C’est dans la très littéraire maison d’édition Philippe Rey que Patrick Poivre d’Arvor révèle son Eloge des écrivains maudits. Cadeau idoine pour le Noël des amoureux de littératures, il prend la forme d’un tour du monde des lettres en quatre-vingts auteurs tourmentés par la vie, dont deux tiers sont Français, un tiers étranger.
Tous ont pour point commun d’avoir été frappé par la tragédie. L’hypersensibilité, le deuil, l’incompréhension du monde jusqu’à la folie de soi-même, l’amour fou ont été pour tous et chacun la main qui les a conduits à l’écriture. A travers ce parcours d’hommes et de femmes, d’Alain-Fournier à Virginia Woolf pour citer deux opposés alphabétiques, c’est un regard mûri et ému que l’écrivain Poivre d’Arvor porte sur l’histoire littéraire, dans une langue élégante et sensible. Lecteurs l’a rencontré, dérangeant la solitude à laquelle il s’astreint pour écrire son prochain roman.
Quelle est votre définition d’un écrivain maudit ?
Il peut y avoir plusieurs définitions, la mienne est subjective. Ecrivains fauchés dans la fleur de l’âge, suicidés ou victimes d’addictions graves comme l’alcool, la drogue, le jeu, ou encore qui n’ont pas été reconnus de leur vivant pour ce qu’ils valaient. Les choix que j’ai faits dans ce livre sont ceux de quelqu’un qui a aimé et qui a été aidé par ces écrivains. Je les remercie là où ils sont.
A quand remonte votre affection pour ces auteurs, quand se sont-ils invités dans votre vie ?
A l’adolescence, je trouvais mes amis dans la compagnie des livres et des héros. J’étais timide, il est vrai. Et puis les circonstances et la maladie ont fait de moi un garçon qui a eu un peu plus de temps que les autres pour lire et réfléchir sur le sens de la vie. J’ai beaucoup lu, beaucoup fréquenté les auteurs. Mon premier livre est né de cette expérience douloureuse. Je l’avais alors présenté comme un pur roman, sans m’étendre sur la partie autobiographique qui le motivait. Je faisais alors de la télévision, je ne tenais pas à ce que ma vie, mon intimité, soient étalées sur le tapis. Cela m’est plus facile d’en parler, maintenant que le temps a passé et que j’ai écrit plusieurs livres depuis. L’écriture est une façon de se poser face à un problème, la sagesse, de les dépasser.
Pourquoi avez-vous choisi ce nombre de 80 écrivains ?
Il m’a été très difficile de n’en retenir que 80. Pour tout vous avouer, j’étais parti pour écrire un second tome. Pour arriver à ce compte qui rappelle, non sans clin d’œil, Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne, je me suis concentré sur les écrivains qui m’ont modelé, jeune, ceux que j’avais lus alors, ceux qui m’ont troublés ou émus. Tous les écrivains de ce recueil m’ont attirés, même si je ne les aime pas tous, humainement parlant.
On vous découvre des goûts que vos livres ne faisaient pas soupçonner, Lovecraft, la SF avec Philip K. Dick. C’est inattendu !
Pour moi aussi ! La science-fiction n’est pas un genre que je lis beaucoup aujourd’hui. Je l’ai souvent découverte d’abord par le cinéma, Blade Runner a été adapté d’un livre de Philip K. Dick, ou sur l’insistance d’un ami passionné. Mais ce n’est pas le genre que j’affectionne le plus, même si ces auteurs ont joué un rôle à un moment de ma vie.
Les écrivains qui tutoient la folie reviennent souvent dans le livre...
J’étais conscient de cela en l’écrivant. Je me suis souvent posé la question de qui est fou, par rapport à qui, à quoi ? C’est une interrogation d’adolescence que je me suis souvent formulée. Je m’aperçois que j’allais souvent vers des gens qui n’allaient pas bien. Le goût pour la fragilité, la faille ? Beaucoup d’écrivains du livre sont dans cette quête, ne savent pas ce qu’ils valent, se posent des questions ; d’autres cheminent avec plus d’assurance. Mais ce qui les marque tous, c’est leur fragilité. Le monde n’a pas su les accueillir.
On découvre aussi des auteurs inconnus à notre époque, comme Luc Dietrich, Roger Gilbert-Lecomte, Raymond Guérin, Jean de la Ville de Mirmont, parfois célèbres de leur vivant, ou restés ignorés par leurs contemporains comme la postérité. N’est ce pas la pire des malédictions pour un écrivain que de n’avoir connu aucune reconnaissance, de son vivant ou posthume ?
Ah oui, je trouve cela terrible. En vous parlant, je pense à Olivier Laronde dont j’ai un exemplaire des Barricades mystérieuses sous les yeux. Je pense à des êtres comme lui qui terminent de façon extrêmement douloureuse. Pour un certain nombre d’entre eux, c’est le cinéma qui les met au devant de la scène, comme Hôtel du Nord d’Eugène Dabit, ou un éditeur, comme « Le Temps qu’il fait » qui redécouvre Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich soixante ans après sa première publication. Et puis l’ironie ne les épargne pas toujours, regardez le cas de John Kennedy Toole qui se suicide parce qu’il ne trouve pas d’éditeur et dont les livres enfin publiés connaîtront un immense succès… mais après sa mort.
Expliquez-nous votre passion pour Heinrich von Kleist. Pourquoi cet auteur vous touche tant ?
Le Prince de Hombourg, c’est, dans mon oreille, la voix de Gérard Philipe enregistrée au festival d’Avignon. Ce livre est pour moi le romantisme absolu, à l’instar de Novalis, Goethe. Je tiens le goût pour cet univers de mon adolescence, de l’isolement qui a été le mien à un âge tendre, dans un sanatorium en Suisse.
Et enfin, un aveu : vous dites tenir Crime et Châtiment pour le plus grand roman de tous les temps.
Je devrais dire, si j’étais honnête, qu’il est le plus grand roman policier de tous les temps. Par la force des personnages, ce jeu tenu du chat et de la souris, c’est un livre très fort. Il y a aussi Nietzsche dans ce livre, bien que j’aie hésité à placer un philosophe parmi ces écrivains. Mais la vie de Nietzsche, sa langue. Même si je suis moins porté sur la philosophie que mon fils François, j’ai trouvé fascinant de croiser chez lui et chez Dostoïevski, les mêmes fantômes et la même scène de cheval cabré dans la rue, si tragique chez l’un et chez l’autre.
Ce livre est aussi pour vous l’occasion de porter un regard sombre sur la littérature aujourd’hui. Qu’est-ce qui motive le pessimisme à l’œuvre dans cette phrase : « J’ai bien conscience que ce monde-là, celui des amoureux de la littérature, est en train de s’effondrer comme la banquise de l’Arctique et de l’Antarctique » ?
On donne l’impression d’être passéiste quand on dit des choses comme cela, mais je suis un peu pessimiste, en effet. Il n’y a qu’à constater la place qu’occupent les émissions littéraires à la télévision depuis une dizaine d’années. La librairie descend chaque année un peu plus. Face à cela, les éditeurs recourent à des subterfuges pour retomber sur leurs pieds, et la littérature, même si elle continue d’être célébrée, est loin d’être un sujet dominant aujourd’hui.
Je vois bien que les générations, les unes après les autres, passent à l’écran et ça me rend triste. Je sais ce que les livres m’ont apporté, j’aimerais que les jeunes se rendent compte que les livres peuvent enrichir ceux qui les lisent.
Et s’il ne fallait en garder que dix ?
C’est vraiment une question très difficile. Je vous répondrais de bien des auteurs que j’aurais aimé qu’ils soient mes amis. Je garderais peut être alors Radiguet, Rimbaud ; j’aurais bien aimé vivre les aventures de Jack London, et j’aime énormément Desnos pour son courage. Et puis Gérard de Nerval, mais sans la rue de la Vieille Lanterne ? J’aurais aimé avoir Baudelaire à ma table. Je serais tombé amoureux d’Isabelle Eberhardt et me serais laissé émouvoir par Sylvia Platz. J’aurais aimé aider Virginia Woolf à ne pas se jeter dans la rivière.
Notons encore qu’un beau livre coécrit par Patrick et Olivier Poivre d’Arvor, et consacré à leur passion pour la mer et ses aventuriers vient de sortir. Héros des mers, (ed. Place des Victoires) narre les odyssées de Magellan, Christophe Colomb, James Cook, des pirates Ann Bonny, Madame Ching ou encore du fameux Barbe Noire.
Propos recueillis par Karine Papillaud
Merci pour cet article qui donne envie de découvrir ces auteurs sous un angle nouveau et peut être arriver à émoustiller les lecteurs de demain!