"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est l'histoire de l'été et des corps qui vont avec, allongés, dénudés, offerts au soleil. En France, elle se noue entre 1920 et 1960. Alors s'impose un répertoire proprement estival de gestes et de postures légitimes. Alors les édits changeants de la silhouette, le bronzage, l'horizontalité publique et le périmètre capricieux des dévoilements inventent, à échelle d'hommes et de femmes, de nouveaux savoir-faire et de nouvelles exclusions. Mais ce n'est pas tout. Dans la levée des accoutumances, les corps d'été ont des allures de civilisation suspendue. Ils font exister un pli annuel des rapports au monde, qui sacralise le retour à la simplicité, la variation des expériences et des identités. Cette morale des corps d'été est travaillée de jeux sociaux considérables. De résistances, aussi, et de liesses punitives, qui, oubliées depuis (ou presque), ont pourtant viscéralement tourmenté l'avènement de cette variation saisonnière des manières d'être. Il y a peu, la question du burkini a réactivé ces débats anciens, soulignant de nouveau les tiraillements sociaux qui entourent nos corps.
"La saison des apparences - Naissance des corps d'été" a été publié pour la première fois en 2009 sous le titre "Le corps d'été. Naissance d'une variation saisonnière". Cet essai signé Christophe Granger ressort aujourd'hui dans une version actualisée qui prend en compte les événements survenus en 2016 dans ce qu'on pourrait grossièrement appeler "l'affaire des burkinis".
Lorsqu'on contemple la première de couverture de cet ouvrage et qu'on découvre son titre, difficile de ne pas penser au sable fin, au bleu turquoise de la mer, aux corps dénudés qui prennent le soleil, mais également aux pratiques des plagistes, aux jeux de plage, au diktat du corps et des apparences ou au "Gendarme de Saint-Tropez". Bien entendu "La saison des apparences" n'est pas une simple ode à l'été, mais un authentique travail de recherche qui entend bien traiter le sujet sous un angle à la fois historique et sociologique.
Intensivement documenté, ce travail de fourmi s'appuie sur de la réflexion, mais aussi sur du tangible. Avec à l'appui une multitude d'articles de presse, de cartes, d'arrêtés municipaux, de publicités et le travail effectué en ce sens par d'illustres confrères, Christophe Granger entend bien démontrer toute la complexité d'un sujet en apparence aussi léger que les tenues des baigneuses.
Livre de sociologie oblige, 80% des pages sont truffées de références à d'autres ouvrages, renvoient à des articles de presse - bien souvent extraits de la presse féminine -, ou éclairent parfois brièvement une idée développée, autant de notes qui, disons le clairement, s'adresse plus volontiers à des lecteurs soucieux d'approfondir le sujet. Je recommande d'ailleurs de lire l'essai sans se soucier des notes de bas de page, cela n'enlève rien à la compréhension du texte et rien n'empêche les plus persévérants d'y revenir par la suite.
L'écriture est fluide, les références sont parfois exigeantes sans toutefois entacher la structure des idées développées. Christophe Granger réussit en effet le tour de force de garder captif l'attention du lecteur en lui donnant des marqueurs historiques et en multipliant les anecdotes savoureuses. L'auteur intègre également dans sa réflexion une multitude de variables telle que la libération sexuelle, l'influence de l'Église catholique ou celle de la presse féminine.
Cette saison des apparences, l'auteur nous conte son évolution sur un plan historique mais du point de vue d'une multitude d'acteurs de la vie publique, mélangeant avec habileté les visions diverses - entre autres - de l'ordre des médecins, des chantres de la lutte des classes ou des féministes.
Les questions que l'auteur soulève font état d'un paradoxe permanent, de revirements incessants sur les bienfaits de l'exposition au soleil, sur un rapport au corps qui change de manière incessante pour ne pas dire incompréhensible. Dans cet ordre d'idée, si l'on confronte les invectives de l'Église catholique du début du vingtième qui vilipendait ceux qui se dénudaient sur la plage et les arrêtés municipaux de l'été 2016 qui s'offusquaient de voir des corps aussi couverts, le sujet apparaît dans toute sa complexité.
Contrairement aux apparences, le thème ne laisse jamais indifférent et connaîtra sans aucun doute bien des développement, des crispations, des polémiques dans les années à venir. Force est de constater que Christophe Granger a su s'emparer du sujet - qu'il maîtrise d'ailleurs très bien au regard de sa bibliographie - et qu'il apporte nombre de lumières sur cette "Saison des apparences".
Après avoir parlé du contenu, je terminerai sur le contenant à savoir un livre qui se présente sous la forme d'un coffret cartonné avec une multitude de rabats qui en font un objet plein et coloré. Seul bémol, si original soit-il, il demande un temps d'adaptation pour trouver le confort de lecture idéal.
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