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Les carnets de dessins de Matali Crasset.
La tête multipliée a pris place dans les pages qui suivent. Le dessin a pris ses quartiers dans les carnets tenus au jour le jour, mais connaissant un peu Matali Crasset, le jour est sans fin, celui qui lui donne le moment de se mettre au travail et les pages se poursuivent comme dans un flip book qui dit le chat retombe toujours sur ses pattes.
Le moment clos, la fuite s'orchestre au fil du trait, à main levée. Les jours de discipline. Elle est d'astreinte, Matali Crasset, devant le carnet ouvert... Un millier, sans doute plus, les dessins sont là !
Il y a une vraie joie à faire une page, une autre, une autre et hop ! Le carnet appelle le suivant...
Il est rassurant de voir le corps dans ses parties de mains jeux de vilains de têtes de veau parigots de têtes de rien se tordre et s'accessoiriser, comme si la production d'objets et de dispositifs à l'oeuvre en trois dimensions habituelles chez une designeure était réaffectée au corps de nos semblables, devenus le temps des lignes, un artefact en mutation.
Il est plaisant de noter que le corps pousse au poil et cheveu envahissant avant la coupe.
Pubique, d'aisselle, de tête et de thorax, le cheveu/le poil vient là, non pas comme un cheveu sur la soupe, mais bien comme une ramification végétale au même titre que le tuyau (de poil) et comme une nouvelle excroissance bénigne finalement seyante.
Non datée, cette micro-histoire du poil hirsute tire un peu de la situation confinée que nous avons traversée avec obéissance absolue. Faire journal en passant !
Il est instructif de tourner les pages et voir les faces se pourvoir de portes, de volets, de créneaux. Le devenir maison d'un visage non genré est bien là, la plus inattendue des surprises de ce livre qui rassemble plusieurs centaines de dessins précis fa' presto scannés des carnets que l'artiste remplit avec constance et application.
Les narrations induites sont des enchaînements marabout-de-ficelle-de-cheval-d'arson... qui tordent une forme initiale - mais qui se joue comme un morceau d'une chaîne dont les premiers maillons sont oubliés - en une succession d'ajouts jusqu'à ce point final temporaire.
Faute de coeur mièvre fait de doigts pliés rassemblés, on se délectera d'un tissage de doigts de deux mains orthogonales. J'ai attrapé des bouts de choses que je me contente de noter à la reprise. Repriser en est le verbe, ma foi !
On connait les palettes rainbow de Matali Crasset qui fait confiance à la couleur pour divertir les formes plutôt strictes des objets et situations construites qui lui sont commandés. Ici la commande est monochrome : noir pour le trait, du grisé pour les néo-libéraux qu'elle n'est bien évidemment pas. La ligne claire, ni rature, ni biffure, s'exprime sur le papier à toute vitesse du défilement des pages. On y reviendra, plus tard, plus lentement. A vouloir retrouver le cheminement d'une pensée qui se dévoile sous nos yeux en toute impudeur.
Matali Crasset a le sens et le goût de la communauté qu'elle dessine ici d'une manière réaliste ante-numérique en rendant visible les liens interpersonnels-le bras de l'un se prolongeant de câbles connectés au bras de l'autre. L'ère numérique a banni le filaire de plus en plus ne laissant de traces entre les gens que dans l'historique de nos mémoires effaçables. La science-fiction avait pensé ces plug and play, ces fils et tuyaux reliant l'homme aux machines, les machines aux machines et les cosmonautes / astronautes / spationautes / taïkonautes entre eux.
Tentacules d'aliens bien élevés, branchages printaniers et bois de cervidés les fils du livre se déroulent au long des narrations cool. Le médiéval y trouve une juste place quand les crénelages, hénnins, masques de fer, volets sur charnières emballent les têtes dessinées -tête de coucou.
Le design crée l'excroissance corporelle en ce que l'accessoire est considéré comme partie nouvelle d'un corps mutant mais familier et rassurant.
L'incursion sexuée est rare mais actuelle quand la pousse incontrôlée du poil/ cheveu s'affiche sur le corps nu masculin en des cascades de cheveux, barbes, poils d'aisselles et pubiques. Si la nature a repris ses droits et tous les moissonnages de folles graminées suspendus, l'humain a laissé faire la toison au soleil !
Que le carnet 7 invite le fameux escalier à vis M400 de 1966 de Roger Tallon (ou son interprétation métissée) ou encore la lampe Pipistrello (1965) (la bien nommée bouc émissaire d'aujourd'hui) de Gae Aulenti, est bien le gage donné aux pairs et aux plaisirs d'un dessin spiralé et symbolique.
Pas moins, pas plus.
Franck Gautherot
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