"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sérieux, pragmatique, « L’instruction » d’Antoine Brea, est un récit qui happe et dont on ne lâche rien, pas une virgule, un point, un seul mot. Ici, c’est la majuscule d’une écriture posée, réfléchie qui encense la trame. On sait les lignes magnétiques, dans un cadre posé en exactitude. L’équerre d’une justice qui va voir le jour subrepticement. « Les vitres givrées au cutter. Les lumières opalines sous les caches plastiques, inutiles en plein jour… C’est un poste temporaire, seulement pour quelques temps, ai-je tapé dans le SMS à ma sœur Amandine. » Patrice Favre est ici. Début d’une carrière dans l’empreinte de son père magistrat. L’introduction d’une vocation à certifier. Un premier poste pour lui, celui de juge d’instruction en banlieue parisienne. Peu à peu, il devient maître de son espace. Dans ce dédale où il va, habillé d’éthique et d’équité, pourvoir aux dossiers en cours et à venir. Rendre hommage à son prédécesseur Herzog, diminué, affaibli, malade mais pas que. Ce dernier s’est suicidé en laissant deux courriers, l’un pour sa femme et l’autre pour ses pairs. « N’en déplaise à Gaston Leroux, a répondu, amusé monsieur Palan, dans la réalité les coïncidences ne sont pas ennemies de la vérité, mon cher. On appelle ça des indices. » Patrice Favre va rassembler l’épars. Chercher la faille dans ce dossier quasi abandonné et pour cause. Perspicace, affûtant son savoir, ses capacités hors norme, chercher la vérité. Patrice Favre, tenace, va soulever la poussière sous le tapis d’une langue de bois. Les non-dits et les silences dérangeants vont se percuter et le dossier « Herzog » reprend vigueur. « L’affaire » encercle les intouchables d’une magistrature cachottière. C’est ici, le point central, le premier pas de côté d’un jeune juge d’instruction, olympien, calme mais déterminé. « L’instruction » est l’idiosyncrasie du monde carcéral, de ce qui se voudrait invisible à la vue du monde ; bien enfoui dans le tiroir emblématique de la haute hiérarchie. « L’instruction » démonte pierre après pierre les diktats judiciaires qui, parfois malencontreusement, confirment le poison de la soumission au corpus juridique criblé de corruption. Patrice Favre reste altier dans une constance théologale. Ce dernier pénètre le labyrinthe, fil d’Ariane d’un monde technocratique. Bousculé, il va de par cette quête de vérité se métamorphoser, se réaliser, l’outil en main, régénérant et spéculatif. Ce futur classique d’une littérature appuyée est un modèle pour tout à chacun. D’utilité publique, il devrait et vite se trouver dans les amphithéâtres, les lieux des savoirs républicains. Les notes en pages finales sont à recopier. A la page 310, au chapitre 4, pour moi et en promesse de relire la « Prière de l’humilité » dont les Psaumes sont traduits par André Chouraqui. Tout est symbole ! Magistral, culte. Publié par les majeures Éditions Le Quartanier.
L’instruction d’Antoine Bréa
Le Quartanier
Dans une autre vie, j'ai été greffière et j'étais fascinée par le travail de magistrat. J'ai eu grand plaisir à retrouver ce monde judiciaire sous cette plume juste et prenante avec la mise en scène des procès, la parade des avocats puis le huis clos des juges.
Patrice Favre reprend le poste d’un juge d’instruction qui s’est suicidé, Herzog. Il reprend les dossiers en cours dont celui de l’agression d’un détenu emprisonné pour crime sexuel sur un mineur. Patrice Favre retrouve les carnets d’Herzog dans lesquels il découvre qu’il se sentait observé.
Il reprendra l’enquête sur cette agression, remontera les éléments sur lesquels travaillait Herzog, interrogera d’autres témoins, fera d’autres liens. Au cours de ses recherches, c’est aussi un tableau de la justice et des maisons d’arrêt qui se brosse .
C’est une enquête mais le rythme est lent, c’est un autre espace temps, celui de la justice. Tout est réfléchi, le ton est posé.
Mais au fil de l’enquête, les liens se font, le rythme s'accélère avec de nouveaux éléments jusqu'à un démêlé très surprenant.
C’est un huis clos avec ce jeune juge qui nous entraîne, aussi par ses réflexions, dans son intimité dévoilant ses propres tourments, sa relation avec son père lui aussi magistrat.
On découvre un rythme particulier, intriguant et immersif qui se déploie dans ce livre.
Une très bonne lecture captivante.
Je remercie les éditions Le Quartanier et l'agence littéraire Trames pour cette découverte.
En voilà une découverte sympathique, et je ne dis pas ça uniquement parce que j'apprécie les romans judiciaires. Déjà, il est toujours agréable de découvrir une nouvelle maison d'édition car je ne connaissais pas les éditions Le Quartanier. Et puis, c'est également une découverte de l'auteur pour moi, bien que cela ne soit pas son premier livre.
Dans ce roman, Antoine Brea invite le lecteur à suivre Patrice Favre, un jeune juge d'instruction tout juste diplômé de l'ENM, l'école nationale de la magistrature. Celui-ci se retrouve dans une ville de la banlieue parisienne suite à sa nomination temporaire. Son prédécesseur s'est suicidé et semble s'être épuisé sur une affaire concernant la mort d'un détenu suite à son agression par d'autres prisonniers.
On va donc suivre les débuts mouvementés de ce jeune juge au sein du tribunal avec la participation aux premières audiences, la découverte des collègues et de la greffière qui va l'accompagner durant son poste, les affaires en cours... Et puis, petit à petit, à la faveur de la découverte de plusieurs éléments, le juge va se retrouver happé par cette sombre affaire du meurtre du détenu qui comporte de nombreuses zones louches et qui va révéler des implications au sein de milieux de pouvoir et des petits arrangements peu reluisants allant même jusqu'à l'intimidation. Le jeune juge va s'accrocher envers et contre tout et il va petit à petit progresser dans l'enquête mais cela ne sera pas sans laisser de traces.
J'ai vraiment apprécié ce roman, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cette histoire aux multiples facettes avec la découverte du métier de juge d'instruction, des incursions dans le passé du jeune juge, les détails sur l'affaire de l'agression du détenu qui ressurgissent au fil du récit, tout ça est très bien construit et m'a tenu en haleine tout le long de ma lecture. Autre point fort, cette ambiance particulière que l'auteur arrive à installer et qui devient de plus en plus oppressante. Le style d'écriture y participe pleinement, je l'ai trouvé très agréable, peut-être un peu trop "scolaire" par moment, un peu froid, journalistique, on se croirait par moment au cœur d'un documentaire sur le milieu judiciaire. Ceci dit, l'auteur ne m'a pas perdu avec le jargon bien particulier du milieu judiciaire, le problème étant que j'ai quelques notions en droit donc ce n'est pas forcément simple de me mettre à la place d'un lecteur complètement profane mais des notes de bas de page explicatives permettent de ne pas trop se perdre dans les termes.
Donc, voilà l'ensemble est assez froid, chirurgical mais ça participe à l'instauration de cette ambiance particulière et ça ne m'a pas gêné. D'autant plus que l'ensemble est fluide et dynamique. On n'est pas toujours sur du récit pur puisque le lecteur découvre des pièces de dossier en même temps que le narrateur, ainsi on retrouve des rapports administratifs, des comptes-rendus d'interrogatoires (cela doit participer au ressenti un peu froid puisque ce type de document n'est pas réputé pour son côté chaleureux et romancé). En tout cas, cela renforce l'immersion du lecteur dans le roman.
Au final, c'est donc une bonne surprise ce roman à mi-chemin entre le roman policier et le feuilleton judiciaire. L'ensemble est d'un réalisme bluffant, l'ambiance est soignée et c'est très (très) prenant. Si vous aimez les romans qui se déroule au sein de la machine judiciaire, c'est un bon conseil de lecture, et si vous souhaitez découvrir ce type de roman, et bien c'est également un bon conseil pour découvrir le genre.
Se lit d’une traite. Voilà, c’est clair et je préfère le dire dès le début. Ne prévoyez pas une autre activité avant d’avoir reposé cet ouvrage. Impossible. Ce récit d’un avocat vous happe littéralement car jusqu’aux trois quarts du livre, vous ne savez pas où vous allez. Vous sentez bien que l’étau se resserre sur le personnage principal mais c’est sans entrevoir le pourquoi du comment et encore moins l’issue. Et la raison est bien simple : le narrateur non plus ne sait pas où il va. Manipulé ? D’une certaine façon oui ou bien, fondamentalement, étranger au monde de la justice ou au monde tout court. Mais bon, commençons par le commencement…
Le narrateur (le texte est écrit à la première personne) est un jeune avocat qui, après quelques missions intéressantes, sombre petit à petit dans un quotidien assez terne : en effet, après des études de droit, des voyages en Asie Mineure et des fonctions de rapporteur à la Commission des recours des réfugiés où, pendant un an, il établit des rapports afin de proposer que soit accordé ou non l’asile politique à des étrangers, des kurdes souvent, il se voit finalement confier des tâches subalternes dans différents services de l’État. Pas de plaidoiries, pas d’effets de manche.
Ainsi, notre gratte-papier kafkaïen, pauvre sous-fifre de la justice, vit à l’étroit dans son bureau et dans son existence.
Jusqu’au jour où, il reçoit un étrange courrier de Mme H., magistrat honoraire à la Cour des comptes rencontrée lors de son année passée à la Commission des recours des réfugiés. Elle souhaite le rencontrer. Notre avocaillon se rend au Cercle de l’Union interallié où il est invité à déjeuner avec la dame en question et son mari. Très impressionné par les lieux (il faut préciser que le narrateur souffre de phobies multiples), il se voit exposer un fait plutôt étrange : en effet, Mme H. entretient une « correspondance de prison » avec un certain Ahmet A, détenu turc d’origine kurde emprisonné dans la maison centrale de Clairvaux et elle attend du narrateur qu’il essaie de faire sortir le plus rapidement possible ledit Ahmet A., au vu de son excellente conduite.
Le jeune avocat, rentré chez lui, fait des recherches sur Internet pour connaître un peu mieux l’affaire Annie B. Il découvre qu’Ahmet A. et son cousin Unwer K. ont été condamnés le 17 mai 1996 par la cour d’assises du Jura à « trente années de réclusion criminelle pour l’un, à la réclusion à perpétuité pour l’autre, en répression des faits de viol aggravé, assassinat en concomitance, tortures et actes de barbarie » sur la personne d’une jeune aide-soignante de 25 ans. Souhaitant rencontrer Ahmet A., l’avocat demande que lui soit envoyé son dossier administratif. Il découvre l’histoire d’Ahmet et ce qui s’est passé dans la nuit du 8 au 9 juillet 1994. Je n’en dirais pas plus pour ne rien dévoiler de l'intrigue.
En fait, à travers une série de chapitres très courts, secs dirais-je, allant droit à l’essentiel et des détails extrêmement réalistes, l’auteur place son lecteur dans une situation assez étrange : en effet, on n’a pas du tout l’impression d’être dans un roman mais plutôt dans un journal. L’effet de réel est saisissant et tient certainement au fait qu’Antoine Brea étant avocat, il maîtrise parfaitement le jargon du droit, des mécanismes judiciaires et c’est vraiment bluffant de vérité. Vraiment !
A cela s’ajoute la personnalité même de l’avocat : qui est-il au fond ? Un être anxieux et mal à l’aise dans la société au point de ne pouvoir partager un repas avec d’autres convives, un homme un peu naïf que certains manipulent aisément ou bien un homme gentil et généreux prêt à tout pour aider son prochain ? Et puis, on se demande pourquoi on lui a confié cette « mission », à lui précisément ? Simple hasard ou pas ?
Très vite, le jeune avocat se voit complètement dépassé par les événements : au-delà du fait divers sordide, l’enquête dévoilera des zones d’ombre et des manipulations politiques assez complexes.
Un texte très fort, très serré qui, je vous préviens, ne va pas vous laisser le temps de respirer.
Percutant !
Lireaulit : http://lireaulit.blogspot.fr/
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