"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quand elle protestait, c'était la camisole. Ou les brimades des soeurs du
pavillon des agités. A moins que ce ne soit les mains entravées, comme pour
tout «client» jugé dangereux. Lorsqu'en septembre 1863 Hersilie Rouy, 49 ans,
professeur de piano, est placée, faubourg Madeleine, à l'asile d'Orléans, elle
a déjà connu neuf années d'internements et d'errances à travers la France. Un
lourd passif. Pourtant, après quinze jours d'observation, le médecin-chef
orléanais la décrit «sans aucun trouble», se refusant à la garder plus
longtemps dans l'établissement. Il le fait savoir au préfet. Une fin de
parcours? Non: une simple étape dans un calvaire remontant à 1854, lorsqu'un
médecin aliéniste, proche de son frère, l'inscrit d'autorité - qui plus est
«née de parents inconnus» - à la maison de santé de Charenton. Mêlée aux
débiles profonds, Hersilie n'a de cesse d'exposer par écrit - au procureur
impérial, au baron Haussmann, à l'impératrice Eugénie - les ruses d'un frère
qui l'a fait interner pour rester seul en ligne dans la succession. Une
agitation suspecte qui fait sa réputation: Hersilie est une indocile, une
véhémente dont la séquestration s'impose. Informé de son insubordination, le
médecin-chef se ravise et la diagnostique atteinte de folie d'orgueil ou «folie
lucide». Une lucidité qui finit tout de même par attirer l'attention
d'administrateurs des hospices, puis du préfet. Un rapport au garde des Sceaux
réclame pour la demoiselle de meilleures conditions. Après cinq ans de séjour,
en 1868, on lui délivre même une attestation de guérison. Avec le concours de
notables du cru, Hersilie sort enfin des murs. Le ministre de l'Intérieur
reconnaît l'irrégularité commise. Son frère et l'administration centrale sont
montrés du doigt. La presse s'en mêle. Elle évoque une «résurrection» quand, à
l'occasion d'un récital à l'Institut musical, la pianiste joue Carl Maria von
Weber. Hersilie s'engage dans un nouveau combat, pétitionnant contre les
internements psychiatriques abusifs et pour une réforme de la loi de 1838. A la
Chambre des députés, les parlementaires du Loiret sollicitent Gambetta. Le
sujet doit être débattu le 16 juillet 1870... jour de l'ordre de mobilisation.
Les Prussiens et la défaite de Sedan ont raison d'Hersilie. La description au
quotidien de l'interné(e) est un plaidoyer à charge contre l'asile et contre sa
fonction politico-sociale. Maître de conférences à l'Université de Paris VIII,
Yannick Ripa est également membre du Groupe de recherches en histoire et
anthropologie des femmes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Elle
est l'auteur de La Ronde des folles. Femmes, folie et enfermement au XIXe
siècle (Aubier, 1985), Les Femmes actrices de l'Histoire. France, 1789-1945
(SEDES, 1999) et Les Femmes (Cavalier bleu, 2002).
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