressenti lors de sa lecture.Le livre commence par la fin de l’histoire. Un jeune homme enferme dans une chambre « la chambre à remonter le temps » dans le but d’être propulsé dans le futur. L’histoire est racontée à la première personne du singulier et le narrateur est le mari qui a bien peu de personnalité.Nous remontons le court de leur vie bien ordinaire. Céline et son mari, jeune couple bien installé dans leur vie, décident d’intégrer « la norme de la société », acheter une maison, avoir un enfant …Chacun peut s’identifier à eux, ils sont tellement comme tout le monde. Et après l’euphorie de l’installation, du bricolage du dimanche, la routine prend place, l’ennui du quotidien, refaire chaque jour la même chose, dormir le soir auprès de la même personne…Les doutes s’installent, envie de vivre autre chose, de recouvrer sa liberté…Seul piment, des tours de garde autour du quartier pour le protéger contre l’intrusion de « ces étrangers » venus des immeubles voisins. Un groupe d’hommes « foncièrement racistes, sympathisants d’extrême droite avec des relents nauséabonds de populisme ’ »(phrase de l’auteur).L’autre piment de la vie du narrateur est cette chambre qui lui permet lorsqu’il s’endort de faire soit un retour dans le passé mais surtout de se projeter de quelques jours dans l’avenir.Nombreux quiproquos entre lui et son ectoplasme ; Il perd peu à peu pied avec la réalité, qui vit dans la vraie vie, lui ou son double ? En enfermant sa famille dans cette chambre il espère gommer le présent afin de ressentir à nouveau des sentiments pour sa femme et ainsi sauver sa famille.Est-il fou ? A-t-il un dédoublement de personnalité ? ou bien comme le dit l’auteur: "est ce simplement une histoire de littérature générale qui essaie un détour vers le fantastique ?"La fin ne nous éclairera pas davantage. Il est vrai que sans cette chambre, le livre aurait peu d’intérêt, sinon de nous raconter une fois de plus le mal être de notre société où il faut consommer de plus en plus, courir toujours plus vite afin de satisfaire des besoins « indispensables » pour l’épanouissement de notre vie et surtout rejoindre monsieur tout le monde et ne pas faire de vagues.
On s'y croit,on s'y voit...et puis ...on se dit..."non c'est pas possible",mais on continue!il y a des choses exactes,d'autres monstrueuses..."non!!on ne peut pas penser ça!et puis...pourquoi pas?
en tout cas c'est un livre qu'on a plaisir à lire jusqu'au bout!
Voilà un roman que je n'avais pas envie de lire à cause de son titre, un peu trop fantastique à mon goût (je n'adhère pas du tout au genre), mais le résumé mis en ligne sur le site de l'éditeur Gallimard, laissait présager autre chose qu'une évocation de l'univers de Welles. Détail intéressant, l'action se situe dans ma ville et qui plus est, dans mon quartier.
L'histoire est banale. Un couple de trentenaire, gentiment bobo, s'installe pour des raisons de commodité dans une petite maison tranquille au Mans. L'ennui s'installe progressivement dans la vie de ce couple malgré l'arrivée d'une petite fille. Le narrateur, voulant mettre un peu de piment dans son quotidien, se joint à un groupe de voisins qui zonent la nuit pour protéger leur quartier du vandalisme.
Et la chambre du titre me direz-vous? Elle existe bien sûr car notre héros va s'en servir pour voyager dans un futur ou un passé proche notamment pour assouvir un petit fantasme extra conjugal.
Au final, j'ai beaucoup apprécié la description de la vie de ces trentenaires. Benjamin Berton n'est pas un écrivain aimable, il parle sans fard, sans concession, avec la précision d'un entomologiste, montrant du doigt les vilaines petites choses, les rancoeurs. Son héros, qui est loin d'en être un, n'est pas vraiment sympathique, tout à tour méprisant, lâche, misanthrope, il se débat dans un quotidien qu'il exècre de plus en plus. Mais, malgré tout, on le suit dans son parcours grâce à une très belle écriture, car, ici, on a affaire à un vrai écrivain. On est très loin de Mme Pancol, plus près de Michel Houellebecq.
La lecture de ce livre est hautement recommandée pour la pertinence et l'acuité de ce portrait de la vie dans ce début de 21ème siècle.
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