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Après Baptiste (2002), Mille regrets (2004), et Richard W. (2013), Vincent Borel renoue avec sa veine musicale pour écrire un formidable portrait - bref, syncopé et plein d'humour - de l'obsessionnel Anton Bruckner, auteur de onze symphonies et précurseur de la modernité viennoise.
La vie d'Anton Bruckner (1824-1896) est méconnue. Il possède un profil a priori peu romanesque. Solitaire, méprisé, peu sociable, le Viennois n'a pas l'envergure flamboyante d'un Wagner. Mais un peu d'attention révèle chez lui des traits de caractère surprenants :
Son arithmomanie, qui lui faisait compter les feuilles, les étoiles et les fenêtres, ou son intérêt pour les affaires judiciaires, les ossements et les cimetières.
Sans s'attacher à une stricte chronologie, Vincent Borel met en lumière, à la faveur de quelques épisodes significatifs de son parcours, le profil d'un homme passablement « toqué », à rebours d'un Liszt, qu'il admirait, ou d'un Wagner, qu'il divinisa. Artiste proche des génies psychiatriques de l'art naïf, resté d'un romantisme adolescent, Bruckner avoua à la fin de sa vie qu'il mourait puceau. Ses agendas lacunaires et les témoignages le concernant montrent comment, sans cesse, il demandait la main de femmes trop jeunes pour lui, programmant ainsi son échec. Élevé dans le catholicisme autoritaire du monastère de Saint-Florian, il y fut nourri d'un rigorisme absolu. Selon ses dernières volontés, il repose d'ailleurs sous l'orgue monumental de cette abbaye baroque.
Ces quelques pistes font entendre la genèse d'une musique complexe, puissante, composée par un interprète exceptionnellement doué, et qui sonne aujourd'hui incroyablement moderne. Sa frénésie répétitive, évoquant déjà Philip Glass, semble la production sublimée d'un homme n'ayant jamais connu la fusion des corps et des coeurs. Sa Neuvième symphonie autorise Schönberg et La Nuit transfigurée. Il a fasciné ses élèves, dont Hugo Wolf et Gustav Mahler.
Écrire sur Bruckner, c'est aussi proposer une réflexion sur ce que l'échec provoque chez un artiste. De son vivant, il n'a guère entendu ses oeuvres. Mal à l'aise en société, où ses manières détonnent, conspué par Brahms et de puissants critiques, il a pourtant persévéré dans la création de ses onze symphonies, neuf officielles et deux repentantes. Sa figure interroge l'insuccès : ce pour quoi l'on échoue et pourquoi, cependant, seul contre tous, on persévère.
La virginité de Bruckner, ses « tocs », la réécriture permanente de ses oeuvres (chaque symphonie l'a été plusieurs fois), mais aussi son lyrisme éperdu, font de cet être opaque et décalé un objet romanesque singulier et particulièrement fascinant.
La vigne écarlate est le huitième roman de Vincent Borel, le septième livre publié chez Sabine Wespieser éditeur. L'auteur l'a suivi dès qu'elle a fondé sa maison d'édition indépendante, après avoir été édité par cette dernière au sein des édition Actes Sud. Baptiste fut d'ailleurs un des premiers livres publiés par l'éditrice au sein de sa maison d'édition indépendante et relatait le parcours de Lully. L'écrivain est notamment un mélomane et il a décidé après Lully et Wagner notamment de consacrer un livre à Anton Bruckner, compositeur autrichien et organiste du XIXe siècle, né en 1824 et mort en 1896. Bruckner est personnellement un compositeur dont j'aime énormément la musique, notamment le corpus des neuf symphonies. Le roman de Vincent Borel nous montre d'ailleurs que rien ne prédestinait le compositeur à la réalisation de ces œuvres monumentales qui ne ressemblent à aucune autre. Le livre permet de bien montrer combien ce fut difficile pour ce dernier de se faire accepter par le milieu musical de l'époque. Bruckner avait quasiment la quarantaine quand il commença à composer ses symphonies et il fut longtemps davantage connu comme professeur et organiste. Parmi ses élèves, ses Gauedeamus, il y eut notamment Hugo Wolf ou Gustav Mahler. Le premier notamment apparaît dans un échange savoureux et drôle sur les plaisirs de la chair auxquels Bruckner s'est toujours refusé. La construction du livre n'est pas linéaire et j'ai trouvé cela intéressant, même s'il fonctionne de manière circulaire. En effet, on débute notre lecture par le vieux Bruckner au bout de son existence et le livre se clôt de même. J'ai adoré ce roman, notamment en raison de la manière dont Vincent Borel manie la langue. Le lyrisme innerve beaucoup de passages. L'art du portrait des différentes figures qui traversent le livre est savoureux. Bruckner est une figure que j'ai trouvé touchante, même s'il est parfois grotesque. Sa folie et ses crises m'ont touché. Sa musique m'émouvait déjà énormément avant de lire ce remarquable livre. Je connaissais déjà d'ailleurs la magnifique plume de Vincent Borel, à travers un roman fresque très différent, Fraternels, son précédent livre publié par l'éditrice qui avait été un coup de cœur comme l'a été ce nouveau roman. J'ai fait l'acquisition à l'occasion de Livre Paris de Richard W. La vigne écarlate a par ailleurs reçu le prix coup de cœur du prix France Musique des Muses.
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