Philippe Jaenada est l’auteur de La Serpe (Julliard), récompensé par le Prix Fémina 2017.
Après la liesse et les célébrations, il a eu la gentillesse de nous consacrer un long moment pour parler de son dernier roman.
L’occasion d’évoquer plus largement l’écriture et sa conception du roman, côté coulisses.
Depuis Sulak, vous avez inventé une nouvelle forme d’écriture, entre autofiction et enquête de détective. Comment ce mode de narration s’est il imposé à vous ?
Un ensemble de choses ont convergé vers ce que vous appelez une nouvelle forme d’écriture. J’ai d’abord écrit 7 livres qui parlaient de moi, ou d’un narrateur qui me ressemblait. Est arrivé le moment où je n’avais plus rien à dire sur ma vie qui est devenue délicieusement monotone. Je crois que je ne suis pas doué pour l’invention. J’ai alors décidé de parler d’autres gens que moi-même. Mais je n’allais pas non plus me lancer dans de grandes biographies, les épopées humaines, les vies « romanesques », les destins exemplaires, ce n’est pas ce qui m’intéresse.
C’est comme ça que vous avez renoncé à parler de vous dans Sulak ?
Dans Sulak, il y mon regard mais pas ma vie. J’étais entouré de toute sa famille, je racontais le destin foudroyant de leur fils, leur père ou leur frère, je n’allais pas faire le mariole.
Mais vous revenez dans La Petite Femelle, puis dans La Serpe, plus largement…
Oui, je suis plus présent dans La Petite Femelle, car j’avais besoin d’alléger, d’aérer cette histoire de Pauline Dubuisson dans laquelle il n’y a pas un gramme de légèreté, d’insouciance, ni un rai de lumière. C’était très volontairement fait pour détendre le lecteur. Dans La Serpe, je me mets en scène comme un personnage. Je vais sur les lieux, je fais participer le lecteur à l’enquête. C’est un mouvement progressif, de livre en livre. Un détail qui compte dans cette histoire, c’est que j’ai eu 50 ans pendant l’écriture de La Petite Femelle. Le chiffre est symbolique, mais c’est une étape. Je me dis qu’à 50 ans, je fais désormais ce que je veux, on verra bien si ça plaît ou pas, mais je me sens les coudées franches.
En démarrant La Serpe, vous teniez en Georges Arnaud le profil d’un coupable. Est-ce l’envie de le disculper qui a motivé votre recherche documentaire ?
Cela ne s’est pas passé comme dans le livre : en amont du livre, y a un an et demi de recherches, non pas une semaine comme dans le livre. Je me suis intéressé à ce sujet parce que mon ami Manu me saoulait avec cette histoire qui est celle de son grand-père. Il n’était pas certain non plus de son innocence. Mais dans cette histoire, un petit détail me chiffonnait : vous ne trouvez pas étrange que Maître Garçon, le célèbre avocat, très ami avec le père assassiné, ait décidé de défendre le fils accusé du meurtre ? Vous ne trouvez pas troublant qu’Arnaud ait consacré sa vie à lutter contre l’injustice, après son acquittement ? Je me suis dit que cela ne me coûtait pas grand-chose de partir sur les traces de Garçon qui était le seul à connaître vraiment le dossier. Je suis donc parti à Périgueux pour commencer un livre… ou passer une semaine de vacances.
Dans quel état d’esprit êtes-vous revenu ?
J’ai commencé mes recherches en octobre 2015, et, jusqu’en avril 2016, date à laquelle je suis allé à Périgueux, j’étais certain de sa culpabilité. En revenant de Périgueux, où j’avais effectivement trouvé des choses intéressantes, et pris de nombreux clichés du dossier, j’étais convaincu de faire ce livre et mon opinion sur l’affaire avait sensiblement changé. Je suis en train de vivre la même chose en ce moment sur ce qui sera le prochain livre.
Le prochain roman suivra-t-il la méthode Jaenada ?
Eh bien disons que depuis Sulak, La Petite Femelle, La Serpe, je suis bombardé de lettres qui mettent au jour une quantité d’erreurs judiciaires, en tout cas jugées comme telles. Je suis en train de devenir le redresseur de torts des erreurs judiciaires. Parmi elles, beaucoup d’histoires sont intéressantes. Il ne faudrait pas que je devienne un petit enquêteur du passé, l’étiquette solidement agrafée sur la tête. Refaire un livre dans le même genre finirait par faire beaucoup. Et en même temps, je me dis que j’aime faire ça, même si cela peut être pris, à tort, comme une « recette » par la critique.
La construction, classique puis à rebours de La Serpe, est une vraie petite merveille à elle seule. Comment l’avez-vous imaginée ?
C’était le plus compliqué et le plus intéressant à faire. J’avais un sujet en or avec cette histoire. Il me fallait trouver une narration convenable pour ce sujet parfait. Au début je ne voulais parler que du crime, écrire une sorte de Cluedo littéraire. Plus j’avançais et plus je voyais que la vie de Georges Arnaud était considérable. Je voulais montrer le crime sous ses deux angles, la culpabilité et l’innocence, sans faire de redite. Le crime est commis quand il a 24 ans, il meurt à 70 ans : comment intéresser le lecteur avec les 50 années qui suivent le crime ? J’ai choisi de dérouler sa vie où se maille le crime sous l’angle de la culpabilité, puis saisir l’hypothèse de son innocence sous l’angle de l’enquête. Je n’étais toujours pas sûr de la forme après avoir fini l’écriture du livre. J’ai essayé à partir d’un sujet qui appartient à l’histoire de faire un roman, le mieux possible, avec les outils du romancier.
"Je me sers de ce qu’on me reproche..."
On retrouve souvent Pauline Dubuisson dans ce livre, l’héroïne de La Petite Femelle. Avez-vous du mal à quitter vos personnages, à sortir de vos livres ?
J’ ai du mal. Mes personnages sont comme des amis proches qu’on ne voit plus parce qu’ils sont partis vivre loin. Je ne les oublie pas. Je pense à Bruno Sulak et Pauline Dubuisson tous les jours. J’ai passé deux ans dans leur vie à essayer de les comprendre et imaginer ce qu’ils ressentaient. Quand La Petite Femelle est sorti, j’ai reçu plein de témoignages de gens plus ou moins proches d’elle. J’ai appris des choses importantes, mais le livre était sorti. Alors j’ai fait un post-scriptum à l’édition de poche. Et puis j’ai mis la suite de ce que j’ai appris sur Pauline Dubuisson dans La Serpe, en pensant à tous ceux qui ont lu La Petite Femelle : je me sers de ce qu’on me reproche, finalement, en mêlant les choses qui m’arrivent à mes romans.
Je n’aimerais pas garder pour moi des détails réels qui enrichissent son histoire et permettent de mieux la comprendre. La Petite Femelle n’est pas complet, je le poursuis dans les romans suivants. Et ce sera pareil, dans le prochain, pour Georges Arnaud. Je préfère penser qu’une œuvre est un ensemble et pas une série de livres finis, isolés. Que la fin de La Petite Femelle soit dans La Serpe me plaît bien.
La Serpe, c’est aussi un roman qui met en scène la vérité des relations entre un père et son fils, Georges Arnaud et son père, mais aussi … Philippe Jaenada et son fils. Est-ce le vrai sujet du livre ?
Ça prend peu de place dans le livre, sans doute une demi-page sur les 650 du livre est consacrée à mon fils. Mais les lecteurs le captent très vite et me disent « c’est fou l’amour que vous portez à votre fils ». Il y a deux trois scènes où je parle de mon fils, en effet. Mais je n’arrive pas à écrire que j’aime mon fils de tout mon cœur. Ça fait 17 ans que j’ai envie d’écrire dans un livre ce que je ressens pour mon fils et je n’arrive pas, je me sens englué dans le mièvre, ça ne va pas.
A Périgueux, je découvre les lettres entre le père et le fils. C’est à ce moment que je me rends compte que je ne peux plus lâcher Georges Arnaud : il n’a pas pu tuer un homme à qui il écrit de telles lettres un mois plus tôt. Je visualise le livre comme une sphère à plusieurs épaisseurs : la « croûte terrestre » serait l’histoire d’Arnaud, l’intérieur se consacrerait au crime, et au cœur du livre et de la sphère, une boule de feu qui serait l’histoire d’amour entre un père et son fils. Ce lien si fort entre eux m’offrait le moment de parler de l’amour que j’ai pour mon fils. En croisant les doigts, en espérant qu’on comprenne, je me suis montré sous un angle ridicule, j’ai fait pareil avec mon fils, parce que parler de mon fils comme je parle de moi, c’était une façon de montrer qu’il est de ma chair et mon lien le plus précieux. Vous voyez bien que j’en parle mal.
Votre Prix Femina a rendu heureux tout le milieu littéraire. Vous saviez-vous si populaire ? Comment expliquez-vous cette cote d’amour ?
Parce que je suis quelqu’un de merveilleux, et très rapide à la course, c’est normal qu’on m’aime (rires). Je constate et cela me surprend, que tout le monde a l’air content. J’ai vu des photos des couloirs de Robert Laffont au moment de l’annonce du Femina, il y a des gens qui courent, sautent, ils sont heureux. Ça m’a ému à un point ! Peut être que je ne me rends pas vraiment compte parce que les gens vous félicitent toujours, mais cela me touche. L’expliquer, je ne sais pas. Ce que je trouve bizarre, ou curieux dans le fait que La Serpe ait reçu le prix Femina, c’est que ce livre parle a priori d’un sale type, considéré comme macho, brutal, qui aurait commis un crime atroce. On est loin des valeurs du féminin et sans doute du Femina. Dans ce livre, mon but était de montrer qu’il y avait des sentiments, de l’intelligence, et tout le contraire d’un macho. Je me dis que les dames du Femina l’ont vu, et j’en suis infiniment touché.
Propos recueillis par Karine Papillaud
je ne l'ai pas encore lu mais j'espère en avoir la possibilité de le faire en 2018 !
Un livre que j aimerais decouvrir dans le suspens et la justice il fait pâtit de mes coup de coeur ....