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A l'issue de la première guerre mondiale, le poète Rainer Maria Rilke s'établit en Suisse (où il mourra fin 1926). Son installation dans une austère tour valaisanne, à Muzot, est l'épisode le plus connu des «années helvétiques» de l'auteur des Élégies de Duino. Son bien plus bref séjour près des rives du Léman, au Prieuré d'Étoy, en 1921, a été tenu jusqu'ici pour une période assez morne - solitaire et stérile tout à la fois - dans la vie de Rilke. En réalité, le poète y fit des lectures décisives, de Proust et de Valéry en particulier. Et il reçut alors la visite de bien des femmes, parmi les plus aimées. On connaissait déjà sa liaison avec l'artiste franco-allemande Baladine Klossowska - mère du peintre Balthus - et aussi ses liens d'amitié avec la princesse de Thurn-et-Taxis, rescapée d'un monde englouti, sans oublier le soutien d'une généreuse et discrète bienfaitrice zurichoise. Mais on ignorait que Rilke fût resté en relation avec cette «star» de la vie parisienne qu'était la comtesse Anna de Noailles, alors au faîte de sa notoriété littéraire. Surtout, aucun de ses biographes n'avait soupçonné qu'il l'eût revue à Étoy, bien après une première rencontre qui - à Paris en 1909 - l'avait confirmé dans son admiration pour la poétesse des Éblouissements. Pourquoi tant de mystère autour de la venue en Pays de Vaud de cette « petite divinité impétueuse » ? Comment expliquer qu'il ait fallu, pour le savoir, attendre la découverte fortuite des lettres adressées à Rilke par la postière du village d'Étoy où résidait depuis peu l'écrivain Guy de Pourtalès ? Mais, au fait, qui était cette buraliste éprise de littérature, s'adonnant elle-même aux délices de la poésie, «femme de lettres» au sens complet du terme ?
Délaissant un instant le champ de sa spécialité - à savoir l'épigraphie et l'histoire des cités grecques, disciplines qu'il a eu l'honneur d'enseigner au Collège de France pendant dix ans (2004-2014) après avoir été professeur à l'Université de Neuchâtel -, DENIS KNOEPFLER n'abandonne pas pour autant les principes d'une rigoureuse méthode d'investigation, qui lui permet d'établir, sur la base de documents nouveaux ou méconnus, quelques petits faits vrais. Qu'il s'agisse, en l'occurrence, d'un épisode individuel (bien révélateur, néanmoins, des courants littéraires qui se font jour en ce début des «années folles» de l'entre-deux guerres) ne change rien à l'affaire : car seule compte cette passion de la découverte que l'auteur a manifestée si souvent dans ses travaux antérieurs, en particulier dans un récent essai sur La Patrie de Narcisse (Paris, Odile Jacob, 2010) et, maintenant, dans la mise au jour progressive, avec le concours de l'École suisse d'archéologie en Grèce, du sanctuaire de la grande Artémis d'Amarynthos, au coeur de l'île d'Eubée. Ici, l'enquête le conduit sur les traces d'autres figures féminines, appartenant à un passé certes moins lointain mais tout aussi révolu : une manière pour lui de rendre hommage à sa femme disparue, très proche parente de cette « poétesse du bureau de poste » avec laquelle Rilke ne dédaigna pas de s'entretenir, puis de correspondre pendant un temps depuis le manoir de Muzot.
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