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Le livre a pour origine la découverte fortuite par l'historien Pierre Schill, d'une trentaine de photographies dans les archives départementales de l'Hérault : soldats sous des palmiers, désert africain et scènes d'exécution collective en place publique, quatorze corps pendent au gibet. Images « égarées » et retrouvées mais sans aucune indication de date, de lieu ni de nom du ou des photographes. C'est le point de départ de la passionnante enquête historique de Pierre Schill. En identifiant Gaston Chérau, écrivain, comme ce correspondant du Matin lors de la guerre italo-turque en Libye (1911-1912), il propose une analyse historique de ces documents et une réflexion oiriginale sur le statut d'observateur correspondant de guerre à partir d'un corpus important de photographies, d'articles de presse, de lettres et d'écrit littéraire. Mais il y a plus. Soucieux de partager cette découverte, l'historien sollicite le regard et le geste d'artistes contemporains qui entreprennent un travail de création par appropriation (chorégraphique, plastique et littéraire). Quatre contributeurs analysent ces oeuvres en deuxième partie.
Première partie : analyse historique (Pierre Schill) L'écrivain Gaston Chérau (1872-1937) est missionné en 1911 par le quotidien Le Matin, l'un des plus importants de l'époque, pour couvrir la guerre qui vient d'être déclenchée entre l'Italie et l'Empire ottoman à propos du contrôle de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (actuelle Libye). En affaiblissant l'Empire ottoman, ce conflit a joué un rôle déterminant dans le déclenchement des guerres balkaniques (1912-1913) et consécutivement dans l'embrasement de l'Europe en 1914. Il a alors 39 ans. Plus de 250 photographies, une correspondance privée, des articles publiés et un récit littéraire de 1926 constituent la matière de cet ouvrage.
Cette matière abondante, protéiforme - visuelle et textuelle - avec différents registres d'expression - public et privé - permet de suivre et de comprendre la vie quotidienne et le travail d'un correspondant de guerre au temps du télégraphe. Elle constitue un témoignage rare des premiers temps du reportage de guerre et de l'utilisation de la photo dans la presse.
L'ouvrage aide à comprendre le rôle du correspondant dans la construction du récit de guerre ; conditionné par le dispositif d'encadrement militaire, le matériau produit lui échappe en partie en raison des multiples médiations éditoriales qui façonnent ses récits.
En explorant les coulisses de la fabrique de l'actualité, ce livre restitue la genèse du récit, éclaire le prisme d'un métier tout neuf et permet de mesurer une expérience qui au-delà de l'épreuve personnelle est un engagement dans un espace très contraint. En effet, le reporter se trouve pris entre le contrôle exercé par les belligérants - soucieux de contrôler la narration des événements - et par la rédaction du journal désireuse de captiver son lectorat par une spectacularisation de l'actualité. Le journaliste est tiraillé entre sa fonction de témoin et sa manipulation par les pouvoirs politiques, militaires et médiatiques.
L'intérêt historique de ces archives est également de « dépayser » notre regard habituel sur ces conflits prémonitoires de la Grande Guerre. Les documents rassemblés mêlent deux histoires, de niveaux et d'enjeux différents. L'une est collective : c'est celle d'un conflit colonial tardif marqué à la fois par des violences extrêmes et par l'intensité de la répression de masse, mais aussi par des formes de modernité - la plus symbolique étant d'avoir été le théâtre du premier bombardement aérien de l'histoire par aéronefs. L'autre forme d'histoire est individuelle : c'est celle d'un partie de la vie de Gaston Chérau lui-même. à l'écart des figures les plus célèbres de la littérature de reportage - Dorgelès, Leblanc, Leroux, Londres, Naudeau ou Giffard - Chérau est un écrivain-reporter peu connu mais pas inconnu du monde des lettres. Romancier, il a été deux fois finaliste du Prix Goncourt (1906 et 1911) et élu à l'Académie Goncourt en 1926.
Deuxième partie : Regards croisés : histoire, art contemporain, danse et littérature Contributeurs : Quentin Deluermoz (historien), Mathieu Larnaudie (écrivain et éditeur), Smaranda Olcèse (critique d'art), Caroline Recher (historienne de l'art, conservatrice) Ce livre d'histoire est aussi celui d'une histoire : celle du réveil d'une archive dormante puis de sa constitution en tant que source et enfin de son appropriation artistique. Le croisement des regards a donné naissance à trois créations autour d'un titre générique qui reprend l'une des expressions de Gaston Chérau : « à fendre le coeur le plus dur ». Deux expositions et plusieurs livres ont contribué à donner un large écho à cette archive ainsi réveillée et revélée à un large public. Ce sont les oeuvres des écrivains Jérôme Ferrari et Oliver Rohe, de la plasticienne Agnès Geoffray et du danseur et chorégraphe Emmanuel Eggermont. La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée aux modalités et aux enjeux de ce compagnonnage entre art et histoire.
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