Cette élégance toute britannique a quelque chose de désuet... Tout comme cette invitation à prendre son temps pour entrer dans ce roman qui ne supporte pas d'être simplement parcouru ou survolé. Un roman d'un autre siècle, même si l'intrigue s'épanouit sur la durée du XXème siècle, tout proche...
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Cette élégance toute britannique a quelque chose de désuet... Tout comme cette invitation à prendre son temps pour entrer dans ce roman qui ne supporte pas d'être simplement parcouru ou survolé. Un roman d'un autre siècle, même si l'intrigue s'épanouit sur la durée du XXème siècle, tout proche et pourtant déjà si loin. Une plongée au cœur d'une certaine "bonne société", apte à fabriquer des légendes pour continuer à susciter l'admiration du commun des mortels.
L'histoire démarre en 1913, dans la propriété des Sawle, dans le centre de l'Angleterre. George y vit avec sa mère, sa jeune sœur Daphné et son frère aîné Hubert qui tente tant bien que mal de gérer les affaires de la famille depuis le décès de leur père. George, étudiant à Cambridge a invité son ami Cécil Valance, jeune aristocrate et poète charismatique en devenir pour le week-end. Partout où il passe, le jeune homme suscite admiration et passion, que ce soit de la part des femmes ou des hommes. En écrivant pendant son séjour un poème titré du nom de la propriété des Sawle, "Deux Arpents", Cécil est loin de se douter du destin qui attend ce texte. Lorsqu'il meurt quelques années plus tard en France pendant la Grande Guerre, sa légende prend le pas sur l'homme qu'il n'a pas réellement eu le temps d'être. Une légende entretenue par sa famille et qui éveillera l'intérêt de nombreux biographes, des années plus tard, désireux de percer les mystères qui entourent les familles Valance et Sawle, intimement liées depuis ce fameux week-end de 1913. Mais y a-t-il une vérité quelque part ? Les nombreux ouvrages parus sur le poète sont-ils le reflet de la réalité ou le fruit d'imaginations fertiles ? Soixante ans après, peut-on se fier à la mémoire de Daphné et la vieille dame ne donne-t-elle pas la version qui lui convient le mieux ?
L'auteur construit son récit à travers les époques en utilisant les points de vue de différents protagonistes et de différentes générations et l'on ne peut être qu'admiratif devant la virtuosité de sa construction. A partir du moment originel, celui où George, Cécil et Daphné ont été réunis, il déroule un écheveau qui parcourt la vie des survivants, leur mémoire et surtout la façon dont ils sont perçus par les générations suivantes. Et le siècle passe sous sa plume, le temps qui transforme les propriétés victoriennes en pensionnats pour garçons ou qui autorise le mariage entre personnes du même sexe, relations jadis réprouvées par la morale et cachées dans les bosquets de ces mêmes propriétés.
Non, il ne faut pas être pressé pour lire "L'enfant de l'étranger", ni attendre des rebondissements à tous les coins de page. L'histoire s'esquisse peu à peu, au fil des grandes parties qui apportent chacune leur pierre à l'édifice, un peu comme les vues d'un kaléidoscope. On s'interroge sur le temps qui passe, sur ce qui forge les légendes, sur les traces qu'on laisse derrière soi... Ce genre d'ouvrage est rare, il faut le savourer, accepter de s'accorder à sa lenteur, au risque de passer complètement à côté.
Une très haute qualité littéraire pour ce roman qui mérite sacrément le temps que l'on décide de lui consacrer.