"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est un long monologue intérieur que livre Annie Cohen. Elle va d'idée en idée, de réflexion en réflexion, l'une chassant l'autre et y revenant ensuite, pas pour nous perdre, mais pour suivre son cheminement. Elle évoque son enfance en Algérie, ses souvenirs, ses parents, sa mère surtout, sa création qu'elle soit picturale, la gouache, ou littéraire. Les deux se confondent dans les mêmes gestes, se nourrissent, s'entremêlent. Elle parle librement de la maladie qui l'entrave : physiquement avec des jambes qui ne répondent plus aussi bien qu'avant et psychiquement : sa bipolarité et ses séjours réguliers à Sainte Anne.
Lire Annie Cohen n'est pas de tout repos. Son écriture est abstraite, elle fait penser à de l'écriture automatique et penche vers le surréalisme. : "Et les mots se présentent comme les aplats du blanc de Titane sur le papier ton ficelle. L'expérience de la peinture ouvre les portes pour une écriture abstraite et profonde." (p.18/19) Le texte est parfois tortueux, difficile à comprendre et plusieurs fois, je me suis dit que j'allais l'abandonner, mais non, chaque fois j'y revenais comme happé, fasciné par son rythme, sa beauté, sa poésie. J'ai mis un peu de temps à le finir, l'ai entrecoupé avec d'autres lectures plus linéaires, plus prosaïques. Alterner, découvrir des livres et des lectures très différentes les unes des autres, voilà ce que j'aime. Rien ne me déplairait davantage que d'avoir la sensation de toujours lire la même chose. Écueil largement évité avec Annie Cohen.
Annie Cohen se débat contre sa bipolarité. Elle oscille entre découragements et envies. Elle garde sa chambre, est parfois internée à Sainte Anne. C'est son mari cinéaste, qu'elle suit à Nancy lorsqu'il a besoin de filmer et monter son film là-bas, qui s'occupe de tout. Proche, aimant, patient.
L'autrice se plonge dans son histoire, dans son passé, dans son judaïsme, tentant de garder pied dans la réalité, dans le monde actuel.
Puisque voici l'aurore est son journal, mais un journal qui n'est pas daté et dont on ne sait pas si les propos sont tenus et reportés chronologiquement.
Ce n'est pas très évident à lire pour un lecteur comme moi, assez basique, qui, finalement, aime bien un début, un développement et une fin. Ça me perturbe un peu, et parfois ça ne ma plaît pas, notamment la question du judaïsme qui ne m'intéresse pas du tout. Mais, d'autres pages sont vraiment très belles, sur l'amour qu'elle et son mari se portent, sur la maladie, la dépression qui la gagne, sur le vieillissement :
"Le handicap est flagrant, je ne me souviens plus de ce que j'ai écrit, j'avance en hurlant des phrases comme sous les eaux de la piscine. Je hurle ce qui ne se dit pas, dans un brouillamini de mots, de textes déconstruits, perdus, respirer un peu. Et replonger pour appréhender l'avenir qui n'est que des cris poussés en forêt, la nuit. J'ai perdu le fil, en fait, je n'ai jamais de fil, je construis un ouvrage abstrait." (p. 39/40)
Lorsque je suis tombé sur cette dernière partie de phrase, je le suis dit, c'est cela, c'est exactement cela, ce livre est un livre abstrait. Dès lors, sa lecture en devient plus aisée, car, je ne cherche plus à le comprendre au mot à mot, mais à me laisser porter et à en retirer des sensations, des impressions. N'y voir parfois que des formes, qui peuvent faire penser à de la réalité. Parfois se raccrocher à des concepts, des idées et d'autres fois se laisser aller.
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