"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Printemps 2020. Le Cinéma français - mais pas que - en Noir et Blanc a presque entièrement disparu du PAF. Il y a vingt ans, c'est loin, vingt ans, il constituait encore l'essentiel de la programmation de Ciné + Classics (mais ça, c'était avant). Aujourd'hui, il culmine à 20 ou 25%, en comptant les « classiques ». Patrick Brion officiait encore sur France 3, point encore devenue « .3 » (mais ça, c'était avant la mise au placard sur France 5, déjà devenue « .5 »). Ce qui a précédé ne constitue en aucun cas l'expression d'un regret ou d'une nostalgie. Ce n'est qu'un constat, et rien de plus. Et non : ce n'était pas « mieux avant ». On sait sur quoi ont débouché les « folles années trente », bien plus folles encore qu'on aurait pu le supposer.
Dans le même temps, l'offre DVD et/ou VOD n'a jamais autant mis le Noir et Blanc a l'honneur que depuis quelques années. Les titres produits en France au cours des quinze premières années du Parlant, en considérant que le Cinéma français des années d'Occupation a constitué en très grande partie un prolongement de celui de la décennie précédente, représentent aujourd'hui une part croissante des rééditions. Les titres peu ou jamais réédités depuis leur première sortie en salles constituent eux-mêmes un pourcentage non négligeable de cette politique de remise dans les circuits. Et l'oeuvre de « restauration » se poursuit, forte du professionnalisme de certains éditeurs (pas tous). Une date, parmi tant d'autres ? 2018 : la version « intégrale » de Gueule d'Amour, invisible depuis vingt ans, ressort chez TF1. Quelques mois plus tard, « Gaumont à la demande » permet à Mademoiselle Mozart (Yvan Noé, 1935), comédie trépidante portée par le jeu déjà magistral d'une Danielle Darrieux de dix-sept ans, de bénéficier d'une réédition bienvenue, huit décennies et demi après avoir (presque) totalement disparu des radars. Champagne. Dans le même temps, des chaînes Youtube, des forums de cinéphiles ont accompagné ce processus de rééditions en remettant, certes toujours un peu à la limite de la légalité, un nombre incalculable de raretés en ligne. Au-delà du dol manifeste fait aux ayants-droit de la majeure partie des oeuvres concernées, du moins celles n'étant pas encore tombées dans le domaine public, les chercheurs ne peuvent que s'en réjouir. Si le présent ouvrage, ainsi que les suivants, sont un peu plus exhaustifs qu'au moment de leur mise en chantier, il le doit beaucoup aux internautes et cinéphiles anonymes ayant mis en ligne, depuis un an, des oeuvres difficilement accessibles, d'Augusto Genina, de Fédor Ozep, de G. W. Pabst, de Jacques de Baroncelli, de beaucoup d'autres... Champagne again.
Ce sont toutes ces raisons, et beaucoup d'autres, qui nous ont conduits à ouvrir une parenthèse dans la publication - toujours d'actualité - de notre Encyclopédie des Longs-Métrages 1929-1979, pour mieux axer, l'espace de trois ou quatre volumes, nos recherches sur une période-charnière de l'Histoire du Cinéma, du cinéma français et du cinéma tout-court.
1.500 longs-métrages ont été produits en France entre 1929 et 1939. Environ un tiers des oeuvres concernées a disparu sans espoir de retour, notamment la production de la Paramount française et la majeure partie des coproductions franco-allemandes tournées à Berlin de 1931 à 1934. Reste un peu plus de 1.000 films, dont 600 ou 700 ont fait l'objet, sinon de rééditions en bonne et due forme, du moins d'une remise avérée dans les circuits de diffusion pris au sens large. C'est ce corpus, mêlant oeuvres mythiques et absolues raretés, que nous nous proposons d'explorer, page à page, film à film.
Toutes les oeuvres abordées ne présentent pas - loin s'en faut - un intérêt comparable. Mais toutes sont visibles pour qui veut ou peut se donner les moyens de les chercher. Toutes reflètent, en mode majeur ou en mode mineur, l'extraordinaire vitalité d'une industrie cinématographique, riche, plurielle, point encore formatée par le modèle hollywoodien, avec ses capitaines, parfois omnipotents, et ses artisans indépendants. Le cinéma français des années Trente est celui de Carné, de Duvivier, de Grémillon, de Guitry, de Pagnol, de Renoir, de Tourneur, c'est également celui des « ovnis » Jean Vigo, Jean Godard, Jacques Constant, Dominique Bernard-Deschamps et Louis Valray.
Les rares metteurs en scène s'étant vu - chichement - octroyer a posteriori le label « auteur à part entière » par Arts puis les Cahiers, le « Patron » Jean Renoir ou le malin Marcel Pagnol en tête, ne visaient pas forcément l'élite, conscients que le fait d'avoir la carte passait par le fait de tourner des oeuvres immédiatement rentables. Leur logique était, ce faisant, la même que celle de nombreux cinéastes qui se virent dénier, et Julien Duvivier plus qu'un autre, ce même statut d'auteurs - au nom de quels critères ? - par François Truffaut d'abord, par Serge Daney ensuite.
Ce livre et les suivants n'ont d'autre objectif que de remettre, eux aussi, un certain nombre de pendules à l'heure, et d'émettre l'hypothèse que - peut-être - un Baroncelli, un Bernard, un Berthomieu, un Boyer hautement réussis valent mieux, à tout prendre, qu'un Pagnol médiocre (il y en eut, et pas qu'un peu) ou qu'un Renoir raté (même remarque). Notre mot d'ordre, en tout état de cause, a été de donner la priorité aux films, qu'ils soient réussis, un peu moins, ou, pour une minorité d'entre eux, pas du tout. Le plaisir pris à voir et à revoir sur copie l'essentiel des films figurant au sommaire du présent ouvrage, s'est, d'une manière générale, avéré très vif durant le semestre entier qu'a duré sa rédaction, et les (re)visionnages, sur la toute dernière ligne droite, d'Amok (Fédor Ozep, 1934) d'Anne-Marie (Raymond Bernard, 1935) ou Ciboulette (Claude Autant-Lara, 1933), vrais et grands films d'auteur(s) dans les trois cas, en passant par ceux de L'Ami Fritz, La Belle de Montparnasse ou de Cavalcade d'amour, n'ont pas été les moins excitants du lot.
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