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Une femme altière, belle, à la langue acérée dont l'acidité évoque, dit-on, celle du tamarin, le fruit de l'arbre peuplé de mauvais génies : telle est Saroja, la memsahib.
Elle nous est racontée d'abord par sa fille, Kamini, venue faire ses études supérieures au Canada, en grande partie pour fuir cette mère tyrannique, mais qui n'échappe guère à son emprise. Au rythme de leurs brèves conversations téléphoniques hebdomadaires, Kamini revit son enfance dans une famille aisée, marquée essentiellement par la mésentente de ses parents. Couple issu d'un mariage arrangé, selon la tradition. Un père ingénieur des Chemins de fer, situation enviable mais qui l'oblige à de fréquents déplacements. Femme, enfants et domestiques le suivent dans ses affectations successives, du sud au nord de l'Inde. Cet homme, ô combien sérieux, de vingt ans plus âgé que sa femme, a un réel talent de conteur, qui réjouit Kamini. Face à lui, Saroja, dure, ironique, s'efforce de bien jouer son rôle d'épouse et de mère aimante, cherchant de toute évidence à prendre une revanche à travers ses deux filles, Kamini en particulier. Où allait-elle, se demande Kamini, quand, à une certaine époque de leur vie, elle disparaissait des après-midi entières.
Le revers de cette histoire, c'est Saroja elle-même qui la raconte. Sur fond d'affrontement avec un autre personnage de femme : sa propre mère. Élevée dans une famille traditionnelle, dans un village de l'Inde du sud, entourée de frères, de soeurs, d'oncles et de tantes, vrais ou assimilés, Saroja a tenté de se révolter, de faire des études supérieures. Elle s'est retrouvée, à vingt ans, mariée à un homme qu'elle n'avait vu qu'une seule fois avant le jour de la cérémonie. La passion, elle l'a connue plus tard, avec un dénouement tragique. Et maintenant, vieille et libre, elle voyage enfin pour son plaisir, et peut régaler ses compagnes de train de l'histoire de sa vie.
Ce talent de conteur qu'elle attribue à son père, l'ironie dont elle dote sa memsahib, Anita Rau Badami les possède et les exprime de façon impressionnante dans ce premier roman. Si son sujet principal est bien les rapports difficiles qu'entretiennent souvent mères et filles, elle nous offre son image de l'Inde moderne, de sa classe moyenne (un bon tiers de la population, soit près de 400 millions de personnes !), tiraillée entre archaïsme et modernisme, et qui s'exprime dans cette langue si drôle et imagée qu'est l'anglo-indien.
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