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Il faut lire ces pages avec ce trouble inquiet d'une contamination dont on ne savait presque rien. Qui a pu oublier ce 15 mars 2020, où tout fut soudain suspendu? L'état de panique où nous étions lorsqu'il a fallu fermer sa porte, pour un temps indéterminé, excepté l'heure d'autorisation de sortie.
Qui parcourra ce livre sera saisi par cette soudaine sidération. Ces pages nous font part des peurs et des pleurs, de l'incompréhension et de la solitude, des malaises et des fatigues qui ont envahi la Seine- Saint-Denis. Elles nous parlent de ces moments d'impuissance et d'initiative spontanée, de désocialisation et de remarquables résistances.
Elles recomposent le puzzle de la catastrophe sociale à partir des comptes rendus d'appels téléphoniques, des mains courantes, des lettres demandant des secours, de l'observation des distributions alimentaires, des files d'attente devant les grandes surfaces ou la Poste, des solidarités...
Plusieurs centaines d'agents du conseil départemental, le plus souvent des femmes, ces « appelantes volontaires », ont engagé la conversation avec les plus vulnérables : comment se passe le confinement ? Qui prend de vos nouvelles ? Qui vous apporte des courses, vos médicaments ? Votre famille vous visite-t-elle ? Des voisins pourraient vous aider ?
Les appels téléphoniques nous montrent les décrochages, à vif : les programmes sociaux en panne, les petites discriminations, la couverture sociale trop courte, les visites des soignants suspendues, la fracture numérique si invalidante, l'allocation qui n'arrive pas, les préjugés nationaux sur les langues d'usage...
Ces appels visèrent à « resserrer les mailles du filet » :
Prolonger un droit au-delà de la limite ; envoyer un secours ; ouvrir des lieux de distribution alimentaire ;
Offrir quelques conseils. Pour faire tenir un bout de la société.
Les appelantes se souviennent : « J'ai appris à faire attention au bruit, dit l'une d'elles, pour savoir si un proche est là, voir s'il y a d'autres besoins. » Monter plus haut la vigilance à la voix, au silence comme au cri. Sentir la menace et trouver les mots pour la dire. Chercher dans les bribes des récits des indices d'alarme qui pourraient ne pas se laisser voir.
L'aide associative prend le relais des faiblesses de l'action publique. C'est la dépanneuse sur zone qui repère les vulnérabilités. En quatre semaines, les associations d'aide alimentaire sont submergées. Des cagnottes s'inventent, des ateliers de coutures fabriquent des masques... De l'éducateur à la bibliothécaire, du livreur au magasinier, de l'épicier du coin au stagiaire d'un service civique, on donne du temps, des bras, en équipe pour récupérer des dons auprès des grandes surfaces ou d'un maraîcher.
Le constat de l'auteur résume une question simple :
« Mais où était donc l'État social actif à la française ? »
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