"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire «immigrée» ou «réfugiée». Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d'un pays dont nul n'était censé pouvoir s'échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été «exportés». Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l'étranger. Comment, en plein coeur de l'Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l'objet d'un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l'innommable : la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs. Moi qui suis née en France, j'ai voulu retourner de l'autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d'une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d'un obscur passeur, les brûlures d'un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.
Alors que le régime communiste verrouillait hermétiquement les frontières, les grands-parents de Sonia Devillers quittèrent la Roumanie en 1961. Ces juifs de l’intelligentsia roumaine arrivèrent les mains vides à Paris et n’évoquèrent jamais de leur passé que leurs meilleurs souvenirs. Pourtant, la Roumanie fut, aux côtés des nazis, l’un des pays les plus zélés de la Shoah. Pourtant, quinze ans après la fin de la guerre, ils durent tout quitter et repartir de zéro dans l’exil. Intriguée par les blancs de son histoire familiale, l’auteur s’est lancée dans sa reconstitution, exhumant avec stupéfaction l’effarant et infamant trafic d’humains auquel, dans le plus grand secret, la Roumanie se livra de 1958 à 1989.
Ce n’est que depuis quelques années, avec l’ouverture progressive des archives de la Securitate, le Département de la Sécurité de l’État roumain, que le secret le mieux gardé du monde communiste commence à filtrer : pendant trente ans, des juifs furent troqués au prix fort contre du bétail - des porcs reproducteurs principalement - et du matériel agricole, nécessaires au sauvetage d’une agriculture rendue exsangue par la collectivisation. Les livres de comptes précisément tenus témoignent des transactions dont Nicolae Ceausescu se félicita en ces termes : « Les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d’exportation ». Plus discret pour la vitrine communiste qu’une vente rémunérée directement en devises, l’échange d’humains contre des bestiaux et des équipements s’effectuait sous l’égide d’un passeur, Henry Jacober, un juif slovaque devenu homme d’affaires à Londres, et qui, bien loin d’un nouvel Oskar Schindler sauveur de juifs victimes du communisme roumain, s’en enrichit grassement, surtout lorsque Israël conclut les plus gros deals pour se peupler.
Ainsi, après avoir échappé de justesse à la Shoah dont le récit rappelle les pires moments en Roumanie, tellement oblitérés par le régime communiste que l’Histoire n’a principalement retenu que les neufs derniers mois de la guerre passés aux côtés des Alliés, les grands-parents de l’auteur, appliqués à se fondre parmi l’élite et les citoyens modèles de leur pays, finirent quand même par tout perdre, menacés et spoliés avant de servir de monnaie d’échange, expulsés quand le rideau de fer interdisait normalement de partir.
Entre récit intime et enquête journalistique, la narration de cet exil qui ne ressemble à aucun autre dévoile salutairement une ignominie restée cachée, qui vient honteusement s’ajouter, après la Shoah, à l’infinie tragédie des persécutions infligées aux juifs. Une histoire aussi douloureuse qu’inconcevable…
Saviez-vous qu'après-guerre, des juifs ont été vendus pour sortir de Roumanie ?
Monnaie d'échange : des cochons et autres animaux.
En nous relatant l'histoire de ses grands-parents, de sa tante et de sa mère, Sonia Devillers, nous raconte cette infamie.
De l'avant-guerre aux années 60, la Roumanie va s'illustrer (certes, elle n'est pas la seule) dans la chasse aux juifs.
L'auteure revient sur des épisodes peu connus tant ce pays aura du mal à reconnaitre ses méfaits et les victimes réticentes à en parler.
D'une écriture précise et en maniant des chapitres courts, Sonia Devillers nous plonge dans cette horreur et certains faits relatés sont insoutenables.
Les évènements sont énoncés clairement et sans voyeurisme.
Un récit poignant, saisissant et instructif.
Sonia Devillers est journaliste. J’écoute tous les matins son émission « L’invité du 9H10 » sur France Inter. Elle anime aussi depuis quelques semaines l’émission « Le dessous des images » sur Arte.
Dans ce récit littéraire, elle raconte l’histoire de sa famille maternelle, de confession juive et de nationalité roumaine.
Au début des années 1960, ses grand-parents, sa mère, sa tante et son arrière-grand-mère ont pu quitter la Roumanie, alors pays satellite de l’URSS. Or, il était tout à fait impossible de franchir le rideau de fer.
Face au silence de ses grand-parents, Sonia Devillers va enquêter sur l’histoire de la Roumanie. Ce qu’elle va découvrir fait froid dans le dos : un trafic d’êtres humains (les Juifs en l’occurrence) en échange de porcs, de volailles voire de matériel agricole.
Les candidats à l’exil payaient très cher un passeur, que l’on pourrait plutôt qualifier de maquignon. Cet argent servait à acheter des porcs qui étaient ensuite livrés en Roumanie. Ce pays n’arrivait plus à nourrir sa population et n’avait aucune marchandise à exporter. Quelqu’un au Parti eut alors cette répugnante idée : exporter les juifs en échange de porcs. Un système gagnant-gagnant pour le pays : se débarrasser des juifs qui n’avaient pas été exterminés pendant la guerre tout en obtenant de la nourriture.
» Jusqu’où pouvait aller l’impensé roumain ? Non content de ramener la valeur de la vie humaine d’un citoyen juif à celles d’animaux d’élevage, le régime avait choisi, entre tous, le porc, l’animal de l’interdit rituel par excellence. Dans la culture populaire, c’est même ce qui caractérisait le juif, désigné comme celui qui ne mange pas de porc. »
A travers l’histoire de ses grands-parents, Sonia Devillers nous fait découvrir l’histoire politique de la Roumanie des années 20 jusqu’aux années 1960. Je ne connaissais pas grand-chose à l’histoire de ce pays, c’est pourquoi j’ai trouvé ce livre passionnant de bout en bout.
La journaliste a mené un véritable travail d’investigation qui laisse le lecteur pantois face à sa découverte.
» Au sortir de la guerre, la Roumanie ne comptait donc plus que 350.000 citoyens d’origine juive. Le régime s’empressa d’enfouir leur histoire. Il enfouit l’histoire des morts, comme il enfouit celle des vivants. Quatre décennies plus tard, lorsque Nicolae Ceaucescu fut renversé en 1989, les juifs étaient moins de 10.000 dans le pays. Ils avaient physiquement disparu. La Roumanie était bel et bien devenu un pays sans juif. Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres aussi spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce (…) moment tant attendu de la délivrance ethnique. Une délivrance sans effusion de sang. Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic. »
Ce récit fait oeuvre d’histoire. Je regrette qu’il n’ait pas eu un plus grand retentissement à sa sortie en septembre 2022.
Ma chronique : J'ignorais cette page d'Histoire de la Roumanie et ce livre passionnant m'a ouvert les yeux sur une période peu flatteuse de ce pays.
Sonia Devillers (journaliste sur France-Inter) nous conte à travers une enquête intime et historique le départ forcé et la marchandisation des juifs Roumains dont faisait partie ses grands parents, sa mère et sa tante dans les années 50 et 60.
Ils ont été "exportés". Tout a été révélé après la chute du mur et la fin de Ceausescu, conforté par les écrits de l'historien Radu Ioanid
Durant la guerre de 39/45, avant un revirement tardif, le pays était allié aux Nazis.
L'après-guerre communiste n'était pas plus heureuse du fait des purges et des luttes intestines de la "Securitate", cousin germain du KGB et de la Stasie réunis !
Ses grands-parents ont toujours refusé toutes conditions de victimes. Ils ont fait table rase du passé quand ils se sont retrouvés émigrés à Paris, n'ont jamais évoqué le chagrin du déracinement et de leur maison spoliée.
Gabriela, la grand-mère, venait d'une famille de célèbres intellectuels Roumains, les Sanielevici. Elle avait une forte personnalité, un orgueil démesuré, très érudite, musicienne. Elle n'a jamais courbé l'échine devant l 'oppresseur.
Ils ont connu Bucarest dans les années 20 et 30, ville heureuse, foisonnant d'intellectuels, d'artistes. Ils n'évoquent pas les pogroms.
Reconnaissants envers Staline qui les a débarrassé du fascisme, des nazis, ils ont cru au communisme mais hélas les choses ont mal tourné.
" la guerre puis le communisme ont sonné le glas de l'insouciance" nous dit l'auteure.
Après en avoir été des membres influents, ils ont été exclus du parti, humiliés, exportés, "ballotés de frontière en frontière à la merci de chaque bureaucratie" .
Confiés à Henry Jacober, célèbre passeur anglais, personnage de l'ombre mais connu de tous les services secrets, et qui ne craignait pas les autorités, ils n'ont jamais su comment ils ont passé le rideau de fer et que leur départ a été monnayé contre du bétail, des porcs en particulier.
De nombreux chapitres évoquent la relation du passeur et des hauts dignitaires du parti durant des décennies. Tout était consigné dans les registres de la police secrète.
Sonia Devillers s'est rendue sur place et a découvert tardivement ce commerce honteux et le sort de sa famille.
Très bon livre, richement documenté, passionnant et dont les révélations sont
Dans ce récit qui retrace l’histoire tragique de ses grands-parents et de sa mère, Sonia Devillers a dû entreprendre de minutieuses recherches, rencontrer de nombreux témoins, car elle ne savait rien de la Roumanie communiste, ses grands-parents n’en contant que quelques bribes qui cachaient l’essentiel.
« J’ai grandi avec un trou au milieu de l’Europe, Une nation informe que je savais à peine situer, une tache aux contours mouvants dans le grand bazar des républiques de l’Est : le théâtre d’un génocide dont mes grands-parents n’ont jamais parlé. »
A l’origine de cette quête, il y a le livre de l’historien Radu Ioanid, qui s’est « plongé dans la mémoire administrative du régime ». Tout débute en 1950 et ce grand commerce durera jusqu’en 1989, date de la chute du dictateur Ceausescu. Durant ces années, la Roumanie soucieuse de se débarrasser de ses juifs, va les échanger contre du bétail : veaux, vaches, poulets, moutons et surtout des porcs, plus particulièrement de des landraces danois réputée pour la pureté de la race et leur productivité. Les roumains profiteront peu de toute cette viande réservée à l’exportation.
Ce tout de passe-passe a été rendu possible grâce à un passeur, Henry Jacober., homme d’affaire expert en import-export d’animaux. Avisé et malin, il va devenir le passage indispensable pour tout juif suffisamment riche souhaitant quitter la Roumanie cadenassée par la Securitate. Les candidats au départ ignoraient tout des conditions de leur échange Cet ignoble marché ne sera connu qu’après la chute du mur, lorsque les archives communistes seront ouvertes.
Au-delà de cet exil particulier, Sonia Devillers trace l’histoire de sa famille maternelle, des juifs expatriés, qui croyaient à un monde nouveau à travers le communisme.
Elle raconte aussi l’antisémitisme tenace d’un pays fermé qui veut effacer toute trace des violences commises contre ses juifs durant la seconde guerre mondiale.
Sonia Devillers a écrit un récit à la fois poignant, humain et bien documenté. Elle a su rendre très vivants les membres de sa famille. Il en résulte une lecture sous tension et grâce à cet éclairage, on apprend beaucoup sur une période de l’histoire longtemps passée sous silence, même chez les victimes.
La Roumanie communiste n’en fini pas de nous révéler ses mystères. Je ne parle pas de la Transylvanie et du Comte Dracula, mais du trafic d’êtres humains.
Ce récit explique, au travers du périple d’une famille, comment le Parti a d’abord échangé ses ressortissants juifs contre des animaux vivants, des structures agricoles, puis contre des dollars.
Sonia est la petite-fille d’une famille juive roumaine d’abord encarté au Parti, puis destituée. Ils perdent alors leur travail et se décide à partir à l’Ouest.
Jamais ils n’ont compris qu’ils étaient échangés contre des porcs danois aux meilleurs rendements.
J’ai découvert avec horreur ce trafic d’êtres humains par un commerçant en import-export, qui prend sa commission au passage, même si personne n’a jamais su le montant exact de celle-ci.
J’ai découvert qu’Israël avait pris la suite en payant directement en dollars.
Et l’auteure insiste avec ironie sur le fait que les communistes roumains ont réussi là où les nazis avaient échoués : il n’y a plus de communauté juive en Roumanie.
Quelques citations :
… je voudrais comprendre comment, dans la Roumanie des années 1960, un homme juif a ^pu être vendu contre du bétail. Je m’aperçois qu’il a été, avant cela, arraché aux abattoirs où il devait être dépecé comme une bête et ce, au cours d’un épisode que Mihail Sebastian qualifie dans son, journal de « férocité bestiale ». Cela fait beaucoup de bêtes et de bestialité pour un même destin humain, celui de mon grand-père. (p.46)
Erik Orsenna me propose son aide avec l’enthousiasme qui le caractérise : « Vous verrez, le porc, c’est extraordinaire ! Le porc, c’est économique ; le porc, c’est politique ; le porc, c’est moral. On peut raconter toute l’histoire des hommes à travers le porc. » Il ne croit pas si bien dire. (p.183)
Je dirai que mes grands-parents et tant d’autres ont été transformés, à leur insu, en maillon d’une chaine alimentaire dans laquelle un être humain atteindrait un rang supérieur au cheval, mais inférieur au cochon. Le cochon, suprême prédateur. (p.196)
Leur voix ne se brisait qu’à l’évocation de leur maison. (p.213)
L’image que je retiendrai :
Celles des contre-ordres qui empêchent la famille de partir, la Securitate n’étant pas au courant du trafic.
https://alexmotamots.fr/les-exportes-sonia-devillers/
Admirable. Grand coup de coeur pour Les exportés, le premier livre de Sonia Devillers consacré à l'histoire de sa famille maternelle, aux éditions Flammarion.
17 décembre 1961. Harry et Gabriela Delanu, leurs filles, Lena 16 ans, et Marina 14 ans, accompagnés de Roza Sanielevici, la grand-mère maternelle, quittent Bucarest. le 19 décembre 1961, gare de l'Est, à Paris, la famille est libre. Elle ne sait pas que les 12 000 $, payés par une amie, ont permis leur troque contre des porcs par le régime communiste…
Avant la Seconde Guerre mondiale, ils voient et subissent la montée des ligues fascistes. Pendant, des pogromes sanglants et barbares sont perpétrés.
Le couple survit, change de nom, adhère au Parti communiste dans l'espoir de bâtir une société nouvelle et universaliste. Ils ont des postes aux hauts placés. Les services secrets roumains, enquêtent. Après des procès truqués, ils deviennent des parias, tombent en disgrâce et sont exclus du parti. L'antisémitisme les a rattrapés.
Henry Jacober, négociant britannique, juif, a compris tout le cynisme du régime. Il fournit à la Roumanie des produits agricoles, dont des porcs, en échange de Juifs.
Dans les années 1950, les caisses de la Roumanie sont vides. le pays fut un puissant allié de l'Allemagne nazie et a besoin d'argent. le régime n'a rien à vendre. La collectivisation des terres est un échec. Les pénuries sont nombreuses. Cette traite massive d'êtres humains doit permettre la modernisation. Vers 1960, le Mossad, Israël, prend place dans ce trafic. Tous les pays avaient connaissance de ce troc dans les années 1980.
Sonia Devillers enquête, reconstruit et exhume l'histoire de sa famille exilée de force. Elle restitue leurs mots et les maux. Cette quête intense, bouleversante, la fois individuelle et familiale permet de comprendre, connaître la vérité sur ce départ en 1961.
En lisant le premier livre de Sonia Devillers, on retrouve l’énergie de la journaliste, la précision de son regard et sa volonté de dérouler le fil d’une pensée. Elle revient vers les siens, vers le passé familial et nomme clairement ce que les Juifs roumains ont subi. Elle nous entraîne dans l’histoire de la Roumanie, des années précédant la Seconde guerre mondiale au régime de Nicolae Ceausescu.
Cette lecture a été pour moi une découverte et le texte est un témoignage qui, par le biais de l’intime, ouvre sur l’histoire nationale et les traumatismes vécus au cours de ce XXe siècle. Le récit est clair tout en gardant un rythme soutenu. Sonia Devillers explique, précise et soigne de nombreux détails pour faciliter la compréhension générale.
Parmi les passages les plus marquants, il y a bien sûr les premiers chapitres au cours desquels elle pointe les vestiges d’une vie passée par sa grand-mère et sa mère. Qu’il s’agisse du rapport avec le judaïsme ou l’urgente nécessité de trouver un nouveau nom de famille, Sonia Devillers recense tous les indices qui mènent au secret. Dire ouvre une brèche de lumière dans l’obscurité des secrets. Écrire, encore plus.
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