"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« À la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, parmi les manuscrits français de la collection Dubrowsky, se trouve un volume in-8 de 327 pages, intitulé Voyage faict en Franche-Comté, Suisse, pays des Grisons et Italie en l'année 1678. L'auteur, anonyme, est parti de Paris pour Lucques le 9 octobre, et a suivi un itinéraire assez capricieux qui l'a conduit, d'abord par Dijon et Dole à Genève ; de là, il est remonté à travers les Treize Cantons, jusqu'au lac de Wallenstadt, puis il est entré en Italie à Bergame, d'où il est arrivé, en visitant Modène et Florence, à destination. Après un séjour d'environ six semaines à Lucques (16 novembre-26 décembre), probablement au milieu de sa famille, il a regagné la France en suivant le littoral jusqu'à Cannes, puis il a remonté le Rhône et la Saône ; Saulieu, Auxerre et Sens ont été ses dernières étapes avant Paris, où il est rentré le 19 janvier 1679. Comme il dit avoir fait antérieurement un semblable voyage au-delà des Alpes, qu'il nomme un de ses cousins, Henri Burlamachi, nous pouvons supposer que c'était un Italien établi en France et qu'il appartenait à cette famille des Burlamaqui dont un membre, un peu plus tard, s'est illustré à Genève par ses ouvrages de droit. Sa relation ne se recommande ni par les traits pittoresques ni par l'agrément du style mais elle lui offrait un memento très exact et elle donne à son lecteur une notion très nette des pays qu'il a traversés, des horizons et des monuments qui ont passé devant ses yeux. C'est une description topographique qui, pour la Franche-Comté, a un intérêt spécial, car elle fixe l'état des lieux à la date de 1678, qui est celle de la réunion légale de la province à la France. Aussi ai-je cru devoir transcrire un certain nombre de pages, depuis celle qui nous montre le voyageur sortant d'Auxonne et apercevant au loin les hauteurs de Mont-Roland jusqu'à celle où nous le voyons franchir, au-delà des Rousses, la frontière de l'État de Genève. Les amis de notre histoire locale y trouveront peut-être quelques détails de nature à les intéresser et ainsi ces fragments qui, à défaut d'autre mérite, auraient celui de venir de bien loin, se trouveront, par l'intermédiaire de nos mémoires, restitués à la Franche-Comté et à la France.
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"(Auxonne) est peu de chose par le dedans n'estant ni grande ni bien bastie ce qui y est de plus considérable est la situation, estant dans un très beau pays et sur le bord d'une belle rivière, et les fortifications que le Roy y faict faire, qui seront très belles et très bonnes quand elles seront achevées. Il y aura onze bastions réguliers sur deux desquels il y a des cavaliers, le tout revestu de pierre aussi bien que la courtine dont il y en a déjà quelques-unes de faictes, et ce sera assurément une très bonne place, n'estant commandée de rien et estant, outre les fortifications, défendue d'un costé de lieux marécageux; la Saosne qui vient de Grai et qui va après gaigner Verdun et Chaalon passe à son couchant, au pied des bastions. Les femmes y sont assés jolies et propres et c'est un assés beau sang, mais la ville n'est pas extresmement peuplée. M. de Bissi en est gouverneur et M. de Flammerans, lieutenant de roy.
J'en partis sur les deux ou trois heures après midi et, à une portée de mousquet de la ville d'où je sortis par le costé opposé à la rivière, je commençai à entrer dans des bois dans lesquels je marchai plus de trois heures par des chemins assés marécageux et la pluspart accommodés avec des fascines, au bout desquels je rencontrai quelques villages dans de petits fonds et passai quelques eaux, après lesquelles je commençai à monter dans des broussailles et vis, à ma gauche, une montagne assés élevée avec un couvent dessus, sur la droite de laquelle on me dit que dans un fond estoit Dole, la première ville de Franche-Comté de ce costé là. Je montai encore quelque temps par l'endroit le moins élevé de cette montagne où estoit cette esglise et sur sa droite, et estant arrivé au haut, je vis dans un fond entouré en éloignement de coteaux et de montagnes assés élevées, le lieu où je devois coucher et la ville dont je viens de parler, qui estoit la ville de Dole.
Je descendis par un chemin qui costoyoit quelques bois et, après avoir remonté une petite haulteur qui est près la ville et l'avoir redescendue, je me trouvai contre des palissades et entrai dedans par une belle porte. Ce lieu est considérable par les belles fortifications que le Roy y a faictes et par la beauté de sa situation. Ce sont cinq bastions avec leurs courtines toutes revestues de pierres de taille avec autant de demi-lunes et de dehors très réguliers, le tout comme les bastions revestu de pierre et en très bon ordre. Il y a quelques hauteurs assés près de la ville, mais il y a sur trois des bastions d'anciennes tours servant de cavaliers que l'on a coupées à certaine haulteur et qui commandent les haulteurs susdictes.
La rivière de Doux qui vient de Besançon et qui va se rendre dans la Saosne passe d'un des costés de la ville vers le levant et un bras que l'on a coupé coule dans le fossé et lave deux de ces bastions et une courtine, le reste n'en estant séparé que d'une petite langue de terre et estant bordé du costé opposé à la ville d'un agréable coteau sur lequel vis-à-vis la ville est un couvent de Minimes bien basti. La ville, du costé opposé à la rivière, a quelques petites haulteurs qui continuent encore du troisième costé, mais le quatrième est un plat pais bordé de quelques prairies qui viennent joindre la rivière et c'est, je crois, le costé du midi. Des cinq bastions qui enferment la ville, deux, ainsi que je l'ai dict, donnent sur la rivière et les trois autres regardent les aultres costés.
La ville, par le dedans, est fort peuplée et remplie d'assés jolies maisons, la pluspart de pierre, dont quelques unes ont assés d'apparence. Un des plus grands bâtiments qu'il y ait est l'hospital, qui a une assés belle façade du costé qui regarde la porte du pont. Il est basti de trois costés et a des corridors tout autour par lesquels on entre dans la salle des malades. La grande esglise est assés spatieuse et bien bastie et il y a une grosse tour sur la porte qui est assés haulte elle est au milieu d'une petite place, dans un lieu un peu eslevé et domine par là aisément toutte la ville, laquelle, estant un peu haulte et basse et une partie de ces bastiments s'eslevant au dessus des aultres, faict que les haulteurs voisines les pourroient incommoder nonobstant les boulevars. Les rues en sont assés bien pavées et il y a très peu de portes cochères, au-dessus d'une desquelles, à l'imitation de Flandre et d'Angleterre, je vis des armes dans un tableau qui estoient celles du maistre de la maison avec la datte de sa mort. Dans quantité de maisons, les fenestres d'en bas y estoient grillées, mais de grilles qui fesoient un coude en rond en dehors par contre pour donner plus de facilité à ceux qui voudroient regarder par les fenestres. Le sang est assés beau dans cette ville, et les filles et les femmes y sont assés jolies. M. de la Feuillée en est gouverneur, et M. d'Espagne, lieutenant de Roy. L'on mène parler à un des deux tous les étrangers qui arrivent.
Je logeai à l'Espée d'armes et en partis le lundi 17, pour venir gaigner Salins, toujours avec mon mesme voiturier. Je sortis par le costé de la rivière et, après avoir passé sur un pont le fossé plein d'eau de la Doux, je traversai une petite langue de terre et passai ensuite un aultre pont qui traversoit le reste de la rivière, qui estoit plus large que la moitié de la Seine et qui tramoit un fort joli pays. J'eus pour perspective, sur la haulteur en sortant du pont, cette esglise des Minimes dont j'ai parlé, qui est assés bien bastie et qui, avec son couvent, faict une assez grande façade. Après avoir un peu monté, je passai à la porte et, tournant à droite en montant encore un peu, je costoyai la rivière en veue de toutte la ville qui paroissoit par delà du long de mon chemin. Sur le bord de la coste estoit une petite allée de deux rangs d'arbres qui jouissoit de toute la veue de la rivière et de la ville et estoit bordée des deux costés de deux petits murs d'appui de verdure. Un peu après cette allée et ensuite dans la mesme veue, mais sur la plaine, la coste ne montant plus en cet endroit, en estoit une seconde toutte semblable à la première, qui conduisoit à un petit couvent, je crois, de Capucins, qui estoit sur le bord de la coste. Après avoir regardé de là avec plaisir toutte la ville, dont les bastiments et les esglises s'élèvent vers le milieu les uns au dessus des aultres, la rivière qui la bordoit et touttes les costes, les prairies et l'agréable pays qui l'environnoient, je tournai à gauche et entrai dans deux grands bois haults et bas en quelques endroits qui, après deux heures de chemin, me conduisirent en un village composé de maisons esparses par cy par là et qui, estant au bout du bois et sur le bord d'une coste, avoient la veue au dessous de soy sur une assés belle plaine dans laquelle passoit une petite rivière, mais qui semble quelquefois extresmement [un mot illisible] du voisinage des montagnes et qui se rend de la Doux au dessus de Dole. Cette rivière qu'on appelle la Loue a, par delà, un pais rempli de bois tant que la veue se peut estendre à droite et à gauche et ces bois sont bordés par de grosses costes couvertes de verdure de touttes les formes et de touttes les haulteurs, y en aiant une entre autres sur la gauche extrêmement haulte et pleine de rochers par en hault." »
Un voyageur en Franche-Comté en 1678 / par M. Léonce Pingaud
Date de l'édition originale : 1900
Sujet de l'ouvrage : Franche-Comté (France) -- Descriptions et voyages -- 17e siècle
Appartient à l'ensemble documentaire : FrancComt1
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