Mettre en mots son tourment permettrait-il de le résoudre ? Plutôt que de choisir cette visée thérapeutique (on sait que la littérature ne soigne pas), Annie Dana cherche le « reste qui résiste » aux blessures : un élan qui, malgré tout, perdurerait. Elle compte en faire « son miel / dans l'intimité du cahier ».
Pour en arriver là, on fera l'inventaire de ce qui ne doit pas rester : il faudrait user le chagrin alors qu'il nous use - le poème sera une vague revenant sans cesse sur le rocher jusqu'à l'éroder... On revisite donc l'étroite gangue dont l'enfant a souffert, on en retrouve aussi l'innocence - voilà un reste qui résiste. On n'oublie pas la leçon de l'adolescence, où l'on « échoue à dominer le monde ». Et l'on arrive à l'âge adulte, celui où l'on reçut « le coup fatal ». Celui du désir demeuré désir, celui des incertitudes de l'amour autant que de sa disparition. A l'âge tardif des bilans, que reste-t-il ?
Ranime-t-on le feu de l'amour achevé.
Alors que s'est évaporé.
L'écume de la voix qui ne résonne plus.
Le frôlement des doigts égarés sur la peau.
Est-ce là le reste qu'il ne faudrait perdre ? On aimerait ne pas faire le deuil de l'amour. Dire et répéter qu'on l'a perdu est encore une façon de le faire exister.
On se lève un matin avec la foi du charbonnier.
C'est au coeur d'un hiver que l'on guette l'été.
Le prévisible nous ennuie.
Quand l'impossible est accueillant.
Faut-il voir ici l'amorce du Livret 2 "Le deuil du chagrin*"annoncé par le poète ? Si Annie Dana a décrit dans son Livret 1 "L'usure du chagrin" comme le chagrin nous use, elle nous promet ce petit petit tome 2.
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