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Nous connaissons tous le nom de Marcel Duchamp, l'homme qui inventa l'art contemporain, le créateur du « (al)ready-made », de Rrose Scélavy, et d'une Joconde moustachue outrageusement rebaptisée LHOOQ, l'auteur, surtout, du plus grand scandale du XXe siècle, qui éleva (ou abaissa ?) un simple urinoir au rang d'oeuvre d'art. Et pourtant, que sait-on de lui ? Rien, ou si peu, et pour cause : il n'existait pas, à ce jour, de biographie en français de Marcel Duchamp. Duchamp meurt en 1968, à l âge de 81 ans, encore méconnu dans son propre pays : son décès est annoncé dans Le Figaro à la rubrique « échecs », quand il fait la une du New York Times. Sa vie ses vies pourrait-on dire, à l'image de ce portrait dédoublé à l'infini qui fait la couverture du livre , partagée entre les Etats-Unis et la France, fut longue d'activités diverses et non pas seulement artistiques, de rêveries et de projets, de rencontres et d'amitiés indéfectibles, avec Henri-Pierre Roché, l'auteur de Jules et Jim qu'il inspirera, avec Picabia, Man Ray, Alfred Stieglitz, Brancusi. Une vie d'amours nombreuses aussi le premier pour la femme de son grand ami Picabia ! -, car Duchamp courait les jupons, « célibataire » avant tout épris de liberté, qui pourtant deux fois l'abdiqua il épousera en secondes noces la fille du galeriste Pierre Matisse, petite-fille du peintre.Fils d'un notaire rouennais, il était le cadet d'une fratrie d'artistes, les peintres Jacques Villon, Suzanne Duchamp, et le sculpteur Raymond Duchamp-Villon, qui l'initièrent à la peinture. Héritier de Jarry, marqué par la lecture de Nietszche et de Raymond Roussel, il était fasciné par l'objet industriel et sa production en série, par les découvertes récentes sur le mouvement et la vitesse le rayon X, la quatrième dimension, les chronophotographies d'Etienne Jules-Marey. A 26 ans, dès lors qu'il la maîtrise, il abandonne pour toujours la peinture, s'autoproclame « anartiste », fait prévaloir l'idée sur son exécution, la « beauté d'indifférence » sur le (bon) goût, et bouleverse radicalement le statut de l'artiste et de l'oeuvre d'art : un défi à l'avant-garde de son époque plus encore qu'à l'académisme. Sacré par Breton « phare du surréalisme », ingénieur malheureux (on lui doit d'extraordinaires machines optiques, ancêtres de l'art cinétique, dont les brevets ne rencontreront pas le succès), joueur d'échecs passionné, il fut aussi l'incontournable courtier de l'avant-garde européenne aux Etats-Unis, le conseiller intime des grands philanthropes new-yorkais, comme les époux Arensberg ou Katherine Dreier, avec qui il fonda au début des années 20 La Société anonyme, ancêtre direct du MOMA. En un dernier clin d oeil facétieux et visionnaire, l'homme sans qui Andy Warhol n'aurait pas existé, fit graver sur sa tombe : « Ce sont toujours les autres qui meurent ». On ne saurait le contredire.
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