"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il y a une famille, ordinaire : inscrite dans son époque, avec ses habitudes, ses qu'en-dira-t-on, son entre-soi ennuyeux. Chacun à sa place. La figure centrale est le père, et pourtant si peu là ; chacun s'appréhende en fonction de lui, sauf le « dernier » (le narrateur), décalé, hostile.
Le suicide du père vient ébranler la distribution des charges et démentir les certitudes. Le « on ne dit rien à personne » s'entrouvre : refoulés pendant des années, les souvenirs de l'« enfantprêté » refont surface. Les flous qui perduraient, déplacés sur le père et faisant de lui « un monstre », s'élucident.
C'est avec une écriture boitillante, un récit désarticulé aux conjugaisons mélangées que l'auteur sature la fracture, puis la « concorde » possible entre père et fils, mais du côté d'une balafre commune : « je / tu / fondus / Nos démolis » - dans l'ambivalence de la honte et de la culpabilité partagées.
Après le livre de Neige Sinno, j’avais envie de souffler un peu. Et comme je ne lis jamais la 4e de couv’… me revoilà plongée de nouveau dans une atmosphère familiale terriblement étouffante : « Topographie ». Celle d’une famille. Une famille d’agriculteurs dans la campagne normande. Un texte très court. Et vlan, prends-toi ça. Sept chapitres. Comme des cris, des coups de poing. Le père, pendu. La mère, seule et démolie. Le frère qui fait ce qu’il faut faire : reprendre l’exploitation agricole. La sœur qui fout le camp en ville, se marie, divorce. Elle avouera à son jeune frère qu’elle a été jalouse de lui lorsqu’ils étaient enfants. Quand vous saurez de quoi... À pleurer…
Dernier chapitre : l’enterrement du père. « Trois cents personnes c’est long »
Et au milieu, au centre presque, de ce minuscule petit livre, un chapitre intitulé « chaque vendredi »… Le truc bien glauque qui recommence : les « petits viols », l’horrible oxymore. L’enfance brisée, encore une fois. Ils sont combien à subir ça ? Beaucoup d’après ce qu’on dit.
Quelle puissance fulgurante que ces quelques pages... J’aimerais le dire autrement pour mieux vous convaincre. La langue (car ici, écriture il y a!!!), à la fois narrative et poétique, des vers libres un peu, la langue donc claque, se disloque, se désarticule, se brise, se heurte à l’indicible qu’on a toujours tu et qui va sortir. Là. Maintenant. Les mots trop longtemps enfouis, gardés secrets, vont jaillir. Ils semblent se bousculer pour s’échapper dans l’air. Parce qu’il faut que ça sorte. Le moment est venu. On a attendu trop longtemps.
Le narrateur-enfant communique peu avec son père. Leur hostilité réciproque est faite de silences, de peurs, d’incompréhension. On s’épie, on se déteste aussi. On ne se connaît pas surtout.
La vie est morne. Banale. On se met à table à midi moins cinq et le père repart bosser après. C’est pas foufou comme dirait ma fille. Tout transpire l’ennui et la tristesse chez ces gens-là. Et le vendredi, le narrateur-enfant va chez des voisins sans enfants. Il devient un « enfant-prêté ». La mère veut et oblige le gamin, pour être gentille et faire plaisir.
C’est le genre de livre qu’il faut lire à voix haute pour en apprécier toute la dimension théâtrale. On en goûte mieux la langue, sa nervosité, ses phrases nominales, ses infinitifs agressifs, ses parataxes-mitraillettes et ses allitérations sonores. On s’étonne de toute cette désarticulation, cette discordance qui crie ce monde désaccordé, en miettes, en éclats, ces gens qui se croisent toute une vie, voisins de chambre et compagnons de table, fantômes muets et aveugles. Il faudrait pouvoir s’arrêter à chaque phrase, à chaque mot pour en apprécier l’intensité, la violence, la haine, la colère et l’amour aussi, toujours retenu mais là, on le sent, c’est sûr. Un texte autobiographique, un récit d’enfance à la langue brute, coupante, puissante, très rythmée, qui dit l’absence de communication, l’enfermement de chacun des membres de cette famille dans le silence. Il faut la mort du père pour regretter : « je l’aime tout bas », pour parler enfin, pour dire ce qu’on a vécu. Mais c’est trop tard. « Le père que je prenais pour un autre » n’est plus. Seule l’écriture peut, peut-être, mener au discernement, à l’aurore, à la lumière. « A l’écriture de ne pas fuir.»
Quel texte !
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