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Grâce à Nouvelles & récits du Cap-Vert nous découvrons la réalité du pays sous le joug de l'empire colonial portugais. Les auteurs, précurseurs du premier mouvement littéraire indépendantiste explorent l'identité de leur peuple résistant à tous les égards.
Loin de l'image d'épinal d'un Cap-Vert paradisiaque, on lit l'archipel tel qu'il est, beau mais terriblement dur avec ses habitants. Îles désertes au large du Sénégal, balayées par les vents du Sahara où rien ne pousse, ce territoire a été d'abord foulé par les commerçants européens et les esclaves venus de toute l'Afrique. Des hommes et des femmes s'y sont installés de plein gré ou forcés. Au fil des siècles, un peuple est né, une identité complexe aussi. On entrevoit dans ces nouvelles le quotidien des habitants en prise avec des conditions climatiques hostiles. Le pêcheur voit sa barque bloquée faute de vent, ou au contraire, des navires échouent suite à une violente tempête. On y découvre la faim et l'exil rural. Le manque de structures, d'école et d'hôpitaux. La dépendance au reste du monde et l'émigration. Les rêves d'exil qui alimentent l'imaginaire. Entre misère et beauté. Entre privation et débrouille. «La pauvreté est une école et c'est la grande histoire de ce petit pays» dira un des personnages.
Dans Momiette on suit la rivalité de deux gamins, violente et cruelle, qui laisse esquisser subtilement une histoire bouleversante. Faite de compréhension, de pardon et d'amitié. Dans Le coq a chanté dans la baie on écoute des histoires de contrebandiers et leurs démélês avec un douanier chanteur de morna, ce genre musical propre au Cap-Vert rendu célébre par Cesária Évora. Dans Les travaux et les jours, on y vit la force et l'esprit de solidarité des travailleurs cassant la pierre et apercevant un navire plein de maïs ayant chaviré. Celui-ci sera aussitôt surnomé Amérique, comme un rêve d'abondance, possible seulement ailleurs...
Face à ces obstacles, il y a aussi la gouaille de chacun, la vitalité et la richesse des expressions métissées du créole transpercent dans l'écriture grâce au talent de conteur des écrivains. Et toujours, les accents mélancoliques de la morna qui traduisent à la fois une plainte et un attachement - « dichotomie du vouloir rester et du devoir partir ou du vouloir partir et du devoir rester ». L'amateur de dépliants touristiques sera déçu. Les autres n'oublieront plus.
Une référence ! Récits & nouvelles du Cap-Vert est un hymne pour Claridade (clarté en portugais). Une revue littéraire crée en 1936 à Mundelo sur l’île de Sâo Vicente. Les fondateurs Manuel Lopes, Baltasar Lopes da Silva et Jorge Barbosa ont mis en lumière un mouvement : « Claridoso » qui s’inspire de clarté : livre d’Henri Barbusse. Épiphanie langagière, la littérature cap-verdienne est propulsée, s’inspirant de ses grandes sœurs brésiliennes, portugaises et françaises. Les majeures Éditions Chandeigne érudites, perfectionnistes, spécialistes d’une littérature de renom, certifiée, viennent de mettre au monde un recueil : sept récits ou nouvelles de Manuel Lopes, Baltasar Lopes, António Aurélio Gonçalves et Henrique Teixeira de Sousa. L’idiosyncrasie du Cap-Vert lève le voile. Les habitus et coutumes, couleurs et croyances incitatives, aux découvertes exaltées sont primés dans ce recueil. Quasi classique de par sa puissance et sa maturité les récits et nouvelles sont aussi cette âme palpitante, voluptueuse, sage. « Le sorcier Bachenche » de Manuel Lopes est symbolique, riche de messages, de nuances.
« Même si ce n’est pas correct, je n’ai pas à me mêler de la vie, des affaires de chacun, d’autant plus que je sais, comme tout le monde, qu’il y a du mal qui tourne bien et du bien qui tourne mal, pas vrai ? »
« Celui, qui revient oublie comment il est parti, pour être comme il revient. »
« Nhô Bachenche savait aussi amener vers la lumière du bonheur toutes les pauvres petites âmes qui sur terre subissaient les flammes de l’enfer. Alors… »
L’intrinsèque d’une littérature qui enlève son paravent. Une grenade à mille pépins, juteuse, sucrée, gorgée de fraternité et de simplicité. La part belle aux saveurs et à cette chance Babel de lire le symbole Claridade. Ce recueil est un salut. Le Cap-Vert en lumière et la somme des transmissions langagières. Comme le démontre la quatrième de couverture, (une petite merveille) : « Dichotomie du vouloir rester et du devoir partir ou du vouloir partir et du devoir rester. »
Lire avec attention la postface de Jorge Miranda Alfama. Traduit du portugais par Michel Laban.
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