Vous avez aimé Game of Thrones ? Vous aimerez la version magyar de Jean-Michel Delacomptée dans Le sacrifice des dames (Robert Laffont). Les personnages ne s’y embarrassent pas d’état d’âme, et c’est à une petite leçon de machiavélisme féminin par les échecs que ce roman serré, moucheté, invite le lecteur.
Mais si Nathalie a adoré, Michèle n’a pas adhéré et elle explique pourquoi. Encore faut-il préciser que Michèle déteste Game of Thrones !
Karine Papillaud
Pour ?
Jean-Michel Delacomptée nous entraine dans le siècle de Charles Quint et Soliman le Magnifique. Sur les rives du Danube les provinces Hongroises sont menacées par l’invasion ottomane. L’intérêt du roman n’est pas uniquement dans des récits de batailles ou de fêtes somptueuses où paradent des dames de cour en robes de brocard et de pierreries… C’est plus subtil !
Bien que ne connaissant pas les finesses du jeu d’échecs, j’avais déjà aimé chez Zweig et Yoko Ogawa cette façon de nous tenir en haleine devant des joueurs imperturbables.
Mais dans ce roman, l’échiquier fait figure de théâtre. Cavaliers, tours, Dames, Rois vous surprendront ! Aux stratégies du jeu se mêlent les doctrines politiques de Machiavel.
Au fil des pages je sens poindre noirceur et manipulations. Judit l’héroïne, une Jeanne d’Arc au cœur plus calculateur que délicat, veut sauver sa Province face aux troupes du Sultan Soliman. Si le jeu d’échec est un miroir de l’âme, on perçoit vite l’âme de Judit. Car elle brille à ce jeu, passion que lui a transmis son père. Mais Gabor son père est faible, il s’enivre pour oublier le risque de razzias des Turcs. N’ayant plus d’espoir il préfère se résigner. Judith projette de lui succéder à tous prix. Sa mère Livia femme cruelle et ambitieuse cherche à l’évincer du Royaume.
Je sens l’esquisse d’un plan démoniaque. Passionnée, brûlante, volontaire, Judit ira-t-elle trop loin ? Soif de pouvoir ou amour réel de sa patrie ? Sa mission semble irrévocable. J’ai apprécié l’élégance de la plume, le foisonnement de détails sur les coutumes du peuple Magyar. C’est richement documenté. Mais j’ai surtout été bluffée par l’imagination de l’auteur décrivant les tactiques offensives de personnages froids capables du pire lors de jeux spectaculaires qui empruntent la violence à ceux organisés jadis par les Romains… Comme moi, vous ne connaissez pas les règles de ce jeu ? Pas d’inquiétude… l’auteur a su lancer les bons hameçons pour vous attraper !!!
Ou Contre ?
Judit, demoiselle à la physionomie ingrate, est dotée d’une incroyable virtuosité aux échecs mais également d’une foi sans limites en ses capacités. Nous sommes au début du 16ème siècle, les Ottomans menacent la Hongrie. Judit n’a pas l’intention d’accepter une telle situation pour son pays d’autant que son père le comte Gabor n’est pas un guerrier, que sa mère ne s’intéresse qu’à son poids en or et que le roi ne semble pas conscient de l’importance réelle du péril turc. Si elle respecte le roi et la reine, elle déteste et méprise ses parents, rêvant de leur mort sans même s’en cacher. Ainsi va-t-elle se charger d’organiser la résistance dans les provinces, de manière stratégique et avec un certain courage, il faut bien l’avouer.
S’il est vrai que le personnage principal me séduit peu et que l’histoire en elle-même n’a pas réussi à me captiver plus que cela, l’auteur a su donner un bel élan à cette épopée, notamment en ce qui concerne le rôle des échecs et à leur valeur symbolique dans le récit.
La description détaillée de la partie d’échecs grandeur nature entre Judit et Fadi-zadeh Roumi, meilleur joueur de l’empire perse, est remarquable par son déroulé stratégique. Pendant que le public se régale de galettes, le lecteur assiste à un jeu d’une intensité rare sur un échiquier de bambous construit sur un étang, avec des pièces, non en bois mais en chair et en os, destinées à la mort en cas de mauvais jeu. Selon Judit, l’acte de cruauté ouvertement exécuté servant ainsi à signifier devoir d’obéissance aussi bien que don de soi, la clémence n’étant pas de mise en période de guerre. Jouer une partie avec des pièces humaines est une jouissance absolue pour Judit qui va s’engager dans le jeu avec toute l’énergie de son jeune âge.
Que sortira-t-il de cet étripage ? Des corps flottant entre deux eaux et une Judit toujours plus ambitieuse et incapable de la moindre émotion, « ne cédez pas à la peur » étant son mot d’ordre.
Ce roman surprenant ne laisse pas indifférent. Je suis passée par des sentiments variés et contradictoires : de la haine à l’amour, peut-être pas, mais de l’envie de le jeter à celui de m’y replonger, sans aucun doute !
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