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« Je ne chercherai pas à être fidèle au style, mais au sentiment proustien », disait Luchino Visconti à propos de l'adaptation de À la Recherche du temps perdu dont il a rêvé toute sa vie. Un film qui ne s'est pas fait, faute d'argent sans doute, mais surtout faute de temps - ce temps de la maladie et de la mort qui avait bien failli coûter son oeuvre à Proust et qui seul contraignit Visconti à
renoncer à son projet le plus cher. Ce film rêvé est notre premier indice, le révélateur de cette étonnante proximité de caractères, qui lie Marcel Proust et Luchino Visconti, et qui est l'objet de ce livre. Né en 1906, soit sept ans avant
la parution de Du côté de chez Swann, le comte Luchino Visconti di Modrone est un authentique Guermantes, héritier d'une famille qui tint la seigneurie de Milan pendant deux siècles, y fit bâtir la cathédrale, et joua un rôle essentiel dans l'histoire de l'opéra le plus célèbre du monde, le Teatro alla Scala. Visconti racontait volontiers avoir vu, à l'époque de sa parution, son père plongé dans Du côté de chez Swann - en français bien sûr, car dans cette famille de la grande aristocratie, on parlait couramment plusieurs langues.
Il est, entre les vies du romancier et du cinéaste, des coïncidences, des correspondances troublantes : quelques personnages communs à leurs existences (comme Jean Cocteau), les figures d'artistes inoubliables qui ont traversé leurs existences (la Callas pour Visconti qui la mit en scène, Sarah Bernhardt et Réjane pour Proust qui en fit la Berma)... et ce curieux hasard qui fait qu'un « marquis Visconti-Venosta » apparaît dans Albertine disparue.
Parenté biographique et, surtout, parenté de création : la rêverie autour d'une enfance mythifiée, la peinture d'un monde au bord du gouffre, Venise, la « race maudite » des invertis sont des thèmes communs à Proust et à Visconti. Toute sa vie, le cinéaste sera hanté par l'oeuvre proustienne, et par ses personnages. Et toute sa vie, il ne cessera de la mettre en scène. Il transpose la relation entre Charlus et Morel dans Senso, recrée la plage de Balbec dans Mort à Venise, fait entendre la sonate de Vinteuil dans Sandra, exalte Wagner dans Ludwig, reconstitue le salon Verdurin dans L'Innocent. Le film de Visconti, À la Recherche du temps perdu, n'existe pas, mais son fantôme traverse les chefs -d'oeuvre de son auteur, obstinément fidèle à ce fameux, et magnifique, « sentiment proustien ». Ce que nous offre là Visconti - une relecture, une réinvention de Proust, n'est-il pas infiniment plus précieux qu'une adaptation littérale, fatalement réductrice oe
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