Depuis 1983, le photographe et écrivain Patrick Bard photographie son neveu. Il a commencé sans trop savoir pourquoi, alors que ce dernier avait 16 ans. Il s'appelait alors Jean-Pierre.
Il s'est marié tôt, a eu deux enfants qui ont grandi et il est devenu transporteur routier à Sarcelles. Quand sa relation au genre a commencé à changer au milieu des années 1990, Patrick Bard a continué à prendre des photos de lui. D'elle, plutôt. Car Jean-Pierre est officiellement devenu Jeanne en 2001.
Jeanne a connu des hommes, puis elle a fini par tomber amoureuse d'une femme en 2008. Au départ, la relation entamée était clairement lesbienne. Deux ans plus tard, Jeanne a décidé de redevenir sexuellement un homme, tout en conservant son identité de femme.
Plus que tout, son neveu Jeanne a décidé que la question du genre n'était pas fixée et que ce n'était pas pour lui un problème.
Mon neveu Jeanne est un livre où le lecteur suit le récit du point de vue de l'écrivain, écrit dans une veine littéraire : de la prise de conscience de son neveu, à son opiniâtreté, envers et contre un milieu social et professionnel, de changer son corps pour devenir femme.
Fait peu habituel par rapport à d'autres récits autour du genre : le retour à sa condition masculine après tous les combats pour assumer une féminité. Un livre de texte émaillé de photographies de Patrick Bard mais aussi de photographies tirées de l'album de famille de Jean-Pierre / Jeanne permet de suivre, dans une certaine intimité, la vie du personnage.
Mon neveu Jeanne de Patrick Bard
Tout au départ, le titre du livre m'avait intrigué « Mon neveu Jeanne », peut-être même avait-il fait appel à mon penchant voyeuriste dont je ne suis pas très fière, mais qui malgré mes efforts pour le combattre persiste encore parfois. Ensuite au-delà de cette déplorable inclinaison que je méprise, j'ai été déstabilisée en découvrant que le héros de ce livre-reportage a été successivement Jean-Pierre, puis Jeanne puis à nouveau Jean-Pierre … Sans parler de l'auteur, Patrick BARD, estampillé photographe, journaliste et romancier qui depuis 1983 photographie son neveu, sans but annoncé, mais comme avec l'intuition que ce ne serait pas en vain. A l'instar de Christian Clavier dans « Les visiteurs », je trouvais rien de mieux à dire « Mais c'est quoi ce binz ? » Et surtout dans quoi me suis-je embarquée ?
Le livre émanant d'un photographe, je craignais de voir des portraits artistiques de « Jean-Pierre/Jeanne » s'étalant sur trois décennies et mettant en scène cette histoire de vie inédit.
Hé bien pas du tout !
D'abord les premiers clichés ressemblent à ceux que toute famille ordinaire à coller chronologiquement dans ses albums de photos au début des années soixante dix – quatre-vingt : le petit en kimono après l'obtention de sa ceinture blanc-jaune, la pièce-montée du communiant trônant sur la table du salon ou les photos de la plage sur laquelle la famille a échoué le temps d'un été. S'en suivent celles du service militaires, puis celles du mariage avec chapeau haut de forme et queue de pie, accroché à son bras l'heureuse mariée dans sa robe-chantilly immaculée et enfin pour poursuivre sur cette lancée sans surprise, celles des premiers enfants.
De l'ordinaire, rien que de l'ordinaire … Les photos ne laissent rien prévoir et n'annoncent absolument pas le virage à 180° des années quatre-vingt-dix et encore moins le contrebraquage de ces dernières années. Et pourtant, ça a du turbiner dans sa tête, dans son corps, à « Jean-Pierre/Jeanne » durant toutes ces années !
Si le livre retrace avec beaucoup de finesse et de pudeur le cheminement suivi par ce héros en quête d'absolu, il reste très vague quant au pourquoi et au comment. En effet les réponses à ses questions appartiennent à « Jean-Pierre/Jeanne ». Elles restent de l'ordre de l'intime qui ne regarde à aucun titre l'inconnu, qui, s'il a droit à prendre connaissance de son histoire, n'est cependant pas autorisé à fouiller les tréfonds de son âme.
Le récit est surprenant, parfois perturbant, mais jamais salace ou concupiscent. Toutefois ce qui m'a particulièrement interpellée, c'est le cadre dans lequel cette affaire de transformation s'est déroulée. Un milieu de la France moyenne, un milieu social plus qu'ordinaire, loin du show-biz et des paillettes, une famille où le déjeuner dominical est une vraie institution, une famille dans laquelle les rôles dévolus aux hommes et aux femmes sont bien distincts et où chacun trouve bon de rester à sa place selon le code sociétal en place en France depuis de nombreuses années.
Après avoir terminé le livre, je me suis demandée pour qui il avait été conçu. Pour tous les « Jean-Pierre/Jeanne », pour leur démontrer que quelque soit le genre, ce qui compte c'est l'être dans sa globalité et sa propension à savoir, à pouvoir aimer ? Ou peut-être aussi pour tous ceux qui sont mal à l'aise avec ces questions de genre et d'orientation sexuelle, afin qu'en lisant ce témoignage, ils ravalent humblement leurs sarcasmes et leur fiel ?
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