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«On leur céda une souricière dans l'allée des Étrangleurs, l'ancien Paradiz, où Chaliapine avait chanté avant de partir en exil. L'endroit grouillait de rats et toutes ses issues étaient condamnées avant que la troupe des Comédiens Voyageurs de Tiflis n'y débarque pour six semaines de représentation. Leur régisseur, Boris Nikolaïevitch Touchkov, avait magouillé avec les dirigeants géorgiens du Parti. Son unique triomphe, il l'avait connu avec Le Roi Lear. Et voilà qu'à présent il amenait Lear à Moscou».
C'est une production plutôt risquée... Jouer une pièce ayant pour sujet un vieux roi gâteux, veuf et père de Cordelia alors que Staline approche de la soixantaine, que sa femme est morte, qu'il a une fille jeune et qu'il est aussi secret que Lear, n'est-ce pas très dangereux ? D'autant plus qu'embusqué dans son bureau du Kremlin où est allumée en permanence une lanterne verte Staline contrôle tout, surveille les moindres faits et gestes de ses «sujets», et en particulier les artistes, tous colporteurs d'idées vite jugées subversives...
« La Lanterne Verte » de M. Jerome Charyn, est une excellente surprise littéraire trouvée dans une boîte à livre. Le titre désigne la lampe qui, selon les rumeurs, était toujours visible au Kremlin, dans le bureau de Staline, pour rappeler à son peuple qu’il travaillait et veillait sur eux, comme un bon petit père. Et il se trouve qu’il s’agira aussi du pastiche d'un roman héroïque, rédigé par Vladimir Roustaveli, l’un des personnages du roman, lorsque ce colonel secret du NKVD en aura assez de ce système d’incessants complots imaginaires pouvant envoyer à peu près n’importe qui à la mort ou dans l’oubli de la lointaine Sibérie.
Si de nombreux personnages historiques (tels que Iagoda, Beria, Ejov, Gorki, Molotov, Babel, et bien sûr Staline et sa fille) sont présents dans ce roman, il n’en est pas moins une œuvre d’imagination, où la poésie des mots et le théâtre (Shakespeare et son Lear sont au cœur de l’intrigue) prennent le dessus sur l’Histoire pour nous la rendre plus légère bien qu’elle soit diabolique et désespérée. Car l’URSS sous la dictature de Staline est une période pleine de terreur et de drames. Ici, la réussite de l’ouvrage tient dans son approche volontairement centrée sur ses personnages, où les histoires de cœur du naïf et pur Ivan sont le moteur de l’intrigue, qui baigne dans l’ambiance oppressante de la surveillance permanente de Staline, le « Vojd », maître incontesté et loup inquiétant.
De l’Allée des Etrangleurs au Hall Maïakovski, l’on est trimballé dans un Moscou nocturne à l’ambiance oppressante, et l’on songe au Destin et à la Fortune qui jouent avec les personnages, en se laissant porter par le style fluide et riche de l’auteur. En bref, une réussite sur le fond et sur la forme, qui me laisse curieux et impatient de découvrir d’autres livres de M. Charyn.
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