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Les flammes des torchères de l'industrie pétrochimique brûlent dans les ciels immenses aux couleurs des peintres, les ocres de la Sainte-Victoire se distinguent au lointain.
De la fenêtre de son immeuble surplombant l'étang de Berre, Jessica passe ses journées à guetter les poissons, prête à alerter son grand-père Joseph et son vieil acolyte Émile qui tendent leurs filets de pêcheurs d'une rive à l'autre du chenal pour y prendre les bancs de muges.
La jeune femme pourrait pourtant faire autre chose de ses journées, s'intéresser à Ahmed, son compagnon ingénieur dans les usines voisines, ou à Antoine et Dylan, les singuliers petits-fils d'Émile ; elle pourrait essayer d'aimer Sébastien, son fils de 5 ans, qui parle à peine et détourne rarement son attention de l'écran de son téléphone.
Les habitants de ce territoire mêlé d'odeurs d'industrie, de mer et d'étang semblent ne vouloir être nulle part ailleurs. Jessica rêve-t-elle d'un autre destin, par-delà l'horizon bouché par les usines, là où s'étend le large ?
Une année, tout bascule. Tragédie ou accident, rien ne sera plus comme avant.
"Maritima" est un roman non classable car il est à la fois sociologique, politique et littéraire. Même si je n'ai pas été emporté par l'histoire qui pour ma part comporte quelques longueurs (ou suis-je trop pressé!). J'ai aimé l'écriture de Sigolène Vinson, qui a la plume fluide, légère, pour parler de chose grave.
Dans un décor naturel et industriel, magnifique et monstrueux à al fois, l'auteur montre la réalité de la vie. Jusqu'au drame, qui verra l'équilibre intérieur et extérieur des personnages perturbé, qui montre la fragilité de l'être humain face au drame.
Un roman plutôt sombre, pour éveiller les consciences sur les effets de l'industrialisation sur nos paysages et nos vies. Mais aussi, un roman sociologique grâce à l'aspect humain qui en ressort.
Sigolène, un prénom peu commun. Sigolène Vinson, une auteure abordée pour la première fois à Nancy en Septembre 2017. J’avais été impressionnée par son regard franc ombré d’une pointe de tristesse, mais très vite illuminé par les rayons de son sourire. Elle m’avait dédicacé "Courir après les ombres", j’avais acheté "Le caillou" plus tard. Les deux romans attendent toujours sur mes étagères. Mais cette année, elle était à la Comédie du livre à Montpellier et je l’ai revue, j’ai retrouvé ses yeux et son sourire mais surtout… j’ai rencontré "Maritima", son dernier roman. Un comble pour qui a peur de l’eau… je m’y suis noyée avec délice.
"L’étang de Berre, qui en rêve ?", ce n’est pas moi qui le dis mais l’auteure dans la dédicace de mon exemplaire. Certes, je l’avoue, je n’avais jamais pensé à une telle destination de vacances. Ce lieu était pour moi synonyme d’usines pétrochimiques, thermiques, de fumées et, j’ose le dire, plutôt de laideur… et pourtant, l’auteure le souligne à merveille, il est aussi un endroit de mer et de garrigue : "Au-delà du viaduc autoroutier, les usines et la mer. Au-delà de l’étang de Berre, la montagne Sainte-Victoire et la garrigue." Et puis il y a ses muges – inlassablement surveillés par Jessica postée à sa fenêtre armée d’une paire de jumelles – et son "caviar martégal", la poutargue, ce mets fort prisé.
A la fois politique, sociologique (il est classé dans la collection littérature/sciences humaines), voire touristique, le roman oscille entre l’eau et l’industrie, le rose pâle et un camaïeu de gris, la tristesse, de grands malheurs et quelques petits bonheurs. Il ne se raconte pas, il se vit, à petits pas, en retenant son souffle comme vivent les personnages, Jessica, Sébastien, Ahmed, Antoine, Dylan, Emile, Joseph… Cabossés par la vie, ils possèdent tous un côté attachant, de celui qui donne envie de les prendre dans nos bras, de les aimer, de les consoler. Drôles parfois, souvent tristes, ils mènent la plupart du temps une vie de galère sans pour autant rêver d’autres choses.
J’ai aimé l’écriture de Sigolène Vinson vraiment belle, de ces écritures qui sans chercher à en mettre plein la vue, parviennent par leur élégance, leur fluidité, leur naturel, à faire pousser les plus belles fleurs sur un tas de fumier. "Le mistral de décembre balayait les papiers gras dans les rues de la cité, tous ces déchets échappés des sacs poubelles éventrés par les mouettes et les goélands qui avaient oublié qu’ils étaient mangeurs de poissons, chassait les nuages et la pluie, rendait à la vue ce qui avait été caché, la Sainte-Victoire et les couleurs des peintres."
Et last but not least, je me suis régalée des leçons sur les muges et des extraits de livres érudits trouvés par Antoine dans la boîte à livres, véritables respirations, sans compter les expressions locales dont je suis friande.
Un magnifique roman, superbement écrit.
https://memo-emoi.fr
Entre l’étang de Berre et les usines pétrochimiques vit une étrange petite communauté.
Jessica vit dans un immeuble avec son fils de 5 ans. Elle surveille de la fenêtre les bans de poissons et lorsqu’ils arrivent, alerte son grand-père, Joseph, toujours au cabanon avec son ami Emile
Il y a aussi Antoine et Dylan, les petits-fils d’Emile,
Ahmed, le compagnon de Jessica, et quelques autres.
Tout semble intemporel, ça se passe pourtant actuellement ;
Les lieux semblent anciens, le mode de vie des personnages aussi.
J’avoue avoir eu un peu de mal à entrer dans l’histoire, à m’intéresser aux muges. Et puis, petit à petit, je me suis laissé prendre au piège et attendrir par cette mini société originale.
De plus c’est très bien écrit, le style est agréable et au final je ne regratte absolument pas ma lecture malgré l’ambiance sombre qui règne autour de tous ces êtres soudés par une grande tendresse.
"Elle vivait son corps en marais salant d'où s'évaporait la Méditerranée. Dans ses veines coulait la souffrance des gens d'étang, celle aussi plus lancinante des gens de mer".
Je m'attendais à beaucoup de choses de la part de Sigolène Vinson. A être déstabilisée. A devoir faire fonctionner mes méninges. A recevoir la face noire du monde. A vibrer aussi. Ce roman, je l'ai vue en gribouiller des bribes, sur un coin de table, un après-midi de salon du livre de Boulogne-Billancourt, cachée derrière une pile d'exemplaires du précédent, Les Jouisseurs. Elle le pensait âpre, peut-être même violent. Oui, je m'attendais à beaucoup de choses. Mais pas à ça. Pas à cette plénitude, cette chaleur, cette tendresse. Pas à cette sensation d'avoir entre les mains un roman aussi accompli qu'un classique. Un roman dans lequel on se sent bien, happé par le décor, par la bande des personnages qui l'habitent, par la lumière qui caresse les bâtiments, par les embruns qui salent les peaux.
Dans ce roman, l'auteure prend son temps. Celui d'installer ses personnages, de faire visiter les lieux, d'en raconter l'histoire, la complexité. Car il faut bien aller au-delà des raccourcis. L'étang de Berre. Synonyme d'usines, de fumées, de paysages défigurés. Pas question de les occulter, elles sont bien là. Dans la ligne d'horizon de Jessica qui, depuis la fenêtre de son appartement surveille les bancs de poissons tandis que près du chenal, son grand-père, Joseph attend son signal pour tendre les filets au bon moment avec Emile, son acolyte de toujours. Dans la ligne de mire d'Antoine et Dylan, les petits-fils d'Emile, tandis qu'ils trainent de l'étang à la plage. Dans la vie d'Ahmed, petit ami de Jessica et ingénieur à l'usine pétrochimique. Elles sont là, en pleine nature, au plus près des corps et des vies.
L'étang de Berre. C'est donc lui le personnage principal. Lui qui retient comme un aimant ceux qui vivent dans sa proximité. Lui qui abrite les bancs de muges dont on fait la poutargue avec les poches d’œufs des femelles. Il y a ceux de l'étang, et les autres. Il y a des générations manquantes, des gamins élevés par leurs grands-parents, des trous à combler. Il y a ce curieux mélange des origines du peuplement, le communisme et les mathématiques, moteurs de l'industrialisation. Peu à peu, en cercles concentriques, le petit monde de l'étang de Berre s'anime, sous le regard tendre de l'auteure. Les bans de muges tentent de se frayer un chemin vers la mer, les mouches brouillent la vue, les peaux grattent, les cigales cassent les oreilles, les odeurs heurtent les narines... Il y a de la chaleur et du désœuvrement. Des questions sans fin. Sur comment c'était avant. Sur comment ç'aurait été si... Sur la filiation, les attaches qui pèsent et leur manque qui détruit. Ou libère. Ils font ce qu'ils peuvent, tous. Ils sont surtout profondément humains.
Dans ce roman, les corps parlent, de façon souvent crûe, dans leur vérité naturelle, livrés aux éléments. Roman naturaliste ? Peut-être. En partie. Les sciences naturelles ne sont jamais loin. Les arts non plus. Mourir dans un musée, écrasé par une statue, ce n'est sûrement pas anodin. Les livres deviennent des messages codés. Les chats s'appellent Aristote. Il y a une histoire, bien sûr. Des drames. Des vies bouleversées. Mais on voudrait surtout ne plus jamais quitter cet endroit.
Un roman charnel, social, naturaliste... Pourquoi tenter de le ranger dans une case ? L'auteure réussit l'exploit de livrer un roman dense, complexe et pourtant limpide, fluide, lumineux. Qui parle au cœur, au corps et à la tête. Qui se vit autant qu'il se lit. Un merveilleux roman dont je suis sortie époustouflée.
(chronique publiée sur motspourmots.fr)
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