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Un soir de printemps, Driss Guerraoui quitte le diner dont il est propriétaire. Au moment de traverser une intersection sombre de sa ville en Californie, dans le désert du Mojave, il est tué par un chauffard. Seul un homme est témoin de cette scène : Efraín Aceves, un père de famille d'origine mexicaine. Son statut de sanspapiers et la peur de l'extradition l'empêchent de témoigner. La mort de Driss est-elle un accident ? Ou bien découle-t-elle d'autre chose ? Un crime haineux, raciste ?
Au fil du roman, plusieurs habitants de cette ville de Californie prennent alternativement la parole à l'instar d'un choeur de tragédie, leurs histoires se chevauchent, faisant de ce roman l'un des textes les plus saisissants sur l'immigration contemporaine. Dans une société qui se divise toujours plus, Laila Lalami nous rappelle que nous sommes tous l'étranger de quelqu'un.
La famille Guerraoui, d’origine marocaine, est un modèle d’intégration depuis leur installation dans l’Ouest Américain dans les années 70. Le père de famille Driss et son épouse tiennent un « diner » qui marche bien et leurs deux filles ont fait de belles études. Lorsqu’un soir, en fermant son restaurant, Driss est mortellement renversé par une voiture qui prend la fuite, tout le monde pense a un tragique accident. Tout le monde sauf la benjamine de la famille, Nora. Elle n’arrive pas à faire le deuil de ce père adoré, et elle sent, au fond d’elle, que cet accident cache quelque chose de plus laid.
En voilà une bonne surprise que ce roman de Laila Lalami. Les chapitres sont courts et le narrateur change à chaque fois, c’est un procédé qui n’est pas nouveau mais qui a déjà fait ses preuves. Lorsque le roman commence Driss est déjà mort, l’intrigue part donc de l’annonce faite à Nora, c’est elle qui sera le fil rouge du roman. Tous auront droit à leur chapitre, leurs impressions, leur point de vue : Nora tient évidement le haut du pavé, c’est elle qui aura le plus de chapitre et dont le personnage évolue le plus. Entre douleur du deuil, entêtement à comprendre qui a tué son père, et errements dans sa vie professionnelle et sentimentale, c’est sur elle que la mort de Driss aura le plus de répercutions. Et puis il y a des chapitres du point de vue de sa sœur ainée, de leur mère, de leur père décédé (sous forme de flash back), de la policière (noire, cela a son importance) chargée de l’enquête, de l’adjoint du shérif Jeremy et même de l’auteur de faits. Cette multitude de point de vue permet de dessiner une sorte de fresque de l’Amérique d’aujourd’hui. Fresque sociétale sur la place des musulmans en Amérique, sur le problème racial plus prégnant que jamais, mais aussi fresque familiale car dans la famille Guerraoui, tout n’allait bien si bien que cela. La mort de Driss va exposer (et creuser) les failles entre Nora et sa mère, entre Nora et sa sœur. C’est donc un double portrait que « les Autres Américains » proposent, le portrait d’une famille déracinée, musulmane (avant et après le 11 septembre), sur la place de la foi, du communautarisme, et le portrait d’une petite ville américaine du Mojave, où le rêve américain est encore possible mais où les relents racistes sont toujours là. Pas évident de placer ce roman dans le contexte, aucune date précise n’est indiquée : ce roman se situe probablement aujourd’hui (Nora est au lycée en 2001, aujourd’hui elle a moins de 30 ans, on peut donc tabler sur une intrigue contemporaine) mais au fond qu’importe, quelle que soit le Président au pouvoir les mêmes problèmes demeurent. Driss a-t-il été victime d’un crime de haine ? Dans les derniers chapitres une réponse se dessine, en filigrane, elle n’est ni affirmative ni négative elle navigue entre les deux, dans cette « zone grise » qui permet toute les interprétations. « Les Autres Américains » est un roman agréable à lire, et on s’attache vite à Nora, on s’approprie son chagrin, on le fait notre d’une certaine façon. Il faut dire que si son père n’était pas un homme parfait, il y avait entre lui et sa petite dernière une relation particulière d’une grande tendresse qui est extrêmement touchante. En plus d’être le portrait d’une famille déracinée et d’une Amérique déboussolée, ce roman est aussi un joli roman sur le deuil.
Driss Guerraoui, américain d’origine marocaine, est propriétaire d’un diner. Alors qu’il s’apprête à regagner son domicile un soir, il est renversé par une voiture et meurt. Le conducteur prend la fuite. La fille cadette de Driss, Nora, ne veut pas croire à un accident et imagine quelque chose de plus sombre, peut-être un crime raciste. Mais si cette mort brutale est un drame pour la famille Guerraoui, elle ouvre aussi des portes vers des secrets et des blessures encore vives.
Laila Lalami donne la parole tour à tour à plusieurs personnages. Les filles et la femme de Driss, l’enquêtrice en charge de l’affaire, un policier qui a connu Nora dans leur jeunesse et qui la retrouve suite à ce drame, le propriétaire du bowling voisin du diner de Driss... Et tous recomposent une histoire personnelle mais aussi une histoire de l’Amérique qui reste hantée par ses fantômes et des réflexes de racisme et de méfiance à l’origine de tensions qui peuvent parfois conduire loin.
Ce roman choral est passionnant et formidablement bien construit. Il alterne les prises de parole et les points de vue de tous les personnages jusqu’à reconstruire entièrement le puzzle de l’intrigue. Au fil du livre on découvre des éléments cachés, des failles, des incompréhensions, des douleurs remontant parfois à l’enfance, des frustrations. Le roman interroge à la fois sur les relations familiales mais aussi sur les fondations d’une identité, sur la relation à l’autre qui peut être d’origine, de religion ou de sexe différent. C’est profond et cela amène à se questionner soi-même sur son rapport aux autres.
Ce roman n’est pas sans me rappeler ce sublime roman de Rusell Banks, De beaux lendemains. Dans la façon de construire le récit mais aussi dans la manière de nous donner à voir le visage d’une société américaine pétrie de contradictions.
Un vrai coup de cœur en ce qui me concerne.
Comme disait Howard Zinn : « Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs ». Laïla Lalami n’est pas historienne, elle est romancière, et c’est préférable. La fiction s’autorise des propos qu’une science humaine mettra des siècles à valider. Entre temps, la justice a pris la cause des méchants.
« Les autres américains » arrive à un moment opportun, en plein questionnement identitaire. Cette Amérique qui donne sa chance à l’individualité, surtout si elle est blanche. Cette Amérique désormais incapable d’étouffer la voix des plus racistes.
Nora est d’origine marocaine et sa couleur de peau est beaucoup trop sombre pour le petit bled de Californie où ses parents ont tenté leur chance. Au mieux, on la confond avec une mexicaine, au pire, elle se fait traiter de « tête à torchon », surtout après les évènements du 11 septembre, cette date fatidique pour tous les musulmans paisiblement installés aux USA. Cela m’a rappelé le très beau film pakistanais, « Khuda Kay Liye », dans lequel un musicien est dénoncé par un voisin suspicieux.
Le roman est choral et pour une fois ce n’est pas un artifice narratif, c’est une nécessité, car il faut écouter la voix de tous les protagonistes pour comprendre pourquoi le père de Nora se fait renverser devant le restaurant qu’il a mis une vie d’immigré à bâtir. Dans cette petite ville à la « American Beauty » (gens de couleur en plus), névroses et jalousies sont les révélateurs d’un pays divisé. Laïla Lalami excelle dans leur description (exemples, pages 54, 209, 261, 456) et résume par une question la difficulté de vivre aux USA quand on est pas WASP : quelle est ma place ?
Bilan :
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