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« La mémoire, c'est comme un tiroir. On y entasse tous ses souvenirs. Les plus anciens, tout en dessous. Puis un jour, on ferme le tiroir à clé. Le meuble est rangé dans une vieille grange. » Ce n'est qu'en 2007, en remplissant un dossier d'indemnisation que Pierre Draï fait ce constat : « je n'ai jamais cherché à savoir pourquoi je suis encore en vie, alors que je suis orphelin depuis l'âge de trois ans. Comment ai-je pu survivre à ce cauchemar alors que mes parents étaient morts ? Et où étais-je ? Qui s'est occupé de moi ? Comment ai-je pu rester en vie ? » Il entame dès lors une patiente enquête : retrouver les documents qui témoignent de son histoire, retrouver les témoins où leurs enfants et surtout déverrouiller sa propre mémoire.
Juillet 1943, boulevard Ney à Paris. Rosine Draï, qui vit seule avec ses six enfants depuis que son mari, travaillant dans une boucherie casher s'est réfugié dans l'Aisnes, est prise dans une raffle avec ses trois ainés. Par précaution elle avait laissé dans une institution protestante caritative du quartier, dirigée par les pasteurs Charlet et Funé, ses trois enfants les plus jeunes. Quelques mois plus tard, Isaac Draï, sans nouvelles de sa famille, retourne un dimanche boulevard Ney. Un voisin zélé le repère sans doute. Quelques jours après les Allemands pénètrent dans la scierie où il travaille comme ouvrier dans l'Aisnes et l'arrêtent. Isaac, Rosine et leur trois ainés seront gazés à Auschwitz. Pierre, ainsi que sa soeur Nelly et son frère Paul seront sauvés, pris en charge avec d'autres orphelins de guerre par le pasteur Funé, son épouse et le pasteur Charlet.
Attendant depuis l'âge de ses trois ans le retour de ses parents, le jeune Pierre est en 1952 un enfant perturbé et indiscipliné. C'est pourquoi, il est envoyé dans un centre d'observation à Vitry puis à la République des enfants de Moulins-Vieux dans l'Isère. Dans cette institution aux pratiques pédagogiques innovantes et fondée en 1938 par Henri et Henriette Julien, Pierre s'épanouit tant bien que mal. Au terme « d'une enfance sans famille, sans personnalité, sans amour », Pierre Draï parvient à se construire professionellement, sentimentalement (après deux divorces) et spirituellement entre engagement dans le communisme et prise de conscience de son judaïsme (« par absence de transmission, mes racines ont été saccagées, mais pas complètement arrachées.»).
Ce qui prévaut au terme de ce parcours, retracé avec sobriété et sincérité, c'est l'étonnement de s'en être sorti : car au départ, « je n'étais rien qu'un numéro. Certes la Nation réglait la facture de mon éducation mais j'étais seul. Ce n'était pas la Nation qui me berçait le soir. Ce n'était pas la Nation qui séchait mes larmes. Par contre, c'était la Nation qui décidait de m'envoyer là, ou là-bas, ou plus loin, pour déplacer le problème sans forcément le résoudre. »
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