"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Comme il nous l'a appris avec Jours de dèche, son premier livre paru au Dilettante, Didier Delome revient de loin, de bien loin, d'aussi loin que la faillite sociale, la dépression, la précarité quotidienne peuvent vous mener quand, Job réincarné, on a tout, même bien plus et que soudain on n'a plus rien, que tout autour de vous se dissout et se volatilise.
Un naufrage qui l'amène, dans ce deuxième roman, à se remémorer, à l'occasion d'un baptême familial, d'où il vient, tout simplement, mais sans pardon, à passer les siens en revue, à tracer une ligne rouge vif sous les colonnes gains et pertes pour apurer les comptes familiaux. D'où cette chronique au long cours, cet entrelacement de témoignages à chaud et à vif, zigzaguant entre les amertumes du passé et les médiocrités du présent. Et toute la parentèle et la fratrie d'être convoquées, avant tout sa si belle et si honnie maman « gouine », convoitée bec et ongles par le Tout-Gomorrhe, promise à une vieillesse atroce, à ses maîtresses jet-setteuses, Lucienne et Monique, Loulou de Montmartre, grand chambellan lyrique de la scène trave et des nuits gays, Trésorette et M. Limonade, roi du soda. Une parade sauvage que, enfant triste et brinquebalé puis adolescent aventureux et fugueur, il suit d'un oeil amer et vengeur. Une chronique incandescente des nuits parisiennes des années cinquante, soixante et soixante-dix.
Un enfant qui serait né d’une «erreur», oublié par son père et rejeté par une mère qui préférara «vivre sa vie», voilà l'histoire contée dans ce roman qui prouve, une fois de plus, qu'on ne fait pas de vonne littérature avec de bons sentiments.
Le narrateur de ce roman sans compromis vient assister au baptême de Françoise, sa petite fille. Son fils a eu la malencontreuse idée de la prénommer comme sa mère. Une mère honnie à tel point qu’il a failli ne pas se rendre à l’invitation et qu’il se fait le plus discret possible durant la cérémonie. Des sentiments dont le lecteur peut sentir la violence dès les premières lignes: «Ma mère était gouine et je ne souhaite pas à mon pire ennemi d’endurer mon adolescence auprès d’Elle. Longtemps les deux mots qui m’ont le mieux évoqué cette femme ont été honte et dégoût.» Et alors que se déroule la cérémonie religieuse, les souvenirs vont émerger. Ceux de ces années cinquante-soixante, quand les Français «avaient follement besoin de s’amuser et s’étourdir en société. Les salles de spectacle en général, et les cabarets en particulier, étaient très fréquentées. Il y en avait pour tous les goûts et toutes les bourses. Répandues à travers Paris.»
C’est plus précisément du côté de Pigalle que ses parents vont se rencontrer et que vont se jouer les destins des membres de la famille et de leurs amis, amants, maîtresses, compagnons de route. C’est du reste Loulou, l’une des figures de ce monde de la nuit qui va lui raconter comment s’est faite la rencontre entre Paul et Françoise, ses futurs parents, et combien sa naissance n’aura pas été souhaitée. En fait, Loulou servait de rabatteur pour un riche industriel, M. Limonade, et avait convié Françoise et Bruno à les suivre pour une partie fine durant laquelle chacun caressait un dessein propre assez éloigné des fantasmes de l’autre. C’est d’ailleurs autant pour éviter Loulou ou M. Limonade que Françoise et Bruno vont se retrouver en couple, même si Françoise est lesbienne. D’ailleurs très vite chacun va mener une double vie, entre trafics et petits boulots, entre prostitution ou protection d’un partenaire fortuné. Françoise va choisir de suivre Monique, de vingt ans son aînée, et laisser quelques illusions et son fils sur le bord de la route. On comprend sa rancœur: «Lorsqu’on s’est retrouvé confronté au dégoût viscéral de soi durant son enfance; c’est un peu comme une langue maternelle qu’on vous aurait inculquée de force dans votre âme meurtrie.»
Didier Delome, après avoir raconté ses années de galère dans La dèche, son premier roman que l’on peut considérer comme le premier volet de cette histoire, ne se retrouve pas mieux loti dans ce second volume. Enfant non désiré puis rejeté, il va toutefois trouver dans la culture sa planche de salut: «Cela se manifestait, entre autres, par un inextinguible goût pour la lecture. Qui ne m’a d’ailleurs plus jamais quitté. Un point commun incontestable avec ma mère pourtant exécrée.» N’y voyez toutefois pas une bibliothérapie, il s’agit bien davantage ici d’une planche de salut, de celle qui empêche de plonger dans la dépression et le suicide que l’on sent très présents dans ce récit impitoyable où la noirceur recouvre les paillettes et où la haine recouvre la liberté sexuelle. Même si on peut lire entre les lignes une envie de réhabilitation.
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Merci pour cette chronique détaillée; mais je n'ai tout de même pas envie de lire ce livre: j'en ai tellement encore avec des dates butoir...