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Entre 1675 et 1676, les colonies britanniques de la côte est de l'Amérique furent la proie de l'une des guerres les plus impitoyables qui opposèrent Indiens et colons sur le continent nord-américain. Cette « Guerre du Roi Philip », baptisée d'après le nom que l'on prêtait au chef principal des Indiens Algonquins (en réalité Metacom), fut d'une invraisemblable violence. Massacres, tortures, destructions massives, réduction en esclavage des prisonniers se firent monnaie courante ; elle ne prit fin qu'avec l'assassinat du « Roi Philip », sur la victoire des « Puritains ».
Mobilisant une masse proprement ahurissante de documents d'archives, Jill Lepore conduit dans cet ouvrage une enquête qui excède de loin la seule reconstitution des faits - au demeurant remarquablement vivante.
Grâce à un dispositif virtuose de la narration qui articule en jeux d'échelles la micro-histoire avec des cadrages en plan large, elle procède à une immersion du lecteur dans ce monde des origines des États-Unis, un monde en réalité interlope, où les sociétés des Indiens et des colons étaient, avant la guerre, en voie de se confondre - ou du moins jugées comme telles.
C'est précisément à cause de cette situation incertaine que la guerre surgit, dont la violence extrême s'explique parce qu'elle avait pour enjeux des questions de survie identitaire.
L'ensauvagement présumé des Anglais faisait ainsi pendant à la christianisation des Indiens, à leur apprentissage des us et coutumes des colons, et notamment de leur écriture.
Et ce n'est pas un moindre mérite de ce livre que de s'interroger sur la place de l'écrit dans la fabrication de l'histoire : la capacité à la production de textes pour saisir les événements et leur donner sens a finalement conduit les Puritains à s'approprier les mots de la guerre, redoublant leur victoire sur le terrain de celle sur l'histoire.
Si bien que la question de fonds qui court au long de cet essai incroyablement stimulant est celle de l'élaboration de la mémoire : menant son enquête des années 1670 jusqu'au XXe siècle, Jill Lepore se livre à un travail d'histoire totale, conjuguant les thèmes de l'histoire des mots et des signes, de la guerre et de la violence, de l'écriture et de l'oralité, de la construction de la mémoire identitaire et de ses conséquences politiques. Car les Puritains, désireux de se soustraire à l'influence des « Sauvages », se sont aussi distingués des Britanniques par la mise en récits de cette guerre - pour se faire les « premiers Américains ».
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