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Quand on feuillette les catalogues des grandes maisons d'édition, où figurent les noms de tous les auteurs qu'elles ont publiés, on a un peu froid dans le dos. Quatre-vingt-quinze pour cent de ces noms sont oubliés. Une autre chose est frappante. Beaucoup de ces auteurs ont disparu après avoir publié un livre ou deux, pas plus. Comment ont-ils vécu ensuite ? Qu'ont-ils fait, que sont-ils devenus alors que plus personne ne se souvenait qu'ils avaient écrit ? Écrire n'a jamais transformé la vie, ni arraché qui que ce soit à l'humaine et infirme condition. Le constat serait amer s'il n'y avait l'humour de Laurence Cossé et son attrait pour la face cachée des êtres et des destins, si touchante, souvent, si incongrue qu'on se dit : cela ne s'invente pas.
Janvier 2013 ; 314 livres sont sortis (source book.node). combien iront au pilon ? Combien d’auteurs ne seront pas ou peu lus ? Combien d’auteurs ne publieront pas d’autres livres ?
Combien de premiers livres surprises ?
Laurence Cossé nous raconte la vie de plusieurs de ces auteurs.
Ainsi, cette jeune auteure ; son premier roman est couronné par un grand prix prestigieux ! La voici devant le micro pour remercier et là…… elle nous donne à voir l’envers du décor, les petites employées invisibles….. Quelle revanche oui, mais quelles humiliations, faire partie du décor ni plus ni moins que les plantes vertes décorant le hall d’entrée. Cette nouvelle acerbe donne à penser sur la vanité des « élus », de la cruauté du monde de l’édition, tous ces écrivains, ces éditeurs, ces journalistes, ces …. « La standardiste » une nouvelle cynique… mais jouissive.
« Le coup du lapin » : Non il ne s’agit pas des suites d’un accident de voiture, mais un accident maternel. Une mère auteure, l’inspiration l’a fui depuis longtemps. « Heureusement » son fils, par une de ses maladresse coutumière lui donne l’Inspiration « Quel sujet, répéta-t-elle. Voilà ce que j’attendais depuis des mois : qu’on m’apporte un vrai grand sujet sur un plateau ! ». Les dommages collatéraux, comme les fous de guerre, elle ne s’en occupe pas du tout.
« Les carnassiers » tout aussi dur et cruel. « Le nœud de l’histoire » comme un nœud gordien qu’Eric ne saura trancher. « Eric le comprenait soudain, il n’avait jamais écrit qu’à son père, et dans un but unique : essayer de lui plaire ». et quelle chute !
« Un pull bleu très doux » ou les bévues d’une journaliste télé avec un auteur enfermé dans son monde. Reportage scénarisé que l’auteur vit très mal. « Te frappe pas, j’ai vu ça dix fois. Ce mec est comme les autres. Tous les gens qui écrivent sont cinglés. Plus u moins cinglés, mais cinglés. C’est pour ça qu’ils écrivent du reste. »
Laurence Cossé dépeint le quotidien de ces écrivains en panne d’inspiration, en panne de vie, des auteurs perdus dans leur quotidien « Quand on lui demandait « Ah, c’est vous qui écrivez ? » (aux réunions de parents, au retour de sorties de classe, parfois à un dîner exceptionnellement dans l’autobus), elle disait « Oui, de temps en temps ». Des années durant elle avait répondu « Oui, à mes moments perdus », mais un jour elle avait pris conscience que les moments perdus étaient une chose qu’elle et son existence ignoraient complètement, et elle avait changé de formule. Elle écrivait l’après-midi, entre deux et cinq, tous els jours sauf les jours où c’était impossible ».
En lisant ces nouvelles, je me suis demandée pourquoi l’écriture est-elle si aléatoire qu’est-ce qui fait qu’un écrivain renommé tombe d’un seul coup dans l’oubli, pourquoi un auteur arrête soudainement d’écrire, pourquoi certains n’osent braver l’interdit et publier leur manuscrit « la dame lui a rendu son manuscrit quelques jours plus tard, en lui disant – ma mère l’a noté scrupuleusement : « c’est une histoire de vie très touchante, je dois dire qu’on est ému. Mais je ne vois pas pourquoi je vous tairais la vérité, je vous parle comme je parlerais à un auteur : ce texte n’a pas d’intérêt littéraire. » » Or ce livre vient de recevoir un prix prestigieux !!!
Quelle chirurgie, quelle vivisection du monde littéraire. Laurence Cossé tranche dans le vif ! Elle manie, à la fois, la cruauté, l’humour, l’ironie, la légèreté voire une certaine tendresse envers ces écrivains sans livres, sans gloire ou à la gloire passée, ces exclus des gondoles, mais qui, vaille que vaille, rament, continuent. Les chutes sont aux petits oignons.
Je suis de parti pris car Laurence Cossé est un écrivain que j’aime beaucoup. Lisez-le, c’est un très bon bouquin. Des nouvelles à lire et à relire.
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